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Maçonneries du Galgenberg



Fil ouvert par mathieju ( 262 ) - Posté le 20/02/2021

Bonsoir,
De nombreux visiteurs sont surpris en découvrant les belles maçonneries des galeries secondaires (vers les blocs 1 à 4) du Galgenberg (photo jointe), et interrogent sur le pourquoi d’un travail aussi soigné, qui semblerait à priori avoir demandé bien plus d’efforts que nécessaire et un coût plus élevé. Les quelques ouvrages que j’ai visités et les photos ou vidéos disponibles ne montrent généralement pas une disposition semblable de pierres équarries en lits de hauteur uniforme, sauf peut-être à Soetrich, avec un rejointoiement moins accentué. On trouve le plus souvent un appareillage irrégulier, ou plus grossier, avec des moellons « tout venant » d’origine locale et souvent un bourrage de mortier dans les joints (photo de Molvange).
Descendant d’une famille de petits entrepreneurs en maçonnerie, travaillant beaucoup la pierre dans les années 50’s et 60’s, j’ai observé et appris les pratiques de maçons. Fort de cette expérience, je vais tenter une explication que je crois rationnelle.

En tout premier lieu, il convient d’en référer aux instructions du Génie. La notice relative à la construction des galeries souterraines du 23/7/1929 spécifie qu’en présence de terrains argileux (particulièrement) le chantier de déblai ne doit devancer que de très peu celui de la maçonnerie, ce qui est d’ailleurs aussi dans l’intérêt d’une économie sur l’étaiement. Suivant quelques références publiées il semble qu’au Galgenberg on se trouve dans la marne grise, argile et calcite, sensible à l’eau et bien concernée par la recommandation.
Autre détail important, les galeries concernées sont très étroites : 1,50-1,60 m. Il reste donc bien peu de place de part et d’autre de la voie de 60 de chantier, avec le passage des wagonnets-tombereaux faisant au moins un mètre de largeur à la benne, qui évacuent les déblais depuis le front de taille en traversant le chantier des maçons.

En première option, une maçonnerie en pierres brutes épincées sur une seule face exige que le maçon dispose d’un stock suffisant pour faire dans le tas le choix d’une pièce qui « collera » au mieux entre ou contre les voisines. Il devra généralement la rectifier à minima si nécessaire par quelques coups de marteau. Le temps d’exécution dépend de l’oeil de l’ouvrier, de son expérience, et de la taille du dépôt à sa disposition. Ce choix consomme une quantité importante de mortier.

L’autre option qui a dû être choisie au Galgenberg demande d’équarrir les pierres brutes sur un chantier extérieur, en surface, et de les ajuster en un minimum de hauteurs différentes. Les pierres ainsi taillées peuvent être livrées sur wagonnets à plateau et éventuellement mises en place directement au déchargement avec une quantité de mortier relativement faible. La vitesse de pose dans la galerie est nettement améliorée.

Ce n’est donc pas un souci esthétique mais un choix économique qui a guidé l’entreprise. Ceci n’explique pas le soin apporté à la réalisation des joints, bien que le fait d’avoir des couches régulièrement espacées à joints minces autorisait l’usage de gabarits, impensable dans le cas de Molvange, par exemple.

Les équipes de creusement et de maçons travaillaient bien au plus près l’une de l’autre. Aussi, lorsque deux galeries se rejoignaient, s’il y avait une petite erreur de mesure, il n’était pas possible de la corriger en douceur sur une certaine longueur. C’est ce qui explique les décrochements qu’on observe dans les parois des galeries (photo). La mesure de ces décrochements (de l’ordre de 20 cm) définit la précision des appareils de mesure (théodolites) de l’époque, et c’est assez remarquable en souterrain.
Si quelqu’un dispose de documents (instructions, contrats, rapports) sur le sujet, je serais heureux de les confronter avec mes vues.
Cordialement.
Jules




Réponse de Pascal ( 5337 ) - Posté le 20/02/2021

Bonsoir Jules

Grande question que je me suis posée lorsque je faisais partie de l'équipe du Galgenberg.
Une partie de la réponse nous a été donnée par une personne fort âgée qui au début des années 1990 était restée un certain temps à regarder l'entrée munitions de l'ouvrage.

