Dernière modification par jolasjm le 07/06/2021.
Salut Fred
Voilà un vrai bon et gros sujet, qui mériterait une page ou un essai sur notre site favori...
Dans ton énumération on peut ajouter la couverture bétonnée ou rocaillée de certaines cloches (Hackenberg, Bas de St Ours - désormais disparu pour ce dernier), les essais de peinturage des panneaux de crue des casemates du Rhin, l'utilisation de la végétation et/ou de la terre ici et là, les mouchetages prototypes essayés sur tel ou tel bloc MOM, les "faux arbres" striés des blocs du Welschhof ou de la C6 du fossé du Hochwald, les conversions de blocs - voir de casemates (Rhin) - en fausses maisons, baraques ou fermes, la dispersion de "fausses tourelles" sur le terrain pour leurrer l'adversaire, l'utilisation et l'intégration de blocs dans des bâtiments existants (caves de maisons, etc), les crinolines de grillage végétalisées des TDPM et de certaines cloches GFM, l'utilisation de rochers ou de grosses pierres plus ou moins irrégulièrement placées en surface des grands talus en béton cyclopéen de raccordement des blocs du Sud-Est, l'encastrement élégant dans les replis de rocher, ou le rocaillage en surface de certains blocs des Alpes (encore que là, les maîtres ont été clairement les italiens avec le Vallo ou les suisses).
Les essais ont aussi porté sur la correction de la teinte dominante du béton (le fameux "gris souris effrayée" ;-), visible de partout, par incorporation d'additif de teintes à cœur dans le béton. Belhague se fait ainsi l'écho d'essais prometteurs d'ajout d'ocre dans la formulation du béton effectués en 1931 sur le territoire de la chefferie de Strasbourg. Mais bon, probablement qu'un enduit de surface légèrement teinté fait aussi bien.
Une autre façon de "camoufler" et qui est moins aisément lisible sur le terrain de nos jours avec le recul du temps, est l'utilisation astucieuse de la végétation, en particulier des zones boisées. Ce point avait été largement discuté lors de la conception initiale du Hochwald (quand il n'était qu'un ouvrage sommital) sous l'angle "limitons autant que possible des déboisements qui identifieraient l'ouvrage de façon évidente, quitte à rajouter des blocs de défense périphérique pour couvrir entre les arbres...". C'est allé jusqu'à la spécification dans les notices sur le camouflage du type de végétaux à faire pousser ici ou là. Bref, l'ingénierie horticole et paysagère fait partie des techniques de camouflage.
Si la végétation est un facteur de camouflage, le terrain lui-même l'est aussi évidemment. Le défilement, le masquage aux vues par des cavaliers (ex : le "cavalier de casemate" cher à la CORF, inventé pour d'autres raisons mais qui avait implicitement une fonction de camouflage), l'utilisation de la contrepente (y compris pour les réseaux, dont certains sont établis dans des décrochements artificiels de terrain les rendant invisibles du front)... Sans parler de ce qui est évident pour tout le monde, mais qui était un acte de camouflage au départ : la couverture des blocs avec une couche de terre ensemencée.
Mais la question du camouflage des blocs est une chose. Cette question s'est vite avérée plus large que cela :
Chose encore moins traitée dans la littérature est la question du camouflage des chantiers dés les années 1929-30 dans la mesure où nombre d'entre eux étaient proches de voies de passage ou de zones urbanisées... Dés Mars 1930, l'EMA et Belhague eux-mêmes s'était inquiétés de ce problème auprès de la direction du Génie. Dans le même ordre d'idée, le SMF/SEMG avait du plusieurs fois rappeler à l'ordre les chefferies locales, les fournisseurs et les transporteurs sur le manque de "masquage" des cuirassements durant leur transport entre usine et site d'installation ! Et tout ceci sans parler de la question du camouflage par plantations ou filets des routes d'accès aux ouvrages qui a là aussi fait l'objet de réflexions.
A cela s'ajoute le camouflage des terrils, délardements et autres déblais de construction, qui - laissés tout nus - disent à l'évidence "là il y a quelque chose"...
