Dernière modification par le 24/10/2020.
Bonsoir Pascal,
merci de votre réponse rapide, mon oncle a eu une vie un peu compliquée, fils d'un Adjudant-chef, militaire de carrière, chef de pièce d'un canon de 75 après avoir participé à la mise au point des charges d'obus de 75 à la pyrotechnie, 1er régiment d'Artillerie de Bourges, quand mon oncle a eu son certificat d'études avec la meilleure note, son père a choisi de l'envoyer à l'Ecole denfants de troupe de Rambouillet, puis de Tulle. Engagé volontaire à 18 ans, il a commencé au régiment de chars lourds de Versailles puis est entré dans le génie pour finalement être muté au Schiesseck, d'où la suite.
Je vous joins les documents qui vous donneront un éclairage sur tout ça.
Son récit sur les enfants de troupe :
UN ENFANT DE TROUPE
Eugène !
Eugène fut arrêté pile par son père qui, assis sur une chaise l’attendait au passage. Eugène était pris… Il rejoignait Précosse dont il avait vu la tête passer juste de ce qu’il fallait dans l’entrée de la boulangerie.
Sa grosse tête ronde ornée de gros phares luisants, ses lunettes de myope, il était donc là, allons-y ! Partons dans la nature, cherchons la liberté, les nids, les fruits, pêchons, rêvons, jouons !
Du coup Gégène avait quitté l’atelier, passé d’une jambe sur l’autre dans la cuisine, voulant faire de même dans la salle à manger, puis passer vivement dans le magasin ; envoyez un « je sors » sans donner le temps à ses parents d’une moindre réplique... Bien calculé, pas trop tôt, être près de la porte, toujours ouverte par ce bel été, en jaillir, prendre à droite la cour de l’ancienne gendarmerie, gagner le marais, Précosse prenant chez Musiau…
Le soir pouvoir dire : vous m’aviez bien vu !
C’était manqué ! archi loupé ! ce le fut pour toujours… Il ne revit jamais Précosse.
Précosse était une force de la nature qui lui prêtait son appui et qu’il dirigeait comme lui-même, lui avait la tête et l’adresse, l’autre la force, l’ensemble était parfait. C’était si l’on veut deux jeunes chiens libres chassant dans la nature, sans maîtres.
Et il se trouvait devant ce père calme qui l’attendait, Précosse avait joué le rôle de rabatteur, Sa mère, dans l’ombre, appuyée au dossier, il ne la voyait guère… l’obstacle était devant lui, la route coupée…
« Voyons, tu as eu le certificat d’études primaire ! » Oh ! c’était solennel, c’était mauvais.
« Que veux-tu faire ? » (Rejoindre Précosse et au plus tôt !) il était là, bloqué, en pleine déroute, muet, interloqué.
« Veux-tu aller à l’école supérieure ? » (Un léger temps, pas celui d’une réponse, « Veux-tu être soldat ? » (comme la sortie d’Eugène, c’était calculé, les parents sont encore plus forts que les enfants.).
Ce fut la seconde question qui eut sa réponse : « Oui, je veux bien ! Il fallait vouloir quelque chose ! »
Il était donc libre, il tenta de filer... son père le reprit par le bras et le fixa devant lui pour être bien compris.
« Donc, tu seras Enfant de troupe ! » c’était bien sûr une bonne solution. Mais qu’est-ce que cela . Et Précosse qui l’attendait, bien sûr ! Sa patience était à toute épreuve.
« Tu iras à Rambouillet ! » (Oh, mais la chose était grave ! c’était déjà joué !)
Oui cette enveloppe grise, les prospectus militaires, les écritures de son père le soir : c’était Instruction, contre un engagement de cinq ans ! pourtant les français naissent et demeurent libres et égaux en droit … pas les enfants de troupe ! Il fut Enfant de Troupe. Il percevait en songe : tu seras près de ton oncle, Paris n’est pas loin, Il voulait dire : Non ! ! c’était la malchance, la série .. Zut et zut !
Un jour, par un beau soleil de fin d’été, et que le soleil était beau en ce temps-là ! Baptiste-mulet, fut attelé à la belle petite carriole, harnais astiqués, sabots de même, collier de grelots au vent.
Eugène et Papa prirent la direction d’Avord. Il fallait passer la visite médicale, la première d’une longue suite … auprès d’un Major.
C’était déjà quitter Baugy. Eugène le cœur gros, ne fut pas bavard… Villabon, Farges, le camp d’Avord, les avions …
La visite se passait dans une baraque Adrian, les planches noires et sales nous reçurent. De l’autre côté de la cloison, « vous savez bien que la vaseline ce n’est pas pour graisser les vélos ! c’est un produit médical ! Vous ne saviez pas ? » peut-être, et ce fut mon tour …
Le Toubib était dans un mauvais jour, et il incorpora le plus maigrichon de toute son armée... au grand dommage du maigrichon !
Les papiers se mirent à circuler, car il en faut, tant et si bien que l’Ecole de Rambouillet me réclama immédiatement...
Son père savait que la rentrée était au 1er octobre, n’en démordit pas et Eugène arriva donc quinze jours après les autres. Il fut le bleu de tous, le bleu de la classe, … de la 4ème A, … pour une année. Le souvenir des anciens s’efface lentement !! ancien de quinze jours !
Rambouillet ! 1er octobre 1925, la veille nous avions pris le car Mourroux, conduit par Frédéric ; ce car était une sorte de verrière bombée, dont chaque vitre donnait une note, … c’était assourdissant, impossible de parler, les voyageurs au départ assis en cercle, sur les banquettes étaient envoyés d’un bord à l’autre, la meilleure était sur la banquette droite, on glissait moins sur la molesquine luisante, mais pour la même raison, le chauffeur roulait à gauche, pour compenser le bombé de la route.
Pensez au supplice de quitter mon village en pareilles conditions…
Puis ce fut le train, de l’énorme machine, des wagons qui roulent sans vouloir s’arrêter. ..Pourtant, plus doux, plus chaud, avec de nombreux coups de sifflet, comme si le train devait être propulsé, ça fumait, ça crachait sifflait pour s’arrêter, resifflait, repartait, tchou-tchou-boum-bam-boum ! Le départ était un accordéon de train, de coups de tampon, de chuintements. Et l’on arrivait Bourges, Vierzon, Paris.
A Paris, il avait été décidé de passer la nuit chez l’Oncle … rue de Vaugirard, une de ces rues qui n’en finissent pas …
Il était triste et fourbu, ne vit de Paris qu’une suite rue, de trottoirs, une foule où il se crut perdu, des maisons hautes et rébarbatives, Son premier souvenir de Paris. Repos chez l’Oncle, puis départ pour Rambouillet, le lendemain.
Si son arrivée entre son Oncle et son Père fut assez rassurante, la suite le fut beaucoup moins. Après avoir traversé la ville, ils arrivèrent au Château, je veux dire à la grille car l’École était à droite, dans les anciennes écuries du château. Nous étions attendus, comme on l’est dans une caserne.
Nous fûmes dirigés sur la Salle d’Honneur, dont il aura si souvent la corvée d’en briquer le lino.
En retard de quinze jours, il fallut aller vite, comme si l’on pouvait rattraper le temps... Habillement, banc de coiffeur, taille « en chien », ras sur toute la tête, un centimètre de cheveux sur le front, surtout pas plus, fraîche et désagréable impression c’était pis que le déshabillage, la douche froide ou la visite… et le paquetage qu’il reçut généreusement pêle-mêle, en quantité invraisemblable, comme si pour lui on avait voulu se débarrasser de toutes les bricoles de la caserne ! Il y avait des brosses aux usages multiples, des boîtes à graisse, à cirage, les molletières serpents, qui se mêlaient à tout le reste, pantalons de drap, de toile, vestes, ceintures, bretelles, collets–manteaux, tant qu’il fallut deux de ses collègues pour transporter le tout au premier étage.
