Dernière modification par jolasjm le 29/06/2020.
Bonjour Xavier
Je n'ai pas de document parlant explicitement des peintures façon "tortue" sur les panneaux de crue des casemates du Rhin. Par contre, il existe plusieurs notices, notes et documents divers traitant de la question du camouflage de la fortification, et ce dés le début (notes sur les formes de fortification de la CORF en 1928).
Dans ce fouillis, il y a deux documents qui font référence :
- Une notice du 30 Juin 1933 intitulée "Notice destinée à guider les services locaux pour le camouflage de la fortification permanente" définit les grands principes de la façon de faire. Son introduction dit (je cite) :
"... Il y a lieu d'observer tout d'abord que le camouflage des ouvrages de la fortification permanente ne peut avoir pour but de dissimuler parfaitement ces ouvrages à l'observation terrestre ou aérienne ennemie.
En effet, quelque soient les mesures prises ... pour empêcher le repérage exact des installations ... , il y a lieu de penser que les emplacements des ouvrages seront connus de l'ennemi, même avec une certaine précision.
Dans ces conditions, aucun camouflage ne pourra jamais être assez parfait pour échapper, par exemple, aux vues des avions volant assez bas ou au repérage des photographies...
Les buts à atteindre semblent donc devoir être limités aux suivants :
- En temps de paix :
Tromper autant que possible les observateurs sur la nature exacte, l'importance de la construction ou tout au moins dissimuler à l'observation terrestre et aérienne - proches et lointaine - la nature et le nombre des armes, le degré de protection desdites armes, et les directions de tir vraisemblables.
- En temps de guerre :
rendre aussi difficile que possible le réglages des tirs de l'ennemi." (sic)
Tout est dit dans ce constat de principe.
En ce sens, le VRAI camouflage des casemates du Rhin est le panneau de crue lui même qui masque les embrasures et non son peinturage "tortue" qui naturellement ne trompe personne. Il empêche en effet l'observation des créneaux - pour peu qu'ils soient laissés en permanence - et le réglage d'un tir d'agression. En temps de guerre, il faut bien sur les rabattre, et là les ennuis commencent... et la peinture noire prend toute son importance.
Tout au plus le but de ces écailles de tortues était de masquer l'organisation des panneaux eux-mêmes, ce qui est illusoire par ce moyen.
Note que la technique du "panneau" (de crue ou autre) a été utilisée ailleurs pour masquer des embrasures trop proches de points de passage. Un exemple massif de cela sont les panneaux métalliques de camouflage d'embrasures de l'ouvrage du St Roch à Sospel, ou les panneaux en toile décrits dans la note sur le camouflage des embrasures de 75/29 de 1936.
Le fait est que cette notice initiale de 1933 était pleine d'idées aussi amusantes que théoriques, comme mettre de la terre sur les calottes de tourelles ou des cloches pour y faire pousser de l'herbe, ou tendre des filets en pente devant les façades de casemate et faire pousser de la végétation dessus. Autant de bricolages que l'expérience à montré comme étant difficile, imparfait, voire contre-productif.
Un des défis les plus impossible à gérer est que - pour les ouvrages importants - la forme et les "points focaux" du réseau barbelé ou de rails antichars, impossible à masquer à la vue aérienne, indiquaient tout aussi clairement qu'un panneau "c'est là ===>" la position des blocs de l'ouvrage ou celle de n'importe quelle casemate. Le fait est que les documents de repérage allemands, basés pour l'essentiel sur de l'observation aérienne, avaient dés 1936 repéré 98% de ce qui comptait alors.
Une deuxième instruction est donc venu corriger et compléter la première en précisant un certain nombre de techniques très opérationnelles et pragmatiques. Elle rappelle néanmoins le principe de base de la première : le camouflage doit avant tout masquer l'armement, sa nature et son orientation.
- Instruction provisoire sur le camouflage des ouvrages de la fortification permanente (Décembre 1938).
Cette note fait le constat d'échec des tentatives précédentes (je cite) : "Cet insuccès a conduit à limiter le camouflage à la dissimulation des embrasures et à l'atténuation de la visibilité des murs de façade aux vues lointaines."
Elle préconise deux choses pour les façades : les panneaux ou masques d'embrasure, et la peinture au noir d'une partie des façades pour en masquer les reliefs. Pour les cloches, bitume ou peinture mate granuleuse. Pour les dalles et talus : re-végétalisation. Pour les réseaux de rails ou barbelés : rien à faire du fait de l'étendue (au sens strict du terme !) du problème.
Voir une copie d'illustration ci-dessous montrant le principe du camouflage au noir, souvent complété de fausses embrasures.
Cette même instruction décrit la façon de masquer l'éclat métallique des cloches et cuirassements à l'aide de goudron rugueux ou de revêtements béton/pierraille (exemples : Bas St Ours, Hackenberg...).
Hormis cela, quelques éléments spécifiques aux casemates de berge : Dans un document commentant certains des projets de casemate en 1930, le Gal Weygand - alors chef d'état major général - demande à ce que toutes mesures soient prises pour empêcher les photos de détail des - parties actives - des casemates de berge à partir de la berge allemande tant durant la construction qu'ensuite en temps de paix. Le système de panneaux de crue répond à cette demande.
Cette décision générale est suivie d'une note du Génie de Novembre 1930 demandant à la Direction de Strasbourg d'effectuer des essais de camouflage de chantier et de constructions "dans diverses casemates choisies".
Concernant les lignes du Rhin, les relevés d'avancement de travaux de 1934 ne mentionnent ces essais de camouflage en forme que sur deux casemates de berge uniquement entre Seltz et Schoenau : celles de L'Auberge et de Christian. Ils sont décrits comme achevés. On peut en déduire que ces deux casemates ont servi comme un des terrains d'expérimentation des concepts théorisés en 1933. Le fait que ce type de camouflage destiné à masquer l'organisation des panneaux de crue n'ait pas été repris dans l'Instruction de 1938 montre que l'essai a été jugé probablement négatif (ou illusoire puisque les allemands avaient pu voir partout des panneaux de crue sans bariolage !).
Dans le fond, la période 1933-1938 a vu des essais de camouflage se propager un peu partout avec des approches assez variables, ce qui explique les choses parfois différentes vues ici ou là. L'instruction de 1938 essaie de recadrer les choses, mais la créativité propre à notre gent militaire a suscité des "créations" probablement jusque très tardivement.
Cordialement
Jean-Michel