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Garnison de sécurité ?



Fil ouvert par molvange ( 517 ) - Posté le 02/02/2021
Dernière modification par molvange le 02/02/2021.
Bonsoir

J'ai un tableau des garnisons des ouvrages de la RFM daté de mars 33, avec deux entrées : garnisons à effectifs de guerre et garnisons de sécurité.
A quoi correspondent les garnisons de sécurité ?

Je pensais d'abord qu'il s'agissait des effectifs de gardiennage, mais ils me semblent trop importants ... Garnisons le temps que les réservistes arrivent ?

Je mets en copie un extrait.

Michel




Réponse de jolasjm ( 6898 ) - Posté le 03/02/2021
Dernière modification par jolasjm le 03/02/2021.
Bonjour Michel

La notion de "garnison de sécurité" est théorisée proprement dans la "Notice provisoire organisation d'ensemble des RF et des troupes destinées à la défense" signée Gamelin, du 29 Juin 1932. Celle-ci est définie comme la garnison nécessaire à la garde et l'entretien de la fortification en temps de paix et à l'armement minimal durant une période limitée, en mode dégradé, en cas d'attaque brusquée sans préavis.

Il y est écrit que "Il importera cependant que, au moindre indice suspect, les organes actifs puissent recevoir une garnison dite "garnison de sécurité” réduite au minimum, mais susceptible cependant de servir une fraction de l’armement de chaque ouvrage suffisante pour empêcher celui-ci de tomber aux mains de l’ennemi"

L'armement "minimum" visé ici est environ la moitié de l'armement organique des blocs actifs de l'ouvrage, ou de la casemate (détail décrit dans la notice : 1 jumelage sur 2, les pièces d'artillerie essentielles, les cloches GFM...). Il est d'ailleurs précisé que ce mode dégradé n'est par ailleurs pas susceptible de durer.

Il y a eu un certain nombre d'aller-retours ensuite pour caler à la bonne jauge cet "effectif de sécurité". En pratique il se situe grosso-modo entre le quart et le tiers de l'effectif de guerre, ce qui explique les chiffres importants. Pour le personnel technique du Génie (electromécaniciens, tractions, radio-télécoms... mais pas de sapeurs-mineurs) il est même légèrement plus important.

Ceci explique aussi la notion de camp de sureté (camp destiné à accueillir ces garnisons de sécurité) et leur dimensionnement initial à une compagnie par bataillon (pour simplifier, en gros le tiers de l'effectif), et le concept de détriplement des effectifs à la mobilisation (un RIF en crée 3).

En temps de paix, cet effectif de sécurité sert au simple gardiennage (une petite fraction de l'effectif de sécurité) et à la patrouille de surveillance des organes de la fortification, et s'instruit au maniement des armes spécifiques des ouvrage. L'effectif de garde permanent de l'ensemble des organes de la RFL était estimé à 180 sous-officiers et hommes en 1933 (3 ou 4 personnes par groupe géographique de casemates, 6 ou 7 pour un ouvrage...). Le reste de l'effectif de sécurité était au camp ou à l'instruction.

Ensuite, ces effectifs de sécurité furent définis organe par organe (sans doute l'origine de ton document) puis ajustés en fonction des enseignements de exercices d'occupation d'ouvrages à partir de 1934-35. C'est pourquoi ces chiffres ont varié en plus et en moins au fil du temps.

Il est important de comprendre que cette notion d' "effectif de sécurité" est la composante essentielle d'une des fonctions principales de la ligne Maginot - qu'on oublie parfois au profit de la notion de muraille de Chine permanente - : parer en priorité à une attaque surprise non anticipée. Cet notion d'effectif de sécurité est donc indissociable de celle d'avant-poste et de couverture de la frontière : tout ce qui est devant la ligne principale de résistance (postes GRM, avant-postes, DMP, maisons-fortes...) avait un rôle essentiel de retardement en cas d'attaque brusquée pour permettre à l'effectif de sécurité d'arriver à ses postes de combat avant que l'ennemi soit sur l'ouvrage. D'où la proximité aussi des camps de sureté et des casernements légers d'ouvrages.

Amicalement
Jean-Michel

PS : à la relecture, je me dis que ce sujet pourrait faire une bonne page du dico. Tout enrichissement ou éléments autres relatifs à cette question seront bienvenus pour ajuster le contenu de cette future page.


Réponse de Pascal ( 5296 ) - Posté le 04/02/2021

Bonsoir

Il existait également un réseau téléphonique dit d'alerte correspondant à cette mise en ouvre de la fortification avec des effectifs réduits.
Il était composé de quelques centraux principaux et des téléphones étanches que l'on voit dans les ouvrages. Ces derniers correspondent à la configuration minimale du réseau permettant de relayer une alerte, de donner des ordres et de retransmettre des situations.
Des liaisons temporaires étaient établies dans les centraux téléphoniques non occupés de manière à permettre l'acheminement des communications. Ces liaison étaient retirées dès que le central était doté de son personnel.

Amicalement, Pascal


Réponse de molvange ( 517 ) - Posté le 05/02/2021

Bonjour Jean-Michel et Pascal

Vos réponses font complètement sens.