Pendant cette distribution, il fut habillé, car il en restait, pour sortir une dernière fois avec ses parents.
Il dut mettre une chemise sans col toute tachée de noir, la fameuse encre à matriculer qui parfumait si bien l’armée française et arrivait à brûler des vêtements presqu’inusables. Hélas ! des caleçons comme il n’en avait jamais vu, avec des lacets en bas et si longs, une ceinture de flanelle rugueuse comme une râpe, qui de sa vie d’enfant de troupe se trouva toujours autour de sa poitrine, cette affaire de terrassier était supposée lui garantir une santé parfaite comme si elle-même fut bobinée dedans. Il n’eut pas pire ni plus constant supplice.
« Avez-vous votre ceinture de flanelle ? c’était l’ordre d’arrêt immédiat, l’ordre suprême du toubib par la voix du caporal, qui ayant fureté dans votre paquetage et l’ayant trouvée, vous visitait le bide et vous donnait pour l’exemple, une suite de pelotons suivis de la table de régime sans dessert, pour votre santé … La visite devenait journalière pour le délinquant, ainsi ces petits gradés appuyés par les grands, rendent la médecine par autorité - et discipline, le mot le plus bête de tous.
Pour le moment il était habillé devant ses parents, un peu mieux que la moyenne, avec tout le soin du magasinier et la tristesse d’un bleu.
L’on passa aux chaussettes, c’étaient les chaussettes de l’armée de cette époque : de coton rouge, avec bandes blanches, et si flasques que leurs tiges au moindre abandon, recouvraient celles des godillots qui elles forcément montantes, recevaient celles-ci descendantes, à la manière de ces rivets tubulaires.
Ligoté dans ces sous-vêtements, il entra dans l’uniforme, veste et pantalon en gros drap bleu horizon, le pantalon de sortie étant long, les chaussettes firent ce qu’elles purent... La veste était avec col ras du cou, sur celui-ci fut disposé une cravate, je veux dire, une lanière bleu foncé, avec boutons qu’il était impossible d’attacher si l’on était seul. Ce n’était pas le cas ! .. Nous l’appelions « le segment », et, sans épingle, l’on ne savait jamais ni où ni à quelle hauteur pouvait se trouver le rabat.
Je n’ai jamais vu un officier en porter. Elle ne devait coûter bien cher. Pourtant elle était nécessaire car le drap de la veste était si rugueux qu’il vous incendiait le cou de sa rude toile émeri. La première dépense était de se munir d’une cravate fantoche, plus longue., faisant deux tours, le rabat étant passé dessous puis devant. L’habit de l’enfant de troupe n’était donc pas, par nécessité, gratuit
La coiffure pour couronner la coupe en chien était le képi, un de ces képis bleu horizon, de même drap que l’uniforme, un genre facteur, très réussi, en ce sens qu’il était, comme certains produits de l’industrie qui ne durent que le temps de la garantie, celle-là était d’un jour, le carton s’écrasa sous la première pluie, et devint une sorte d’accordéon chantourné dont la base devait être horizontale, la visière droite, le haut faisant ce qu’il voulait. Il sortit donc ainsi harnaché par un beau soleil : pour lui venu le matin en culotte courte, le changement était considérable.
Engagé dans l’armée il l’était aussi dans un carcan qu’il porta pendant cinq ans pour le moins. Son déjeuner passa fort mal sa rentrée fut triste, pour de multiples causes.
Cette école faite par Napoléon pour fournir des Sous-officiers à ses armées confiée à l’époque au Commandant Frébillot, ancien de Douaumont, âgé et rébarbatif, (personne ne l’a jamais vu sourire), la Grande Guerre, et le rôle qu’il jouait encore celui de ne faire que des sous-officiers ne pouvant l’amuser, sur trois cents élèves anciens et bleus, je peux compter sur une main ceux qui sont devenus officiers…. Voilà un brillant résultat. Pourtant lorsque la première promotion de nos anciens se présenta au brevet élémentaire, ils furent tous reçus, y compris les quatre cancres que l’École ne présenta pas.
La tâche du Commandant était rude !
Rentrons à l’Ecole.
Il fut livré à un sous-off. Qui le plaça entre 4ème A et 4ème B, son sort n’étant pas réglé. Il le fut le lendemain par un examen (combien dut-il en passer !) il fut classé en 4ème A en première année. Son dortoir où l’on rêvait bien peu, pièce de quatre-vingts mètres de long, dix de large, parquet de chêne luisant, occupé par deux longues rangées de lits de soldats faits « au carré », repliés le matin, chacun ayant une zone bien délimitée à entretenir.
Cette chambre était une sorte de rue, de boulevard, dont l’aménagement n’avait fatigué aucune des méninges de nos polytechniciens ou Saint-Cyriens dont notre armée, comme chacun sait regorge.
Nous disposions d’une planche à paquetage, moins eut été une drôle de chose, sur ladite planche, il fallait faire tenir en équilibre des vestes, pantalons, collets-manteaux, le tout bien verticalement et autant que possible semblable au voisin, la première fois, la chose lui fut facile, c’est mon voisin qui la réalisa. Mais par la suite, il lui fallut retirer la tenue du jeudi, tout bascula, se détira, repris sa forme… quel travail !
Le paquetage était un tourment pour le bleu, c’était visible comme le lit et les godillots, c’était … noté ! et suivant l’humeur du caporal, du sergent, de l’adjudant, du lieutenant, des chahuteurs, « le virage » devenait la punition la plus redoutée du monde !
Pourtant, … une armoire …
Monde qu’il connut le lendemain :
Il fut surpris dans son sommeil, par une sonnerie de clairon qui le sortit de sa torpeur, c’est après les grands chagrins que l’on dort bien.
Du coup ce fut une ruche renversée, une animation extraordinaire, cent diables sortant de leurs écrins, des bras, des têtes, des corps agités en tous sens … « tenue de jour ! » annonça le caporal sortant d’une alcôve tenue à laquelle il n’avait porté aucune attention, mais son voisin maternel avait placée sur son lit, en plus des dessous, le pantalon était celui-là rouge à bandes molletières bleues, veste bleu-noir avec une multitude de petits boutons, c’était l’ancienne tenue des enfants de troupe, celle d’avant mille neuf cent quatorze, seule la qualité du drap bien plus fin que la nouvelle avait permis un tel usage.
Elle était quand même bien usée… mais son drap presque noir, essuyait parfaitement le bec de nos plumes (sans laisser trop de traces). N’ayant pour l’instant aucun rôle, il eut bien du mal à s’équiper, ses lacets de cuir rond et cassants entraient mieux dans son pied que dans le trou de la tige des godillots, les molletières en se déroulant l’entravent, trop courtes et trop fatiguées par les générations précédentes que peuvent-elles faire de mieux ?
« Bleu ! tes mollos ! et c’était le rebobinage, qui vous arrête la circulation,
« Aux lavabos ! nouveau cri du caporal, en rang par deux, brosse à dents à la main savon et serviette de l’autre, c’est un temps d’arrêt, de contrôle, puis aussi de lavage … retour au lit
Balayez sous les lits ! une auréole de poussière enveloppe les lampes et le reste.