Comme il est possible de repérer la position d'une batterie par les flammes qu'elle envoie en tirant (notamment la nuit et les techniques de repérage par la lumière), le problème de la visibilité des tirs de tourelle ou de casemate s'était posé un temps aussi. Au point que l'armée avait commissionnée une mission aérienne d'observation lors de tirs de réception en 1933 de la tourelle de 135 d'Anzeling et de tirs de la tourelle de 81 du Métrich pour juger de la visibilité des flammes et/ou de la fumée des tirs à l'observation vue du ciel.
Un autre élément qui avait suscité des réflexions bien qu'indirectement lié au béton, c'est les solutions - à base de végétaux la plupart du temps - de camouflage des réseaux bas et de rails, notamment aux vues aériennes. Ce point est important car en absence d' "estompage", la lecture de ces réseaux permettaient d'identifier à coup sur la localisation et les éventuels regroupements de blocs en un ouvrage...
Bref, et comme tu l'as bien dit par ailleurs, la question n'était pas tant de masquer un bloc dans sa totalité (totalement illusoire, bien sur), que d'en estomper autant que possible des caractéristiques et les points de faiblesse essentiels (embrasures, cuirassements, degré de protection...), d'en casser les alignements artificiels et les courbes trop pures dans un environnement par définition "aléatoire" et de tromper l'adversaire sur l'armement installé (type de celui-ci et orientation de feu).
La doxa initiale dans les années 1930-32 était avant tout l'utilisation de la végétation et de filets ou de grillages de camouflage végétalisés. Ces techniques héritées de la grande guerre et qu'on trouve dés 1917 détaillée dans les IOT, est l'élément le plus mis en avant dans la notice provisoire sur le camouflage de 1926 (qui théorise la guérite taupinière!), et dans la première notice "non provisoire" sur le camouflage de Juin 1933. Il est d'ailleurs intéressant de constater que cette dernière, établie alors que les blocs sortaient de terre et que la ligne était déjà un grand chantier, exclut d'emblée l'usage de peinture de camouflage, mettant en avant le fait que ce type de masquage est illusoire et inefficace autant que couteux car ne masquant pas les ombres portées (de visières par exemple), les embrasures, etc. Note que cette même notice admet cependant l'usage de bitume pour faire des taches grises à noires sur les façades et pour masquer le reflet des cloches et/ou tourelles. Elle préconise aussi la pose de terre et l'engazonnement des toitures de tourelle... Joli casse-tête pour le rééquilibrage de la tourelle après une grosse pluie !
Cette notice de Juin 1933 a quelque chose de très particulier qui m'a toujours interpellé : elle s'achève par un appel lourd et insistant à vérifier sur place l'efficacité de ses préconisations et à en juger de l'évolution dans le temps. Pourquoi insister aussi lourdement là dessus, si ce n'est pour dire en filigrane : "bon, tout cela c'est des principes. Faites des essais et dites nous ce qui marche ou pas" !
Tu disais dans le fil sur le camouflage de l'escarpe de Rimplas que celle-ci avait probablement été un champ d'expérimentation, mais en fait à mon avis c'est en réalité TOUTE la ligne Maginot qui a été un terrain d'expérimentation du fait de la nouveauté et l'ampleur du problème.
C'est pour cela qu'on trouve autant de variantes partout, autant de choses uniques ou quasi-uniques, et autant de tâtonnements sans suites. Par ailleurs, cette notice n'est ultérieurement présentée que comme un simple guide...
Les documents d'avancement de travaux de la période 1933-1935 montrent de façon explicite que le sujet "camouflage" était pris en compte à part entière dans le scope de travail des chantiers. Sans doute sur les bases théorisées par la notice de 1933 (végétation et grillages/filets). Mais possible que les essais plus créatifs aient débuté dés cette période. Des inspections faites par la CORF (Le Gal Belhague en personne, voir sa note 294/ORF) et l'ITTF (notamment dans les Alpes) en 1934 montrent que le résultat obtenu à date méritait "améliorations". Les initiatives comme les panneaux de St Roch datent de 1935, donc là aussi postérieures à la 1e notice et typique de la période d'expérimentation. J'ai même trouvé une note de 1934 montrant que les "essais de camouflage" faisaient partie du cursus des stages sur le terrain pour le personnel du Génie de l'Armée des Alpes.