Sortis pour prendre une pause, nous avons eu la chance d'échanger avec ce visiteur impromptu qui nous a raconté que, dans sa jeunesse, il faisait partie de l'équipe de maçons ayant travaillé à la construction.
Lui et ses collègues avaient passé un temps fou à construire ces voutes maçonnées parfaitement jointées lorsque le Génie, changeant son fusil d'épaule, demanda à ce que les parements soient crépis afin de pouvoir etre peints en blanc pour permettre un meilleur rendement de l'éclairage.

Nous avons douté de son histoire et , nous emmenant à l'usine, il nous a démontré qu'il avait raison. L'usine était initialement maçonnée tout comme la galerie menant vers les blocs 1-4 et la preuve est que, derrière les coffrets électriques de l'usine qui étaient déjà en place et ne pouvaient etre démontés, le crépi n'ayant pas pu etre fait, la maçonnerie jointée était bien visible.

Le constat est qu'aujourd'hui, les seuls parements en mauvais état sont ceux qui ont été crépis, la pierre respirant naturellement et supportant fort bien les eaux calcaires.

Amicalement, Pascal


Réponse de jolasjm ( 6945 ) - Posté le 21/02/2021
Dernière modification par jolasjm le 21/02/2021.
Bonjour Jules

Vaste question qui risque de demander plus qu'un simple fil de discussion.

Quelques généralités :
Dans le cas du Galgen comme de tous les autres ouvrages du Nord-Est, on est dans le monde des entreprises civiles (moins vrai dans les Alpes où une partie des ouvrages CORF ont été construit, en tous cas le gros oeuvre souterrain, par la MOM).
La qualité du travail visible sur les maçonneries visibles ici ou là est donc directement liée à "l'art" du maitre maçon et plus généralement à la qualité du travail de l'entreprise de travaux publics, mitigé par le degré de compétence et de rigueur du chef de chantier militaire.
Tu as raison, comme on est dans le monde des entreprises civiles, ce sont les termes du marché passé entre l'armée et l'entreprise qui prévalent et c'est exactement là qu'il faut creuser pour trouver des réponses sur les écarts constatés dans la qualité du travail de telle ou telle entreprise.

Petite digression sur le mode de passage de marchés et les conséquences :
L'armée délivre au moment du lancement de l'adjudication un cahier des charges contenant des documents généraux de cadrage de contrat et des spécifications techniques (dont la notice du 23 Juillet 1929 que tu as évoqué). Sur les chantiers de type "gros oeuvre", on fonctionne sur le système de la "série de prix" par lequel l'armée spécifie un prix standard qu'elle est prête à payer pour un poste de travail (par exemple "pose de 1 m3 de maçonnerie de galerie en souterrain") et les entrepreneurs répondent en proposant un tarif avec moins-value ou plus-value par rapport à la série de prix imposée par l'Armée. Ensuite le paiement régulier est fait à la tâche : l'entrepreneur et le chef de chantier du Génie tiennent en commun un "registre d'attachement" de chantier contenant toutes les actions et tâches réalisées au fil de l'eau. L'armée calcule ce qu'elle doit en prenant par exemple les m3 de maçonnerie posés dans le mois, et en multipliant par le prix correspondant de la série de prix, ajusté par la plus ou moins value.
Si l'entreprise "X" a eu le marché de construction au prix d'un fort rabais pour avoir le job contre la concurrence, elle sera moins tentée du faire du super travail pour éviter de perdre de l'argent à chaque m3 de maçonnerie posé...

Ces documents de cahier des charges de marché demeurent cependant très généraux et n'imposent en aucune manière un mode de réalisation des tâches, qui relève de la responsabilité seule de l'entrepreneur. Ils n'ont donc qu'une valeur largement indicative et le jeu ensuite est dans la négo au quotidien entre le chef de chantier du génie et le chef d'équipe de l'entrepreneur. L'entrepreneur peut faire comme il veut tant que ce qu'il fait est conforme aux règles générales du marché, qui sont à l'appréciation du chef de chantier... Quand il n'est pas content, il écrit un "ordre à l'entrepreneur" qui est une injonction formelle mise au dossier et qui servira en cas de litige. Si il y a eu une plus-value sur la série de prix, ou que celle-ci a été calculée large, ou que l'entrepreneur a des processus de travail qui mettent ses couts trés inférieurs au prix qu'il recevra pour son m3 de maçonnerie, alors il aura plus facilement tendance à accepter une demande de la part de l'armée allant dans le sens de la sur-qualité. Si au contraire il est juste, ou qu'il a bu le bouillon sur d'autres postes de travail, alors la négo sera raide, compliquée, permanente et se finira parfois en conflit commercial devant les tribunaux. J'ai quelques beaux exemples de cela sur les chantiers de Alpes...