Aux corvées ! en un instant, un groupe se précipite au fond de la chambre, quatre balayeurs passèrent en coup de vent suivis des cireurs armés de de longues pinces de bois munies de blocs de cire, frottant en tous sens, chacun dans son axe, suivis d’une gigue de brosseurs se tenant en bloc par les épaules, frottant en cadence et avançant latéralement, c’était mécanique, précis, mais presqu’invisible, tant la poussière était dense, et cela passait – Han ! han ! han ! Les balayeurs repassaient et le bouquet final, une couverture, un matelas, deux ou trois équipiers dessus, les premiers arrivés, la place étant prisée, les autres attelés à la couverture, tractant le plus vite possible, passaient en trombe, envoyant glisser le tout, histoire de faire briller aussi la 4ème B, le plus loin possible, fauchant parfois un caporal dans un bon jour, et quelques élèves dans les mauvais !
« Ouvrez les fenêtres ! il était temps ! Les corvées extérieures rentraient,
« Tous au garde à vous !
« Au pied du lit !
« Direction le réfectoire ! Au pas !
Le quart à la main, c’était une sabotée roulante, dans les escaliers, les couloirs, les cours ! ploum ! ploum ! ploum !
Toutes les sections convergeaient vers ce lieu. Le réfectoire atteint après trois ou quatre haltes se signalait d’abord par une odeur aigre, indéfinissable, qui contenait tous les menus en une fois, le vinaigre l’emportant sur l’eau de javel, ne cédant au faisandé des lapins de garenne du Président, à la morue, à l’oignon, au manque d’aération, car encastré par la rue, il ne fallait surtout pas ouvrir de ce côté, les grillages ne permettant pas cette fantaisie. L’entrée était silencieuse : nous marchions sur une couche de sciure qui ne retirait rien à l’odeur, si bien que nous avons tous diné et déjeuné en cette ambiance si favorable aux bons repas !
Le menu était alors exactement celui de la troupe d’alors : les plats de tôle sur les tables ? c’était les filets de hareng bardés d’arête baignant dans une mare de vinaigre d’alcool qui arrache de si bonnes molécules aux gamelles !
Si les gamelles ne sont pas mises, … une exception, c’est confitures ou chocolat, ceci pour éviter la resquille en passant, … les harengs …
Le pain sera pris à la boule militaire, vieille d’au moins deux jours, c’est plus digeste, de toute façon, on en mange moins !
Surtout ne pas croire que le chocolat en question était une gourmandise, oh ! non, c’était une demi barre, demi-ronde, d’une chose bien sûr couleur chocolat, mais au goût c’était pierreux, à peine sucré, granuleux, c’était nommé chocolat pour convenir à la soumission la plus basse possible, suivant une méthode très républicaine, du plus bas prix, qui fait que seuls les voleurs peuvent y faire fortune …
Il fut placé en complément d’une table de huit, qui du coup perdit son rab, le chef de table, de la plus grande taille possible, pour mieux porter les plats, se servit et servit les autres, fut appelé au guichet pour recevoir la cruche de jus, cruche de fer blanc.
Chacun reçut son quart de jus, ce qui fait assez peu, y trempa .sa déroulure de pain, et en moins de cinq minutes, tout fut terminé, jus et pain gris avalé en silence, comme il se doit pour l’ordre
(j’ai oublié le filet de hareng, je ne l’ai jamais vu manger à ma table,)
(la confiture, parfois : c’était une purée de pommes grises un peu acide, rien de spécial comme attrait, qui s’écoulait en larmes par les trous du pain).
Il était interdit de sortir du pain, un contrôle se faisant à la sortie. Par contre, le quart devait nous accompagner, soit qu’il fut mis dans la poche ou tenu à la main, …..le jus très bien l’hiver.
Coup de sifflet : Debout ! coup de sifflet : Dehors ! direction vos classes !
Arrivé sur la terrasse Hoche, dirigé et rassemblé dans la « section ». car il était de l’infanterie, il entra en classe, fut mis à une place libre, une fois de plus au garde à vous, attendit la venue du professeur, qui donna l’ordre de s’asseoir, et du coup remplaça le caporal.
Cette première heure fut un étonnement, il dut prononcer dix fois son nom, et avec un accent berrichon si marqué que toute la classe s’en réjouit fort.
Il ne connaît personne, tous le connaissent, c’est le bleu ! Être la cible de tous, tiré à gauche, à droite par cette gent qui si elle faisait silence n’était pas inoffensive !
Il reçut du professeur livres et cahiers de cours avec le sermon pour ceux qui arrivent après, comme si la faute était sienne, il en fut de même de presque tous, étant bien entendu qu’ils n’allaient reprendre leurs leçons pour un élève… Les professeurs de l’école étaient des instituteurs ayant trouvé le filon des spécialistes suivant leur goût ou leur peu de goût, avaient choisi une matière. Leur titre de professeur leur plaisait par-dessus tout et même le chef de musique un adjudant ne voyait aucun inconvénient à ce titre, l’un des nôtres ayant tâté le terrain (dans un ricanement intéressé des autres) avait reçu cette réponse :
Eh quoi ! je ne suis pas une femme … Pourtant professeur.
Donc s’il n’eut pas à passer au tableau, il ne comprit rien … sa classe était une première année. Et pour s’y retrouver quinze jours après les autres, les autres devaient le mettre au courant… mais comme chaque professeur estimait que les heures d’études devaient revenir à sa matière, Les autres : ils avaient déjà trop de travail … et comme aussi, il était interdit de parler, le mettre au courant n’avait plus aucun sens.
Sa première récréation se passa sur l’avenue, la terrasse Hoche, balayée de long en large par la promenade des professeurs, comme pour la cavalerie de Murat, il fallait faire place, car le Commandant attendait ses troupes, les Profs, en ligne sur un rang disposaient de ce terrain conquis, Commandant au centre, ils s’interpellaient, tête baissée, ainsi font les oies, sur le bord du troupeau.
Les enfants de troupe devaient refluer dans les alvéoles des préaux et lavoirs, si bien que huit ou neuf profs et un Commandant privèrent d’espace trois cents élèves avec une régularité de métronome pendant toutes les années de Rambouillet.
Le bleu seul parmi les anciens, appuyé au mur du chemin de ronde observait la pelouse du Président, l’herbe de la liberté… dans la cour, un groupe de très anciens, ceux de la Boissière, une école pour nos minimes, les pupilles de la Nation, orphelins de guerre, comme d’ailleurs une très grande partie de nos camarades, mais ceux-là sans parents, élevés dès leur jeune âge avec l’uniforme, débrouillés en diable, trouvant leur liberté dans cette prison, tant cette affaire est relative, se reconnaissait à leur képi à la polo, ayant volontiers payé cette transformation de leurs deux pelotons… Le képi étant bien tendu celui –de jour- et non celui de sortie. Ils l’avaient désossé en enlevant la baleine d’acier du tour, le carton était raccourci, la bande du pourtour égalisée, si bien que la coiffe rouge enveloppait le crâne à la manière de la toque des jockeys, C’était la mode des durs, peu prisée de nos chefs.
Les anciens de seconde année, les vrais, étaient isolés des bleus, leurs képis étaient du type à double fond, une manière de conserver l’ovale du fond, et de raccourcir la hausse facteur… le bord rouge étant d’une hauteur égale, mais au milieu apparaissait la petite bosse du crâne, car personne ne suppose que l’on fasse un képi avec trop de matière. Les visières étaient toutes différentes, les unes arrondies, les autres cassées à angle vif, également mal vues des cadres, relevées vers le ciel, mais « blague » infligée par quelque vengeance. Les autres droites, portées sous tous les angles, également d’avant en arrière, si bien que sous l’uniforme, chacun était différent. Le haut rouge, la veste noire, la culotte rouge, les molletières bleu horizon, les chaussures noires, nous étions parfaitement visibles..