Ce besoin de réactivité à une attaque brusquée est effectivement rappelé dans nombre d'autres documents antérieurs à la guerre.
Cette approche est assez peu compréhensible quand on pense à la longue période d'attente, avec une masse énorme de troupes amassées dans et autour des ouvrages. Mais bien compréhensible dans la crainte d'une attaque brusquée. Celle-ci était-elle possible dans les années 30 ? J'imagine mal cette attaque brusquée même après la réoccupation de la Rhénanie en 36.

Je peux envoyer le document original, ou en faire une retranscription sur un tableau, sans doute plus lisible.

Amicalement

Michel


Réponse de jolasjm ( 6898 ) - Posté le 05/02/2021
Dernière modification par jolasjm le 05/02/2021.
Bonjour Michel

Tu poses les bases d'un débat de fond sur la justification de la ligne Maginot et l'évolution des conceptions qui ont transformé ce qui ne devait être qu'un simple outil au service d'une stratégie offensive à une "fin en soi" défensive.

Genre de débat qu'il est préférable de tenir devant une série de bons breuvages, en bonne compagnie, dans un lieu convivial. C'est d'autant plus complexe que c'est indissociablement lié à l'évolution de la relation franco-allemande entre 1920 et 1935 et à celle du paysage politico-économique français de l'époque.

Il y a bel et bien plusieurs facteurs, bien avant 1936, qui expliquent cette préoccupation d'armer la ligne Maginot dés que les chantiers en laissent la possibilité à partir de 1933 et cette inquiétude face à une attaque brusquée. En réalité dés le début des années 20 et le lancement des réflexions sur la défense des frontières par le ministre Lefevre, la question de l'occupation de la future fortification s'est posée - au moins dans le principe. On ne bâtit pas un château sans prévoir quelqu'un pour l'occuper. A ce stade, la vision Foch/Joffre était claire : on porte le feu chez l'ennemi (la "garde au Rhin").

A cette même époque l'arrivée au pouvoir en France en 1924 d'un gouvernement de gauche a accéléré la tendance d'orientation vers la défensive : cela s'est traduit par le Traité de Locarno (1925-26), et par le Pacte Briand-Kellogg de 1928. Briand était un pacifiste convaincu. Les études préliminaires de la ligne Maginot se sont donc déroulées dans un contexte politique nettement propice à la défensive, qui a fini par biaiser la pensée stratégique militaire. Cela se traduit aussi dans les plans de mobilisation de l'armée après 1918 : tous ces plans du plan T (1920) au plan Abis (1929) sont nettement offensifs. Après ils deviennent à tendance défensive. A noter aussi que le réarmement du front sud-est affaiblissait mécaniquement le potentiel offensif possible du nord-est.

Le premier facteur structurant, bien avant la réoccupation militaire de la Rhénanie par Hitler, a été l'évacuation en Juin 1930 de la zone occupée en Allemagne par les français. Le glacis protecteur de la "Garde au Rhin" disparaissait donc en même temps que la certitude de pouvoir maintenir un éventuel nouveau conflit avec l'Allemagne en dehors de nos frontières. La stratégie évolua donc de la "Garde au Rhin" vers "la course au Rhin". Le traumatisme des destructions de 1914-18 sur le sol national (10% totalement ravagé) était très présent militairement et politiquement. Il était donc nécessaire dés 1930 de garantir cette inviolabilité dont le glacis n'était maintenant plus protégé. Mais avant de "courir au Rhin" encore fallait-il pouvoir mobiliser, dans un contexte d'arrivée à l'échéance 1934-36 des classes creuses héritées de 14-18.

Le deuxième est l'arrivée au pouvoir de Hitler en Janvier 1933. La lecture à cette époque là de "Mein Kampf" écrit près de 10 ans plus tôt laissait peu de doute sur les pensées profondes du nouveau Reichskanzler quant au traité de Versailles et la place de l'Allemagne... La disparition des moyens humains d'une éventuelle "course au Rhin", l'apparition d'une Allemagne maintenant clairement revancharde, et la mise à disposition progressive d'un outil fortifié en cours d'achèvement qu'il fallait apprendre à utiliser sont autant de facteurs déclencheurs des réflexions autour de la notion d'effectif de sécurité.

Avant même la remilitarisation de la Rhénanie, un autre événement a rejustifié (s'il le fallait) cette prudente anticipation: la réinstauration de la conscription en Allemagne en Mars 1935 et les signes évidents de réarmement n'ont fait qu'amplifier le besoin d'avoir une frontière "imperméable" à une attaque brusquée. Le plébiscite de rattachement de la Sarre au même moment - plébiscite qui avait été anticipé depuis un certain temps par les analystes politiques de l'époque - n'a fait qu'aller dans le même sens. Il fallait oublier l'idée d'utiliser cette zone comme champ de bataille avancé.

Si tu ne l'as déjà fait, je te recommande la lecture du livre du Gal Tournoux : "Haut-commandement, gouvernement et défense des frontières du Nordet de l'Est - 1919-1939", Ed Nouvelles Editions Latines (1960). Bien que pas totalement impartial (Tournoux a été impliqué personnellement de façon importante dans la construction de la ligne Maginot), ce livre apporte un éclairage politico-géo-stratégique fort intéressant sur ces questions, à mettre en perspective d'autres analyses plus récentes comme "l'inexorable défaite" de J-Y. Mary.

Amicalement
Jean-Michel



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