Mais dans le fond le système est vertueux dans la mesure où il pousse les entreprises à faire au mieux et au plus efficace de manière à ce qu'elles maximisent leurs marges. Par ailleurs l'armée avait un net intérêt à avoir de bonnes relations avec les entreprises car celles-ci pouvaient être d'une aide considérable quand on tombait sur un problème "métier" dépassant les compétences de l'armée. Un autre bel exemple de cela est le cas de l'ouvrage de Gordolon : le chantier se déroulait dans une géologie tellement catastrophique et tellement gorgée d'infiltrations d'eau, que le Génie local n'a pas eu d'autre solution que de demander à l'entreprise Borie, en charge des travaux, de proposer des solutions. Ce qu'elle a fait d'ailleurs car avait eu à affronter une situation similaire lors du percement d'un tunnel ferroviaire dans les mêmes conditions. L'armée a accepté la solution - hors de prix mais incontournable - proposée par Borie sans même sourciller parce qu'ils n'avaient tout simplement pas le choix : ils étaient à deux doigts d'abandonner le chantier purement et simplement.

Deuxième petite digression rendu à ce point :
Le commentaire que tu fais sur la prise en compte de la géologie est un point absolument fondamental. La qualité ou les exigences en matière de construction sont directement liées au terrain dans lequel on creuse.
Et le fait est que ce point a été souvent et largement sous-estimé dans les chantiers CORF (les études géologiques attachées aux projets techniques d'ouvrages sont la plupart du temps d'une qualité risible, faite par un expert académique dont on peut se demander si il est même sorti de son bureau...). Dans les Alpes c'en est même devenu caricatural avec les chantiers CORF sous-traités à la MOM, qui n'avait quasiment aucune compétence dans le domaine.
En terrain pourri, la bonne pratique en effet est de maçonner le plus près possible du front de déroctage. Mais là encore l'application de cette pratique était laissée à l'appréciation de l'expérience de l'entrepreneur et du chef de chantier. Certains chantier du Nord-est, pour lesquels on a des traces formelles d'avancement de travail, montrent à l'évidence que ceci n'était pas respecté la plupart du temps, tout le monde considérant que la situation ne le justifiait pas... jusqu'au pépin type accident, effondrement de galerie, rupture d'étayage... Les cas les plus ennuyeux étaient là aussi dans les Alpes, du fait de la fermeture durant 8 mois de certains chantiers d'altitude pour lesquel le travail commençait l'année suivante à réparer les dégâts naturels advenus pendant l'hiver.

Les galeries étaient en principe laissées brutes de maçonnerie sans crépissage, sauf en cas d'infiltration. Les zones atteintes étaient alors systématiquement crépies pour étanchéifier. C'est pour cela qu'on va trouver des ouvrages où l'appareil de maçonnerie est visible dans les galeries et d'autres où il est masqué par un crépis d'assainissement, peint ensuite. La qualité de la maçonnerie joue bien sûr sur la qualité de l'étanchéité aux infiltrations, tout comme à celle du rocaillage (blocage) entre fouille et maçonnerie, et à l'existence et l'entretien d'un système de drainage d'infiltration de l'autre côté du piédroit maçonné. La bonne pratique consistait en effet à équiper l'arrière du mur (côté rocaillé vers le roc brut) d'un système de drainage et d'évacuation d'eau vers la cunette côté galerie. Là encore, ce principe n'a pas toujours été appliqué selon les résultats de l'évaluation commune faite par l'entrepreneur et le chef de chantier militaire. Ce point faisant alors l'objet d'une émission d'un "ordres de chantier".
Comme le dit Pascal, les locaux techniques ou d'habitation étaient en principe systématiquement enduits et peints. La raison en était - comme expliqué - pour des questions d'éclairement et de luminosité. Mais aussi pour les raisons d'étanchéité évoqués + haut (avoir de l'eau qui suinte des murs dans la sous-station n'est pas super top !), et aussi de préservation du moral des occupants. C'était déjà assez difficile de vivre sous terre, mais si en plus les locaux étaient sombres et lugubres, cela ne pouvait pas aller. Les premiers exercices d'occupation en 1934-35 avaient montré à l'évidence l'importance de cet aspect "moral". J'ai quelque part une note d'inspection (ou de visite) de responsables et de parlementaires qui mettaient en avant ces aspects.