Coup de sifflet pour la rentrée, les sous off en petit groupe occupaient le haut des pavés, de là surveillaient les bleus, du portique au lavoir, les anciens du préau aux barres fixes, chaque groupe étant à une place bien déterminée… Le rassemblement se fit rapidement devant chaque classe.
Entrée, nouvelle matière jusqu’à midi.
Direction le réfectoire, à cette heure, il voit un peu mieux cette pièce toujours sombre, avec ses arcs demi-ronds, les panoplies luisantes, ses soubassements ocres, les lourdes tables de marbre gris, avec leurs grosses assiettes, que l’on mettait pour la « photographie », au début nous avions des assiettes de tôle étamée, elles furent remplacées par la suite. Le couvert était de fourchette et cuiller en acier étamé, d’une fabrication inusable, … et lourde, de celles que nous prenions pour pêcher les têtards.
A l’extrémité de la table, la corbeille de pain, au centre le broc de vin baptisé comme il se doit.
La nourriture était exactement celle de la troupe, entrée pâté, ou hareng, bœuf bouilli, parmentier, morue, … et … les lapins du Président des garennes faisandés, broyés par les plombs des invités, une purée immangeable, liée sauce farine… des os brisés, des plombs, une odeur qui vous piquait le nez, … xxx souvent hélas, à cette saison, nous étions le débarras des chasses présidentielles… du lapin, xxxx xxx.
Des légumes, purée, choux, lentilles, pois cassés, faits comme le reste par trop peu de personnel, sans moyens, ni triés, ni épluchés, ni passables. Le dessert pour le nom, parfois une pomme, une compote, ce qui peut s’écrire comme – et – qui coute le moins cher possible.
Ces repas nous ont souvent laissés sur notre faim.
Coup de sifflet, « Dehors, En ordre ! »
Enfin, le voilà dans la cour, libre ! pas longtemps !
« Le bleu ! à la musique ! ». L’on avait proposé à son père de lui apprendre la musique, et comme le père avant de répondre à un interlocuteur commençait presque toujours sa phrase par « oui » … il était inscrit à la musique … il dut se présenter au chef, un de ces adjudants de Toulouse, qui vous font faire de la musique comme une marche forcée… il terrorisait les musiciens qui recevaient plus de pelotons que tout le reste des élèves, il reçut comme instrument un piston bosselé et faux à souhait, un ancien, comme professeur, il dut souffler avec un bugle, un saxo et une flûte sous l’escalier, sans jamais savoir quelle note il réussissait, chaque récréation fut ce supplice, depuis … il subit la musique.
Le phraseur qui a prétendu que la musique adoucissait les mœurs l’a rendu enragé… Beau résultat, comme si les sourds n’avaient pas le droit de vivre. Belle culture en vérité, qui lui prit les seuls moments de liberté. Cela dura une année, Il fut heureusement renvoyé à la rentrée en deuxième A.
, A deux heures rassemblement devant les classes, contrôle des élèves et entrée, nouvelle matière, ainsi jusqu’à quatre, cinq ou six heures, puis dortoir, travaux de nettoyage, d’entretien, étude suivant l’emploi du temps,
Soupe du soir où l’entrée était remplacée par une soupe grasse tirée de la cuisson des légumes du dîner, … peu en mangeaient.
Le repas identique à celui du midi expédié, nous avions un quart d’heure de récréation dans la cour et étude. A huit heures trente, montée au dortoir, préparation des chaussures pour le lendemain, sur le palier, car pour entrer aux dortoirs, nous devions nous déchausser… l’hiver nous recevions des sabots de bois avec chaussons, les chaussons seuls servaient au gymnase.
A neuf heures, au coup de clairon de l’appel, nous nous trouvions au pied de notre lit, … contrôle de l’adjudant ou de l’officier,
« Couchez-vous ! »
Nous entrions dans des draps rêches, comme le sont les toiles de tente, l’hiver il y faisait très froid, deux petits poêles chauffaient ce qu’ils pouvaient, … notre charbon était rare, notre chambre immense, (40 m x 2 = 80)
Et pour dormir réglementairement, l’extinction des feux à dix heures, … le sommeil nous était compté, … ainsi les jours se sont suivis, lents, lents, si lents, avec si peu de nuit !
Les classes étaient divisées en cours d’une heure, le prof d’allemand baptisé « Zieben » ayant sept enfants et comme cela revenait souvent dans les cours, … il était chargé des notes de la 4ème A, son cours est resté inénarrable, parmi les enfants de troupe, … essayons … : personnage très haut, maigre, le col cassé dur, étroit, le chapeau vert, le grand imper vert passé, c’était la caricature du boche, le nez pincé , la voix gutturale de l’emploi. … manœuvré par les élèves qui le chahutaient à plaisir. … il montait sur le bureau, « das Fenster, en redescendait, allait à la Fenster, revenait, repoussait un grognement, « der Tiche », et tapait sur le bureau… annonçant « c’est une table » allez-vous y retrouver ! avec lui, c’était la récréation, sur ses nombreux passages, les feuilles de papier se glissaient sournoisement, punaises dessous, si bien qu’il se débattait avec des pieds larges, larges, et bruissants, c’était Charlot !
Le brave homme piquait une crise, n’ayant jamais appris l’allemand, qu’à ceux qui le savaient, se méfiant du piège, mais l’oubliant un instant pour en ramasser plus, … un élève du fond l’appelait « m’sieur, m’sieur » et … re …
Il n’a jamais compris comment il put traîner autant de papier, alors qu’au départ les allées semblaient si nettes, … je crois bien que son tabac disparaissait d’une façon fumeuse. … il nous a bien fait rire, n’est-ce pas le meilleur souvenir ? mais le boche n’est pas entré, bien heureusement !
Le prof de français s’était un instituteur faisant son service, ayant rang de sergent, qui zozotait tant, que Musset sortait de l’échappement d’une cocotte-minute surchauffée…il fut remplacé plus tard par Charlot, c’était un peu mieux mais lui parlait corrézien, avec le nez bouché, il y a des gens qui ne savent pas choisir leur profession, et d’autres qui acceptent n’importe qui, « Prenez votre grand’mère »
Il y avait Sommesomme le prof de physique-chimie, un tout petit, heureusement frisé, il eut été invisible sans cela … qui faisait des expériences, qui ont quelquefois réussi, président de la ligue antialcoolique, et ayant recruté tous les bretons… les seuls qui revenaient de perm avec une belle cuite ! Sans doute pour voir ? les bretons ne buvaient pas le vin mais si bien le cidre !
Et se trouvaient rayés de la sainte ligue …
L’amphithéâtre où il régnait était meublé d’une galerie de sciences nat. Avec un squelette de femme, ZAZA, un jour, un fil à la mâchoire, : clac ! clac !, rires sournois des élèves,.
Sommesomme lève la tête et enfin voit la bouche grande ouverte, se précipite sur « sa » femme ; le tireur tire pour casser le fil, fait s’écrouler le tout en un tas d’os, casse le fil !
« Debout ! Immobiles ! » le coupable n’a pas été retrouvé, nous n’avons pas eu de dessert non plus, mais des mauvaises notes … Ces notes ! quel supplice, pour celui qui y a cru !