Tout ceci devait être peu satisfaisant puisque l'un des premiers actes du Gal Belhague en tant qu'Inspecteur Général du Génie et des Fortifications en début 1936 fut d'inscrire dans le périmètre de travail de la CEPGRF (Commission d'Etude Pratique du Génie de Régions Fortifiées) nouvellement créée la question du camouflage des ouvrages et routes d'accès... Pourtant, et en attendant les résultats de ces études de CEGPRF, c'est bel et bien la notice de 1933 qui est reconfirmée et revalidée par la note de l'EMA du 911/3 du 23 Mars 1936. On continue donc à essayer des filets ou des grillages fleuris ici et là... Les budgets suivent puisque 20 MF (sur 107) apparaissent au budget 1937 de la direction du Génie pour traiter entre autres de ces questions de camouflage.
Des notes plus précises et ciblées sortent de la STG, comme celle relative au camouflage des embrasures de 75/29 (octobre 1936), dont les volées sont particulièrement visibles. Là encore on camoufle avec un écran en tissus fixés à des anneaux en haut et en bas de l'embrasure ! Pas pratique au possible, mais qui fera tout de même l'objet de budgets spéciaux en 1937 pour mettre les casemates en question en conformité !
Tous ces errements aboutissent à une nouvelle notice sur le camouflage en Décembre 1938 (Instruction provisoire sur le camouflage des ouvrages de la fortification permanente). Celle-ci marque la fin de la récré, et remet tout le monde au pas, façon "bon, on arrête les errements genre tableau impressionniste bariolé, grillages à fleurs et autres rideaux de masquage".
Cette instruction est particulièrement intéressante car elle débute par un état des lieux de l'existant et de ses problématiques, et par une analyse critique de ce qui a été expérimenté sur le terrain. Elle signe en quelque sorte l'aveu de l'échec de la notice de 1933 et de ce qui a suivi.
Elle commence par proscrire totalement le sacro-saint treillis ou filet de camouflage des façades qui était l'un des axes forts de la notice de 33 : fragiles, gênants pour les défenseurs, pénibles à placer et enlever, susceptibles de brouiller les antennes de façades, ... La végétalisation de ces filets finit par pourrir ou sécher, changement totalement la couleur et rendant le camouflage particulièrement visible. Un comble. Enfin, en temps de guerre ce genre de camouflage à toutes les chances de ne pas durer plus de 10 secondes en cas de bombardement, rendant ce qu'il y a derrière particulièrement visible.
Les treillages sur les cloches sont d'une gène considérable pour l'utilisateur, tant pour le tir que l'observation.
Le camouflage de tourelles par de la terre végétale au-dessus est à proscrire car rend - comme anticipé - la manoeuvre de celle-ci totalement aléatoire ! Idem pour la peinture sombre mate ou les emplâtres mats (goudron). La tourelle reste parfaitement visible, du ciel comme du sol...
Les panneaux (genre St Roch), les toiles (genre 75/29) les planches de bois et autres ajouts légers ne sont utiles qu'en temps de paix... si la difficulté de mise en place et d'enlèvement ne les rendent tout simplement pas utilisés ou posés sur le sol.
L'effet des bariolages en tous genres est illusoire. Les meilleurs résultats ont été obtenus avec une teinte uniforme de couleur proche du terrain environnant en été et automne (gris-verdâtre ou terre de sienne). Le genre de chose telle que faite à Rimplas n'était donc plus souhaitable du tout... La caricature de camouflage moderne fait par peintres actuels montre d'ailleurs à l'évidence un principe régulièrement rappelé dans les documents : un mauvais camouflage est non seulement inutile, mais en plus nuisible car il met en évidence ce qu'on veut camoufler. A Rimplas, on voit maintenant l'escarpe à des lieues à la ronde...
Le masquage des réseaux bas et rails est tout aussi illusoire. La mauvaise herbe qui y pousse est la plupart du temps de couleur différente de l'environnement, souvent cultivé.
Seules choses ayant donné satisfaction et donc maintenant recommandé par la notice :
- la couverture des déblais et délardement avec la terre végétale et la végétation d'origine, enlevée et remis en place par-dessus. En fin de chantier, replanter au hasard et avec une densité similaire à l'environnement en arbustes rustiques le terrain de l'ouvrage.