La qualité du travail effectué par l'entrepreneur et le respect par lui des règles générales du cahier des charges était garantie par le chef de chantier du Génie. Le pauvre ne pouvait bien sur pas avoir l'œil partout sur des chantiers importants, et donc le risque de malfaçons (involontaires ou pas) était important. Quand c'était découvert, cela faisait l'objet d'une inspection contradictoire, d'une rectification et de pénalités dans le pire des cas. Là encore les dossiers de chantier, ou des services de contrôle (comme l'ITTF, qui inspectait annuellement une sélection de chantiers) contiennent des litiges en paquet, avec parfois des choses assez amusantes...
Les inspections annuelles ITTF soulevaient des opportunités d'améliorations générales, qui faisaient ensuite l'objet de notes techniques de synthèses à l'usage des chantiers. Ces notes ont été particulièrement pertinentes pour les chantiers souterrains réalisés par la MOM, qui n'avait qu'une fraction des compétences d'un entrepreneur civil.

Il y a eu de nombreuses erreurs d'alignement et de convergence de tailles, ce qui est quasi inévitable avec les moyens de l'époque, surtout sachant que les chantiers de creusement partaient de plusieurs endroits différents et devaient arriver au même point. Une des plus marquante est la baïonnette de la galerie du Hochwald Ouest. Les fronts de percement de la galerie principale en provenance du 1/2 ouvrage et des entrées se sont ratés d'un bon 20 mètres, nécessitant la création d'un zigzag pour se raccorder ! Il y a de nombreux autres exemples de ce type, qui souvent passent pratiquement inaperçus car repris au niveau des maçonneries et du vide entre celles-ci et la fouille, qui du coup nécessitera parfois un remplissage de cailloux de blocage importants.

Bref...
Alors pourquoi un résultat aussi magnifique au Galgen ? L'entreprise en charge devait avoir un maitre maçon de haut vol, qui s'entendait particulièrement bien avec son chef de chantier, et avec une adjudication ne mettant pas trop la pression sur les prix de revient... Verdun Fortification, en charge de cette tranche, n'avait qu'un seul autre ouvrage avec locaux maçonnés à faire : Kobenbusch. C'est difficile de nos jours, mais il aurait été intéressant de confirmer si le Koben a bénéficié de la même qualité de confection de ses maçonneries.

Les autres ouvrages ne sont pas comparables : pas les mêmes entreprises, et pas le même personnel du génie pour les surveiller. Pas surprenant donc qu'on obtienne des résultats visuellement différents : l'alchimie là n'était forcément pas la même.

Amicalement
Jean-Michel

PS : ci-dessous, extrait d'un cahier des charges spéciales de construction d'ouvrage ou de groupe d'ouvrages. Cela montre bien la relative liberté de l'entrepreneur...




Réponse de julien ( 48 ) - Posté le 22/02/2021

Bonjour,
Je ne connais pas bien le cas du galgen mais j’ai trouvé des choses intéressant à ce sujet au hackenberg.
En effet il semblerait qu’une grande partie voir toutes les galeries du hackenberg était en maçonnerie brute à l’origine mais avec différents degrés de qualité et de finition.
En effet la gare d’entrée a aussi été magnifiquement construite avec des beau joints alors que dans certaines galeries où la maçonnerie est apparente elle est bien moins belle et les joints portent les traces des coffrages supportant les voûtes.

Il semblerait qu’au fur et à mesure les galeries ont été crépît et repeint mais cela n’était pas fini lors de la déclaration de la guerre donc on retrouve différents états d’avancement des chantiers.
On retrouve donc l’état brute avec maçonnerie apparente et chemin de câble maçonnée, début de travaux avec maçonnerie apparente mais chemin de câble maçonnée détruite « proprement «  détruite à la masse, chantier a mis course avec les murs crépis non peint mais maçonnerie de voûte brute et chemin de câble métallique et travaux complètement finis.
L’entreprise de travaux a laissé des plaques avec les dates à laquelle les travaux ont été réalisés.
Tout ce que je viens d’écrire viens de constatation sur place sans recherche dans les archives ni témoignage.
Si vous avez plus d’infos...