Le prof de maths, celui-là comme tous en cette matière, ne riait jamais, c’était la sévérité rigide, l’empreinte que laisse cette matière sur ceux qui en font profession les retire du monde…
Ce sont des machines, sans autre raison, que des angles, des droites, des X et Y, comme hommes, des minus dits savants, …
rien en dehors des maths…
La pensée la plus faussée, quel résultat au bout d’une vie de perroquet, j’en ai connu un en captivité, qui les mains au dos ne répondait que oui-non… pas un autre mot en cinq ans…
Le prof d’histoire … lui il la savait .. il ressemblait à Danton : Sanfourche ni-vélo… ne faisait de l’histoire que celle de la Révolution, grand, large, il s’appuyait sur le bureau, et tordant les lèvres vous laissait d’une voix tonnante « Danton était d’une laideur magnifique ! » La voix valait la phrase !! sa face grimaçait, rougeoyait, le tête lentement s’élevait, Il était magnifique … c’est tout ..
Non, un jour, un de nos voisins voulant se venger d’une taloche et de nombreux jours de régime… vint dans notre classe pendant la récréation, fixa le demi-bec d’une plume traîtresse sur sa chaise.
Et nous vîmes en entrant, Sanfourche le geste large envoyer sa serviette sur le bureau, escalader l’estrade comme pour l’assaut de la Bastille, envoyez un « Assis ! » et s’asseoir, remonter plus vite, se tenir le derrière, et lancer « Debout ! » nous nous relevâmes plus lentement, car nous ne comprenions pas … le prof descend de l’estrade hurlant : « qui a fait cela ? » allant à la porte « je vais chercher le Commandant ! » les deux mains sur le derrière… Revenant à son point de départ « je vais chercher le professeur principal », revenant, « je vais trouver le professeur de votre classe », même manœuvre ! Pour enfin s’arrêter et voir la tête hilare de Costes il y avait de quoi ! Costes tête d’auvergnat ! Celui-ci reçut des deux mains lâchant leur derrière, une double gifle… qui envoya à son tour Costes vers la porte « je vais me plaindre au Commandant », vous n’avez pas le droit de me frapper M’sieur !
Revoyage du prof pour rattraper Costes…
Je crois que le cours se passa debout, sans autre résultat sans coupable non plus … ceux-là étaient toujours introuvables … la loi du silence était une de nos défenses... on en avait si peu…
Le professeur de dessin c’était un homme âgé, mais qui répétait à chaque départ cette phrase célèbre parmi nous « et vous ne ferez pas comme à l’habitude, vous n’emporterez pas mes crayons et mes gommes ! »
Il savait fort bien que le crayon neuf était coupé et rendu en mini, car l’État était très chiche de la moindre fourniture… malheur à qui cassait sa plume, et acheter un crayon à la cantine, ce n’était pas un bénéfice…
Cet homme Monsieur Dorlant était pour nous un réconfort en cas d’ennuis, il n’hésitait jamais à présenter une requête… je crois maintenant que ce qui le différenciait de tous, c’était sa douceur … elle était si rare en cette Ecole …
Après les classes, l’atelier, le règne de la Vache Noire, sergent-chef d’aviation et moniteur chef, là il fallait venir en treillis, les dits treillis blancs, comme de bien entendu, flottants, léchant l’étau, car il y avait même un atelier pour nous préparer dans le cas où nous aurions demandé l’Enseignement Technique de Tulle.
Le travail consistait à limer... avec les conseils et les refrains de nos moniteurs, soldats d’aviation bordelais, comme il se doit « Lime, lime donc, Ah Zut » … plus facile à dire qu’à faire !
C’était un mauvais moment à passer, noir, huileux, et l’inlassable Vache Noire, qui hurlait dans les oreilles au moindre relâchement.
Nous avions des pieds à coulisse qui ressemblaient plus à des clés à molette qu’à des engins de mesure.
L’économie était là aussi...
Les équerres en cherchant bien, il y en avait bien une qui voulait bien contourner votre pièce sauf toutefois au dernier angle.
Ce n’était pas du travail, pas de l’ajustage, l’atelier c’était une souffrance ! … et la Vache Noire ! …
Par-dessus cela il y avait l’étude, heures de silence obligatoire, où chaque prof prévoyait que ce temps lui était dû. .. vous le ferez en étude... devoirs en conséquence …
L’instruction militaire nous est donnée le jeudi matin, c’est la marche au pas, le demi-tour, le garde-à-vous, le salut, pendants qu’une fraction passe aux douches, échange son linge, complète certaines corvées de feuilles, lave une doublure, matricule, coud ses boutons…
Le soir, nous avons promenade, je me souviens toujours de cette première promenade, bleu et n’ayant pas fait d’exercices, nous partons au pas cadencé, si le pied se trouve bien au départ, ça va, mais une fois sur deux, ça ne va pas, A un ! le pied gauche ... je ralentis, et place le pied en même temps que celui qui me précède, et le suivant « il ne sait pas changer de pas ! Bleu ! » oui mais cette solution est invisible dans la colonne, et je constate que le caporal n’y voit que du feu ! tandis que mes camarades qui sautent en rappelant le pied arrière ne manquent jamais de se faire remarquer... et il vaut mieux pas …ceci pour le rang ; la promenade suit les grilles du château, passe la grande porte du parc nous allons vers le 4ème Hussard, là des soldats à cheval sabrent des mannequins… c’est du style Empire ! comment des chefs qui ont à cette époque l’expérience de la guerre 14/18 peuvent-ils imposer de pareils exercices ! comment a-t-on pu conserver un seul sabre ! un seul cheval ! quels idiots !
Cela fait bien… un sabre… cela suffit pour faire un officier.
Nous quittions le parc du château au tapis de gazon ras, que nous ne voyons qu’à travers les arbres, la cour étroite de l’école, ce parc était la liberté, pour le rêveur et pour de jolis petits canards jaunes, les « Zéphirins » toujours à l’affut d’un déchet de pain, si gloutons qu’en attachant deux morceaux de pain, ils formaient un couple ... pardon petits canards, ... nous n’étions pas nés bons…
La promenade longeait des bruyères où un nombre incroyable de lapins sortaient de terre, à croire que tous les terriers étaient pleins, que le locataire ne trouvait pas de logement, en plein jour, à deux pas d’une colonne bruyante, ils culbutaient, plongeaient disparaissaient, revenant grouillants, et vifs comme des balles, crochetant, examinant un instant sur leur derrière, curieux comme les villageoises de Baugy, un jour de foire... faisant voir leurs queues blanches ainsi qu’un jupon… presque des jouets dans un léger brouillard de sable. Et c’étaient ces pauvres bêtes qui étaient tuées par la meute des chasseurs, les Invités du Président… c’était de la chasse dans un clapier, pas étonnant qu’ils fussent et bourrés de tant de plombs… et d’os…
Enfin nous gagnions la grande forêt, aux allées rectangulaires, des chênes de taille régulière, sans sous-bois, un bois comme un jardin, je n’en avais jamais vu de si bien entretenus… mais je crois bien que pour ma première promenade, si le bois eut ressemblé à celui du Berry, jamais l’on ne m’aurait repris…Alors que là, on voyait bien à travers, nos caporaux de surveillance ne nous perdaient qu’un instant de vue et, encore, car en collet-manteau bleu horizon, vous savez cette pèlerine sans manche, qui sur le sol fait un demi-cercle, avec un col qui en fait un autre petit, et se referme autour du cou comme une patte d’étrangleur, et qui ne le laissera que pour tomber à terre … en éventail. Nos bras étant dessous, cette affaire flottait au vent, et en fait ne convenait qu’à des personnes sages, fort âgées, aux facteurs pour protéger leurs lettres, parfois à un épouvantail… mais à treize ans il eut fallu un autre vêtement !