- la peinture au noir sombre des façades et dessous de visière contenant les embrasures. Ceci rend leur visibilité, leur localisation et l'examen de l'armement installé très difficiles et élimine le souci des ombres portées de visière par exemple. Pour les autres façades, la seule solution est l'enduit mat de couleur uniforme proche de la couleur d'environnement en été/automne. Mettre de fausses embrasures sur les visières, si possible en relief par repiquage à faible profondeur du béton (exemple : Anzeling B9)
- en temps de paix uniquement, et seulement sur les façades visibles d'une route publique, mettre un rideau tendu sur cables, pouvant être aisément monté et descendu par poulie.
- la seule façon de supprimer les reflets des cuirassements fixes est la couverture par une couche de béton "nougat" peint en couleur foncée, ou une tentative de végétalisation. A défaut et quand le plan de feu le permet, il faut essayer de planter derrière la cloche des arbustes plus hauts que celle-ci qui permettent d'éviter qu'elle ne se découpe sur le ciel lui-même vu du sol. Comme pour les façades, il est recommandé de peindre la zone des embrasures en noir mat et de figurer de fausses embrasures ailleurs. Je passe l'utilisation de lierres ou autres grimpants pour masquer la cloche...
- concernant les tourelles, la seule solution est de mettre sur le terrain des leurres à des endroits plausibles (fausses tourelles), éventuellement entourés d'un réseau propre pour rendre la chose encore plus plausible. Idem pour les cloches. Cette technique sera relativement employée en fin de compte. Les "vraies" tourelles sont à enduire d'une peinture noire mat granuleuse.
- le camouflage des formes générales des dalles et des fossés est aussi un problème, car la séparation entre la végétation - même de couverture des blocs - et des arrondis de visière ou des contrescarpes de fossés est parfaitement identifiable du ciel. Solution envisagée qui semble efficace : la mise de poutrelles horizontales de support aux rentrants de façades pour porter un treillage céramique masquant la forme du bloc. Il n'est pas dit où cela a été essayé, et cela n'a pas été généralisé à l'évidence (trop compliqué, fragile en cas de bombardement et couteux), mais peut-être que les poutrelles en haut du bloc 3 de Roquebrune sont de cette nature.
- camoufler les routes d'accès, par des arbres ou tout autre moyen. Les tracer non perpendiculaires aux entrées, tangentiellement à leur façade si possible et en les prolongeant - même inutilement - jusqu'à une autre route !
Les principes proposés par cette nouvelle instruction seront assez largement appliqués :
- le seul camouflage valable est le camouflage préventif fait de longue date. Un bricolage de dernière minute est forcément imparfait et susceptible d'être détecté par comparaison de photos, etc.
- ce camouflage très précoce permet en outre de perturber dés le temps de paix l'observation faite par des passants plus ou moins bien intentionnés sur une route mitoyenne.
- utiliser la végétation et le terrain
- en temps de guerre, il faut absolument tromper l'adversaire et l'observation lointaine sur la localisation des embrasures, armes, orientations... avec un camouflage robuste, qui ne gêne pas le défenseur, et qui ne disparaitra pas au premier obus.
Elle va jusqu'à spécifier le type de végétation ou d'arbuste à employer. Cette notice annule et remplace tous les errements précédents.
Ci-dessous une des illustrations de ladite notice pour exemple (SHD - 7N3775),
Le contenu fera l'objet de demandes de budgets spécifiques au titre du budget 1939. Les techniques précédentes (filets avec raphia, grillages, claies pour les fossés...) seront dorénavant réservées aux travaux de campagne, MOM "bas coût" ou aux positions d'artillerie mobile.
Le contrôle à postériori de la qualité du camouflage, y compris des chantiers, est resté une préoccupation de l'état-major, y compris durant la drôle de guerre. Le Gal Huntziger (IIe Armée) ira jusqu'à demander à son aviation d'observation ... d'observer de jour et de nuit ses propres travaux du ciel et de faire rapport ensuite ! Pendant ce temps là elle n'allait pas se risquer du côté ennemi, qui il est vrai était loin. Cela pouvait à minima servir d'entrainement aux aviateurs.
Jean-Michel