Réponse de julien ( 48 ) - Posté le 22/02/2021

Ci-joint une photo des plaques de l’entreprise qui devait certainement crépir les murs des galeries ( cette société existant toujours) ainsi que les dates de réalisation du chantier




Réponse de jolasjm ( 6945 ) - Posté le 23/02/2021

Bonsoir

Les constatations sont meilleures que mille discours. Elles permettent de rattacher au réel des choses qui ne peuvent parfois n'être que théoriques dans les papiers :-)

Oui, le Hackenberg a fait l'objet d'un marché tardif d'étanchéité des galeries. A noter que les travaux avaient montré des malfaçons sur la galerie principale, notamment vers le demi-ouvrage Est, du à une sous-traitance défectueuse des travaux de maçonnerie par la Société d'Entreprises pour Travaux de Fortification. Le pot au rose avait été découvert à l'occasion de dénonciations sur fond de jalousies entre intervenants sur la chantier. Un bel exemple du fait que ces chantiers pouvaient ressembler au far-west par certains côté. Et c'était encore pire sur les chantiers isolés en haute montagne des Alpes.

En fait, la règle voulait qu'une bonne étanchéité à l'eau soit établie dés le construction. Dés ce stade on pouvait avoir à traiter ce type de souci : le passage de failles suintantes, ou de poches d'eau, etc, entrainait des mesures particulières mises en œuvre par l'entrepreneur, sur la base de son expérience. Cela pouvait aller de la coulée d'un anneau en béton côté extrados de la maçonnerie au droit de la faille, l'injection de béton de ciment dans les fissures, etc. En principe la pose d'un enduit hydrofuge d'étanchéité ou du goudron côté extérieur des voutes et piedroits dés après la pose de la maçonnerie était imposé. Cette approche n'était pas toujours appliquée avec rigueur par les entrepreneurs, car nécessitant de surdimensionner la fouille pour laisser un passage pour travailler entre celle-ci et la maçonnerie, sans compter les conditions de travail peu agréables dans un endroit pouvant être rapidement rempli d'eau. Le système de drainage extérieur (rocaillage du vide, drains maçonnés, étayages "oubliés"...) pouvait aussi entrainer des défauts. En outre, dés que le rocaillage de blocage était installé, il était impossible à l'inspecteur militaire d'aller vérifier la qualité de l'enduit de chape d'extrados...

Le traitement des infiltrations ou des fissures postérieurement aux constructions ont été au final de sérieux postes de dépense à partir de 1935. Sauf cas rares où il a été demandé à l'entrepreneur de démonter sa maçonnerie pour la refaire selon les règles (cela a été le cas au Hackenberg suite aux malfaçons constatées), la seule solution était de corriger le souci par des solutions palliatives.

Le ciment spécial Sika en faisait partie des solutions de correction d'étanchéité à posteriori, mais n'a pas été le seul utilisé car assez cher. Les problèmes pouvaient en effet arriver dans une deuxième temps ou s'aggraver avec le temps. C'était du aux mouvements de fissures du terrain, ou aux poussées mécaniques sur la maçonnerie quand le blocage drainant réalisé entre maçonnerie et paroi brute de fouille n'était pas réalisé dans les règles de l'art. Les déformations de terrain sont très visibles dans de nombreux ouvrages de nos jours, dont le Hackenberg. Ces infiltrations tardives pouvaient apparaitre incidemment à telle ou telle saison dépendant des précipitations. La fonte des neiges et les cycles gel-dégel étaient aussi un facteur important, par exemple dans les Alpes. Cela s'est traduit par une floraison de marchés de ré-étanchéité entre 1936 et 1940 sous la pression de l'armée qui considérait ces problèmes d'humidité et d'infiltration - outre les soucis techniques que cela pouvait créer - comme un risque pour le moral des occupants, pouvant aller jusqu'à la mise en cause de la solidité réelle de la construction.