Nous nous en servions très bien au bout d’un certain temps, j’ai vu des anciens jouer à la belote en marchant au pas cadencé, il faut le faire ! …
En colonne par trois, les joueurs étant de part et d’autre de la fille, celui du centre au niveau des deux premiers faisait office de table, recevait la carte, la montrait aux suivants, gauche et droite derrière, une collaboration du centre suivant qui marquait les points. et cela allait… pas de route, pas cadencé, les cartes tenues sous le collet voltigeaient, les parties se gagnaient, se perdaient, sans que le chef ne le vit… et je puis certifier qu’il y avait parfois deux jeux sur une section, se faire prendre, c’était perdre les cartes…
Et à cette époque de misère, l’impôt du timbre sur l’As de trèfle ne facilitait pas son renouvellement, aussi grande était la dextérité des joueurs.et crasseuses les cartes. Les parties continuaient et l’arrivée sur une mousse très souple qu’il nous arrivait d’arracher par plaques pour faire une bataille inter-sections, et vlan ! la mousse c’étaient les grenades, les javelots ne tardaient pas…les fougères étaient arrachées, les feuilles tranchées en laissant le bouquet du haut et zim ! la racine vous arrivait dessus, on rejetait l’ennemi.
L’arrachage de ces fougères était fort dangereux, car une tige un peu pliée se transforme en rasoir, et gare aux doigts s au moindre glissement.
Les distractions étaient parfois plus calmes, les uns contaient des histoires, des faits de guerre entendus de leur père, des faits de journaux, la préférence allait aux luttes de sioux, le film américain muet, permettant cette reconstitution, et le même film pouvant fournir plusieurs histoires, toutes aussi vraies les unes que les autres, le conteur pérorait autour de sa cour, cour qui éliminait le non habitué, sur son ordre, le grand Boila. Xxx se courbant au-dessus de ses petits auditeurs,… nous avions un mulâtre Bernastoni, garçon très fort, rieur, pas toujours inspiré, ayant décidé de jouer au sioux contre indiens ce qui est très proche comme chacun sait. Il fut entendu de choisir un nom de guerre « bon, commence » « non toi ! » « bon ! alors je prends » – réflexion – « Pied sale »
Le nom parut si drôle que c’est un éclat de rire général qui fusa, et ne s’arrêta que pour rentrer… chacun imaginant sans doute les pieds de notre compagnon, … déjà bronzés, … dans leurs godillots et sales en plus !
Il lui resta.
Prendre un tel nom quand on a le choix parmi tous, les juifs ne sont que tas d’or, montagnes d’argent !! oui mais c’est moins drôle en boche : il y a une grande différence entre les noms reçus et les noms choisis… rêve et réalité.
La rentrée de promenade était assez attendue, pain et demi-choco. Puis le ciné… pour y aller « Direction le Théâtre ! » car dans la salle se trouvait une cabine de projection située sur la gauche, qui envoyait l’image sur l’écran de la scène, en biais.
Le tout était d’arriver assez tôt, il y avait comme dans toutes les salles de réception, une foule de panoplies, de cuirasses, de sabres, mais ceux-là étaient accessibles, de la scène, car c’était l’heure où les caporaux fatigués de leur surveillance étaient absents, le trou dans la machine.
Monter sur la scène et s’armer, l’un d’un flingue 74, l’autre d’une baïonnette et vlan ! c’était du vrai ! la seule partie militaire de toute cette école qui voulait l’être... en fait elle l’était beaucoup moins que n’importe quelle troupe de scouts que nous rencontrions, eux se croyant beaucoup moins soldats que nous… c’était pourtant et de loin l’inverse… Rambouillet, c’était l’école du silence,… la bonne discipline celle qui évite les histoires,… et fait gagner les galons à nos chefs.
Qui avait l’estrade, parfois une cuirasse, une demi-cuirasse sur le dos, repoussait l’ennemi armé d’un fusil si lourd que les coups étaient assez prévisibles, j’aimais assez ce jeu, mais, aujourd’hui je ne comprends pas qu’il n’y eut pas plus d’éborgnés… les armes étaient celles d’avant 86 parfois de l’Empire, tout cela s’entrechoquait, nous ne devions pas être si maladroits, .. le guetteur nous informait de l’arrivée du premier gradé… nous prenions vivement nos places sur les bancs ayant remis en hâte l’arsenal à sa panoplie, après moults préparatifs débuts de projection, films à l’endroit, à l’envers, la cabine étant en fer, nous ne perdions aucuns des bruits qu’il fut possible d’y faire, blanc et noir, Le déroulement tenait de la crécelle, du passage d’un avion et d’une moto de l’époque…. Le démarrage partait d’un ralenti allait crescendo se stabilisait, alors là tous aux aguets, nous cherchions à deviner, avec des Ha ! des Ho ! Lisant les titres à vitesses différentes, commentant, envoyant un « mais regarde il est caché derrière la maison ! attention ! » le film muet était tout à fait différent du film actuel, la salle s’enthousiasmait, vivait le jeu des personnages. La cadence où sont passés les films anciens les rend ridicules, ce n’était quand même pas cela, …
Les films à épisodes qui eurent le plus de succès fut un « Matisse roi des boxeurs »et les « frères du silence ». Il y avait tant d’épisodes que je ne crois pas en avoir jamais vu la fin. Les autres non plus d’ailleurs… et même pas toujours dans le bon ordre suivant l’expéditeur. Cela tenait du merveilleux, nous n’étions pas blasés d’électricité, de radio, et chaque film tenait du policier actuel, en fonction du caractère des personnages, chacun prenait parti pour le bon, le généreux, le film lui était toujours contraire si bien que la fin, toujours bonne, faisait pousser un soupir de soulagement amplifié par le nombre de spectateurs. En fait le cinéma de Rambouillet était bien l’un de nos meilleurs moments… le seul où nous ne faisions pas silence : le film lui était muet.
Puis le dimanche arriva, le matin c’était la préparation de la tenue de sortie, un peu l’avant perm, mais le démontage du paquetage, l’astiquage des boutons à la patience, quand tout était réussi, ou plus justement quand il était l’heure,…
Rassemblement, et pour les catholiques, inscrits par les parents, pas question de changer de religion…
Départ pour l’église, étant de taille moyenne je fus très régulièrement placé en tête, ce qui est assez difficile comme place, on est vu en plein, pas question de se retourner, le chef de la troupe veille au pas et gare s’il y a musique… pour l’église de Rambouillet ce n’était pas le cas, bien que la messe fut nôtre, il y avait des civils, parfois de nos officiers, mais aussi trois ou quatre jeunes, très jeunes filles, qui ayant reçu une commande sur le chemin de ronde, nous livraient avec un soin, une rigueur parfaite, soit cigarettes, livres interdits, etc…
Bien que l’argent civil fut converti en jetons de cantine (pièces de cuivre) il restait toujours quelque argent . Merci Mesdemoiselles, vous avez bien résisté à tous les noms d’oiseaux que vous donnaient nos chefs et quelques-uns des nôtres aussi, vous étiez presque héroïques et si rusées, Merci petites Rambolitaines.
Au bout de quelques jours les lettres familiales commencèrent à arriver, la distribution se faisait devant les classes vers midi, avant le passage au réfectoire, ce qui permettait si un colis était là de le vider dans les meilleures conditions … pour l’instant la troupe est en carré et très attentive à un nom … cela tient toujours de la loterie, l’arrivée du « Wagmestre » ce doit être de ce mots que se passent les soldats qui en ont trop ! Là il y avait un phénomène de Chiné, qui vous avait en bon parisien mis au point une forme de « salut-poisse » le mot était à la mode en cette région, qui consistait à passer la main devant la visière en piquant un arrêt instantané qui vous changeait le salut en un chasse-mouche de première, … c’était le dur de la section, un ancien ne craignant aucune sanction, les ayant toutes subies sans broncher, combien de fois fut-il conduit au Commandant …
Par sa ténacité, il finit par se faire renvoyer (Il finit policier ?)
Il se chargeait de nos réclamations, n’ayant peur d’aucun gradé, réclamant la justice comme on la réclame quand elle est due à cet âge. En cela un modèle d’homme tenace comme un dogue, - s’il nous valut bien des punitions collectives, interdites par le Règlement, il nous fit passer de bons moments. Adieu, cher Chiné.
Nous nous souvenons de cet hypnotiseur venu donner une séance récréative devant qui tu refusas de sombrer dans le sommeil, et qui ne pus t’acheter, tu n’étais pourtant pas riche.
Il y avait un autre type rare, Costes, qui pour une friandise à la cantine, les fameux rahat-loukoums, sautait du portique à terre et se cassa les chevilles …. Mais le plus rieur de nous, pourtant le plus isolé, se rappelant des détails qui échappaient, même aux profs, … ayant toujours raison, retombant mieux sur la conversation que du portique.
Capable d’obtenir une excellente note sans savoir sa leçon, en utilisant les données du prof… il y avait aussi les kracks de la classe, je retrouvais un jour le meilleur, sergent, prestidigitateur, aux armées… après Saint-Cyr, …
Cependant le plus effacé, le plus calme, sans un mot, celui-là se retrouva à Polytechnique, … ils sont bien rares !
L’instruction militaire, sauf la marche et ses dérivés, était absolument absente, ... connaître le morse, viser sur un trépied un disque, que l’on promenait pour faire le meilleur triangle possible… le morse sans autre savoir que les lettres, … sans écoute,
Quelques cartons à la 6 m/m comme à la foire.
La partie sportive à Rambouillet était le gymnase, en hiver, avec un terrible cheval d’arçon, qui me faisait une peur bleue, car le style de certains moniteurs peu doués, était de l’éloigner de plus en plus, l’on obtenait ainsi pour le plus doué la meilleure note, l’élimination se faisant par un plat-ventre sur ce cheval très dur. Et comme tous ceux qui admirent la performance… idiote… le sport français est un cirque pour les mieux doués physiquement celui qui a besoin d’en faire le petit gros, le malingre, qui ne réussiront rarement de bonnes performances, et qui, généralement en fonction de leurs possibilités s’appliquent mieux font beaucoup plus de progrès que les mieux pourvus en muscles, qui n’ont jamais de faire le sport qu’ils pratiquent : mettez une équipe de foot sur une barre fixe, ce sera d’une beauté ! mais la notation militaire et civile est ainsi ! … Mais à Tulle, beaucoup plus tard, le colonel Gibaud y mettra bon ordre.
Mais que de professeurs musclés sont des imbéciles et quand ils ont tous les droits, comme ici, des tortionnaires.
Quant aux médecins qui devraient faire cette surveillance, ils ont un beau métier, bien considéré, et sans aucun contrôle, comme ils ne sont que des hommes, ils sont aussi dangereux que les autres et pas mieux du tout, parfois pires… alors que nous les croyions à cette époque des puits de science, …Le Major : il était Dieu, père et fils, … il n’avait qu’une bonne situation !!
Nous arrivons à la piqûre le T.A.B. chauffé, nous en parlions depuis quelque temps, les anciens nous informaient de cette protection… deux vaccins en quinze jours d’intervalle, deux jours de repos et de fièvre, nous recevions le même vaccin que la troupe de cette époque ; prévenus, nous rassemblions les lits afin de nous passer les revues et livres…
« Direction l’infirmerie, à treize ans, uriner devant le toubib, l’envie coupée… lui qui avait quatre cents examens et piqûres à faire : énervé… puis la piqûre que je n’ai jamais su recevoir comme un bonbon. Le dos recevant l’aiguille, avec trois collègues, puis l’injection… depuis le médecin qui s’applique à chasser l’air de l’aiguille me fait penser à nos toubibs qui ne s’embarrassaient pas de ces détails… vous me direz qu’à chaque vaccination, il y en avait toujours un qui disparaissait… c’était faible comme moyenne.
Ainsi l’enfant de troupe recevra tous les ans qu’il passera dans l’armée, « ses » piqûres il lui faudra être âgé de trente-cinq ans pour en être dispensé… combien de médecins qui sont journellement en contact avec des malades s’appliquent un tel traitement ? Fais aux autres … combien d’officiers seront à ce régime, aucun naturellement… mais les enfants de troupe : oui !!
Quant au dentiste, n’en parlons pas, inutile de se présenter, les programmes, l’emploi du temps n’ont pas prévu un tel mal. Et si vous pouvez un jour être conduit vers ce praticien, il y a tellement de clients, que vous ne passerez pas, les officiers là oui bien sûr, et un ou deux sur quatre cents.
En fait, il ne faisait pas bon être malade, moins encore de ne pas être reconnu, c’était la cuillère d’huile de foie de morue ! et les 4 pelotons, …
Les pelotons ! c’était la menace constante de l’enfant de troupe … surtout du bleu, car ceux qui en étaient revenus avaient cette connaissance du martyr qu’était une privation de récréation, celles-ci étant inexistantes, pour ma catégorie de musicien… et la suppression du dessert, nous avons vu ce qu’il valait…en fait au maximum ils consistaient à tourner une demi-heure à midi et un quart d’heure le soir !
Mais ces punitions étaient contraires au règlement qui veut que les peines corporelles soient interdites … et le peu du règlement que nous connaissions nous avaient fort bien informés... il y avait bien des courses, des plats ventres, des escalades … selon l’exécutant, et aussi en passant vers les cuisines, l’intervention d’une cuisinière apitoyée sur un tel sort, qui bourrait les poches des punis, car les pelotons se faisaient en dehors de la vue de l’ensemble des élèves, dans les cours de l’entrée…
Parfois le Commandant intervenait d’un sermon très appuyé sur les « mauvaises conduites » « et vous qu’avez-vous fait ? »
« Mon Commandant, j’ai laissé tomber deux fois ma règle pendant le cours du professeur de math ! » … je vois toujours la tête du Commandant !! C’était tellement que cela n’avait rien arrangé du tout …
« Enfin, si tout le monde faisait tomber sa règle deux fois ! En voilà une classe !! »
Il fallait bien une conclusion à son cours !
Il ne lui eut fallu que des bons élèves… sans règle !
Un jour il surprit dans ma classe une bagarre au cours de l’étude, juste au moment où Perger mordait l’oreille du Caporal… une étude libre où le Caporal désirant lire voulait saisir le livre de l’autre... ce n’était tout de même pas juste…
Le commandant « si vous étiez mon fils, je vous jetterais dans le chemin de ronde ! » … et l’autre de penser « le chemin de ronde j’y descends bien tout seul, il y a le mur de soixante-six centimètres et un peu plus de fossé »…
Il y avait aussi la prison, la prison c’était règlementaire, c’était le grand épouvantail … elle fut méritée un jour par deux de nos évadés qui voulant aller au Mexique, Zanno et Mentin, se retrouvèrent dans un train de marchandises à Saintes…la direction était bonne, le retour moins, les gendarmes ramenèrent les deux déserteurs à l’École, ce qui fit sur tous une impression très désagréable, le tout étant dans cette affaire de ne point se faire prendre…
Au-dessus de cela le renvoi, celui-là n’était possible que dans les familles, et devenait impossible pour les pupilles de La Boissière… Rien n’est simple ! il y avait là quelques diables, mais je dois dire qu’ils n’en abusaient pas, les pôvres !