Plusieurs solutions ont été employées pour corriger ces défauts. La plus classique était la pose intérieure d'un enduit étanche. Ce type de solution n'avait rien de nouveau, puisque déjà expérimentée sur les forts Séré de Rivières durant la grande guerre, et plus largement sur les travaux 1917. Plusieurs procédures d'application existaient dés les années 20, visant toutes une couche d'enduit de 30 mm au final :
- en une couche de d'enduit au ciment standard ajouté d'alginate (produit hydrofuge connu dés la fin du 19° siècle, issu des algues qui forme des chaines visqueuses bloquant l'eau), mais aussi simplement de savon...
- pour les infiltrations plus importantes : enduit en deux couches de 15 mm, la première avec un enduit spécial additionné de produits hydrofuges plus efficaces que l'alginate. Il existait alors des produits commerciaux comme le "Record 999" produit par la société "l'Assèchement" de Sarrebourg. Ce dernier avait le défaut d'être noir, et donc assombrissait les enduits, ce qui était compensé par la 2e couche de 15mm en enduit de ciment standard, plus clair, voir peint derrière.
- en cas de souci plus sérieux, on faisait alors une seule couche de 30 mm en enduit de ciment spécial massif, avec le ciment hydrofuge Sika ou d'autres équivalents.
A noter que la peinture mise ensuite sur la chape d'enduit n'avait pas qu'un rôle esthétique : les peintures ou lait de chaux à l'huile minérale ou à la graisse de boeuf (eh oui...) finissaient l'étanchéité en comblant les porosités éventuelles de l'enduit.

Des essais en 1925 et 1926 ont même eu lieu en lien avec la Marine pour tester des solutions de gunitage (projection de ciment spécial sous pression pour accélérer la pose - à Toulon), ou d'approbations techniques de produits commerciaux (locaux humides sur la forteresse de Belfort). Ces différents essais et expériences avaient fait l'objet d'une synthèse dans une revue du Génie de 1928. L'ensemble de ces évaluations a ensuite été intégré sous la forme de recommandations de principe dans les notices du Génie, et en particulier dans celles du 23 Juillet 1929 - déjà évoquée + haut - et celle du 23 Avril 1930 (Notice provisoire relative à construction casernement souterrain dans ouvrage puissant) qui contient tout un chapitre sur l'étanchéité.

Bref... la question de l'étanchéité a été un problème récurrent et il a fallu faire régulièrement du curatif quand le préventif n'avait pas été efficace. Comme pour l'ensemble des travaux, la mise en oeuvre des correctifs a été largement laissé à l'appréciation professionnelle des entreprises privées mandatées pour faire ce travail. Ceci explique qu'il y ait eu des choses visuellement assez différentes selon les ouvrages et les secteurs.

Cordialement
Jean-Michel


Réponse de mathieju ( 262 ) - Posté le 15/03/2021

Bonsoir Pascal, Jean-Michel et Julien,
Après quelques jours de silence forcé, je reviens sur ce sujet qui me passionne, en vous remerciant de vos volumineuses contributions.
En fait, l’explication donnée à Pascal par un visiteur relative à une amélioration de la clarté dans les galeries est celle que j’ai souvent entendue, et ce sont sans doute ses propos ont été à la source de cette information. Elle ne m’a jamais étonné en raison de la puissance très faible de l’éclairage de l’époque. Il s’agirait selon certaines sources (non vérifiées) d’ampoules de 15 à 25 watts, sans que j’en trouve confirmation dans des notices dont je dispose. D’autre part, selon mes visites et mes connaissances des ouvrages Séré de Rivières, ceux-ci comportent des puits de lumière dans certaines galeries, réalisés par cimentage et peinture en blanc de parois. Il reste au Galgenberg au pied de l’EH, du bloc 6 et dans l’usine des surfaces qui sont restées d’origine et qui n’ont pas cimentées. Il en va de même pour l’égout visitable, dont un plan prévoyait pourtant un enduit intérieur de 1 cm (??).
L’explication de l’éclairage semble assez rationnelle, mais n’est sans doute pas la seule.
Jean-Michel a cité le Kobenbusch, réalisé par la même entreprise. Je n’ai d’autres sources d’information que la vidéo suivante :
http://deep-darkness.org/wpdeepdarkness/videos-maginotlinie/#ueberflutet_maginotlinie
Il semblerait que toutes les galeries y ont été cimentées.
A ce sujet, je voudrais faire une petite digression sur l’aéraulique qui a peut-être influencé les décisions. Au Galgenberg, comme au Hackenberg, au Michelsberg, etc., une ventilation naturelle s’installe par différence des températures extérieures et intérieures dès qu’il y a la moindre circulation d’air possible entre la partie basse (EM) et les blocs, et elle n’est jamais absolument nulle. Elle se produit de bas en haut en hiver et inversement en été. Elle est nettement moindre dans des ouvrages en puits comme le Kobenbusch. A Molvange, l’ambiance est particulièrement désagréable avec beaucoup de particules en suspension dans l’air, même avec un gradient thermique important, et cela devait être pareil au Kobenbusch. Ce phénomène influence bien sûr la condensation sur les parois.
Pour en revenir à la maçonnerie, la disposition stratifiée (lits de pierres taillées de hauteur constante et bien serrés) n’a rien d’exceptionnel. C’était la règle classique qui prévalait depuis Vauban et qu’on retrouve dans les ouvrages d’avant 1914, et, comme je l’ai suggéré, elle me semble économiquement rationnelle par rapport à un avancement des travaux, sans travaux de taille en souterrain. C’est plutôt le rejointoiement – appelé « à ruban » dans certains livres d’architecture – qui est exceptionnel. Il semble que les architectes n’en appréciaient pas trop l’esthétique trop régulière dans les constructions civiles, du moins récemment. L’entreprise devait probablement disposer des outils adéquats dont je n’ai pas (encore) trouvé trace.
Quant à l’organisation du chantier, je veux bien croire le visiteur de Pascal, selon lequel la pose des voutes n’était pas simple. Les galeries de 1,50 m de large x 2,50 à 3 m de haut (cotes intérieures), voire 0,80 x 1,80 m pour l’égout visitable, nécessitaient un petit échafaudage de manière à avoir l’épaule des ouvriers un peu au-dessus du cintre de support, ce qui empêchait le passage de wagonnets. Je crois donc que le creusement et la maçonnerie se réalisaient en tournées séparées et que les cintres successifs étaient de largeur réduite, à moins d’augmenter la hauteur de la section creusée et le remplissage de la différence (des m3 supplémentaires). C’était un choix économique, avec une gestion compliquée des plus ou moins-values sur des prix unitaires standardisés.
Bien cordialement.
Jules


Réponse de jolasjm ( 6945 ) - Posté le 16/03/2021
Dernière modification par jolasjm le 16/03/2021.
Bonjour Jules et tous,

Ton message et comme toujours plein de choses intéressantes.

Concernant l'éclairage : oui, c'était à base de lampes basse puissance. Les dossiers techniques du commandant d'ouvrage que j'ai pu consulter pour un certain nombre d'ouvrage sud-est (pour lesquels on trouve encore ce genre de pavés techniques) montrent qu'on avait trois types de puissance d'éclairage :
- lampes de 15 W dans les endroits de simple passage (galeries), les petits locaux (réserves, etc) ou "accessoires" comme les latrines par exemple.
- lampes de 25 W dans les locaux techniques ou nécessitant d'y voir correctement pour faire son travail (usine, gares, cuisine, infirmerie, PC, chambrées...), même de petites tailles (typiquement on mettra du 25 W dans une niche pour ventilateur ou un renfoncement pour motorisation de monte-charge alors que la galerie attenante est toute en 15 W.
- lampes de 40 W dans les chambres de combat aux environs des postes de tir (25 W ailleurs...). On en trouve typiquement deux ou trois dans une alvéole de casemate de 75, une de chaque côté de la pièce et une au-dessus.

A noter la présence de lampes de 75 W pour l'éclairage de secours des usines (mais peut-être est-ce spécifique au S-E). Il y avait peu de lampes de ce type (typiquement 4 dans un usine où tu va trouver 15-20 lampes de 25 W). Selon ce que j'ai pu voir, seules les usines ont ce type d'éclairage "boosté". Circuit à part directement connecté au CLM ?

C'est vrai qu'avec 25 W c'est quand même pas Versailles ! D'où la peinture blanche de ces locaux techniques ou importants, les autres enduits n'étant pas là prioritairement pour l'éclairement, mais plutôt pour l'étanchéité. Probable que c'est la raison du traitement différent de la galerie principale du Kobenbusch, où la question de l'éclairement ne se pose pas trop.

Amicalement
Jean-Michel


Réponse de Pascal ( 5337 ) - Posté le 16/03/2021

Bonjour

En complément au message de Jean Michel:

Le rapport entre la puissance des lampes à incandescence et leur flux lumineux était à l'époque moins elevé qu'aujourd'hui. L'éclairement produit par les lampes de 15 W était bien plus faible que celui d'une lampe similaire de nos jours.

Pour d ce qui est de l'éclairage de secours des usines, il était alimenté soit par le CLM (courant continu) ou le secteur , le choix se faisant au travers d'un inverseur.

Un autre réseau existait permettant l'éclairage à minima des galeries et bas de blocs, alimenté lui en triphasé et utilisant des lampes suspendues aux croisements des galeries. Un tel réseau est visible au Galgenberg

Amicalement, Pascal



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