Ainsi par la répétition des jours vinrent les premières perms, nos vacances, ce fut une préparation intense, l’astiquage fut général, tout y passa, ce qui partait, ce qui restait, l’un pour l’enfant de troupe, le reste pour les gradés de l’École, .. le réveil fut en avance pour une fois… je ne crois pas avoir dormi cette nuit-là … qui sait traverser Paris ? le groupe du Centre à quelle heure ? Enfin le rassemblement … la gare… à la gare remise des permissions, … la mienne manque, ça ne fait rien, on te l’enverra, chez toi, voilà ton billet pour Paris… je pris le train Rambouillet gare Montparnasse, … traversée gare d’Orsay, cette fichue boîte à paquetage à la main, c’était la valise des enfants de troupe, et la poignée en fil de fer la rendait très pesante parce que très pénétrante dans les doigts !
Avec nos collets-manteaux bleu horizon, chacun avait une bosse, tel le facteur par jour de grande pluie.
En gare d’Orsay sui tous mes camarades eurent droit au quart de place au vu de leur permission, il se trouva que le guichet se trouva tenu par une femme, qui me refuse tout net de me délivrer mon billet bien que mes camarades l’eussent informé de l’omission, elle ne voulut rien entendre, depuis j’ai la conviction qu’une femme est de loin pire qu’un adjudant quand elle est de service !
Et comme je n’avais pas assez d’argent pour payer le billet entier… précaution de l’École … je restais seul, abandonné, mes camarades ayant passé le portillon.
Que faire ? retourner à la gare Montparnasse, et rue de Vaugirard chez mon oncle… comme j’allais sortir de la gare je rencontrais un employé de gare. Lui demandais le chemin … celui-ci me demanda pourquoi l’étais venu ici avec mes camarades …
Explication de la perm égarée, il me prend par la main, me conduit au guichet, explique vertement à la dame de me fournir le billet, lui criant que je n’étais pas en cet accoutrement pour mon plaisir, et m’accompagna au train, que je pris de justesse…. Enfin …
Les changements se firent bien j’arrivais à Avord vers onze heures du soir, neuf kilomètres à faire à pied par une nuit très noire.
Si une fois de plus on tient compte du certificat avant treize ans, le premier retour était et pour cause très sombre… je crois que sans le carcan de cet uniforme, je serais resté à la gare jusqu’au lendemain, … j’étais tellement rembourré, gratté, pressé de retrouver mes parents, que je marchais mécaniquement, tenant ma valise de bois tantôt d’une tantôt de l’autre, avec cette infernale poignée non seulement très fine, mais aussi pas assez large pour y glisser tous les doigts, la cadenas faisant clic et clac à chaque pas…
Je dus passer mon mouchoir dans l’anneau de la poignée, car le bleu charge toujours trop son premier bagage. ..
Quitter Avord, ce fut facile, le café Chedin brillait de ses lumières, et par ci par là, une lueur, mes souliers aux clous bien comptés résonnaient sur la route, une route heureusement blanche, revêtue de silex, avec ses nids de poule pièges, qui parfois accrochaient le bout de mes chaussures : je pensais « Levez les pieds ! »
J’arrivais bien aux Tortillettes, dans un bois de sapin, très encaissé plus profond qu’actuellement, plus noir que la nuit, ma marche, ma valise, le bruit de mes pas, le cadenas, tout cela allait vers Baugy, quand relevant la tête pour voir la route, dans la trouée, je vis une forme qui qui me sembla un géant, et qui m’attendait immobile… ma foi, j’en avais bien assez fait pour continuer, l’on verrait bien… et je vis un homme silencieux dans une grande pèlerine, comme celle des bergers, arrivé à sa hauteur, il se mit à marcher avec moi, je distinguais des traits rugueux, des pommettes saillantes, des rides… Non, je ne connaissais pas, enfin l’homme se mit à me parler, cela est très rassurant quand un homme parle,… c’était un ouvrier agricole polonais, qui venait travailler à Ondrée, son baluchon posé sur les épaules en avait fait ce géant… parlant très mal le français, si j’étais plus rassuré, sa conversation ne l’était guère, Ondrée Gross kapitaliste je savais que c’était la plus grosse ferme de la région, pour le reste… mes idées étaient floues, je savais par contre que les militaires étaient contre tous, sauf contre eux-mêmes, avec des alliés comme les gendarmes, la police, quelquefois les employés de gare…
Sauf les employées…
Je laissais donc parler mon bonhomme, qui m’a confié que la Pologne ce n’était pas bon, et espérait un jour être à son compte, cela devait être lointain, le salaire étant maigre, … les fermiers offrant le moins possible, ce qui est autant de gagné.
Arrivé à la route de la ferme, il me quitta. Seul, la nuit me sembla plus noire, je songeais à ma famille, à Précosse, à Luzille, à Jojo, à Bouffetout, aux autres… et arrivais fourbu à la maison…
Mon arrivée réveilla bientôt entendu toute la maisonnée, et ce fut une très grande joie pour moi de retrouver mes parents et mes sœurs, le lit me fut vite préparé, et dans ma chambre, dans mon lit, je passais rapidement tant on ne se rend compte de rien, une de mes plus belles nuits…
Ouvrant les yeux vers les neuf heures, en descendant à la cuisine, je fus très étonné, tout avait diminué, tout était petit… cette impression me gâchât une bonne partie de ce bonheur de se retrouver chez soi, pour mes premières vacances, les perms…
Elles passèrent bien sûr, et toutes les autres, mais de celles-là je me souviens très bien, l’on faisait encore le feu de bois dans la grande cheminée, les bluettes d’or montaient sur le fond noir au moindre choc.
Les rôtis se faisaient en tournant la broche devant les sarments, comme cela était déjà démodé à cette époque… je me suis toujours bien gardé d’en parler à mes camarades. Les moqueries étaient ce qu’ils savaient faire le mieux.
Ainsi mon neveu Jean disant à son Pépé « tu sais moi, je n’aime pas la cuisine faite dans des casseroles toutes noires. .. cher petit parisien ! »
Le retour, le contact des amis du Berry me fut moins pénible que le premier départ, et puis je savais que le retour était possible…
Rambouillet fut une suite de réveils, de corvées, d’heures de classe, d’études, de promenades, de messes, de repas, de piqûres, de douches, de matriculages… et cette fichue musique qui me priva d’une année de récréations… le professeur d’allemand ayant fait ressortir à ma famille combien il serait bon que je prenne des leçons d’allemand, étant arrivé quinze jours après le début de ce cirque, mes parents moyennant finances, avaient naïvement accepté, ce prof étant chargé du classement des élèves de 4ème A j’eus vite de meilleures notes. En plus de la musique, mes études libres furent prises par ses cours auxquels je ne compris que ce que je voulais : rien !
Le boche étant refusé par les élèves de Tulle.
Pour sortir de ce carcan, je choisis malgré les conseils de l’École, la partie technique, je supprimais l’allemand en seconde année, pour retomber pis… sur la Vache Noire… à longueur de matinée…
Fin du manuscrit rédigé dactylographié et relu par Parrain,. (Eugène Branchereau) non daté.
«Enfants de troupe »