Dernière modification par jolasjm le 29/08/2017.
Bonjour
Le témoignage de votre grand-père est intéressant et recoupe ce qu'on peut lire par ailleurs sur la période Septembre 39-Juin 40, en édulcoré, dans les rapports officiels archivés. On sait en effet que l'hiver a été très rude, mettant les travaux de fortification en veilleuse.
Je pense qu'une petite clarification est nécessaire à ce stade. Le terme de "casemate" est très précis dans le vocabulaire Maginot de l'époque et ne s'applique qu'à un nombre limité de constructions faites au standard de la CORF (voir fiche correspondante sur le site), hautement sophistiquées, faisant l'objet d'études de détail approfondies, utilisant un armement spécifique laissé à demeure, et des cuirassements lourds. Ces objets ont été construits au début des années 30 jusqu'en 35 environ et constituent, avec les ouvrages, l'ossature de la ligne Maginot au sens premier, original du terme. Ces constructions, du fait de leur complexité et du haut standard nécessaire, étaient construites par des entreprises civiles spécialisées. A partir de 1935, essentiellement pour des raisons budgétaire, on abandonne ce concept pour se reconvertir au "petit béton", construit non plus par le civil mais par la main-d'oeuvre militaire, moins couteuse. Ces constructions allégées, plus ou moins standardisées et simples, n'ayant pas d'armement à demeure mais pouvant accommoder celui de la troupe stationnant là, prennent le nom de "blockhaus". Un blockhaus moyen a en gros un dixième de la taille d'une casemate.
Cette construction de blockhaus, qui avançait vaille que vaille au gré des budgets entre 1935 et 39, devient paroxystique durant la drôle de guerre, car à l'inverse de la période 35-39, la main d'oeuvre militaire (MOM) devient pléthore du fait de la mobilisation, et on n'hésite pas à utiliser celle-ci à des travaux de construction et d'aménagement de la ligne de défense avec une multitude de petits blockhaus (dont la simplification ultime est le poste de combat en simples rondins qui est montré sur votre photo) et la création de barrages anti-char à base de rails plantés dans le sol (là-encore, votre grand-père semble avoir donné dans ce genre d'activité).
La ligne Maginot, de la mer du Nord à Bonifacio en Corse, est donc constituée des quelques centaines de casemates et ouvrages au standard CORF, et quelque-chose entre 10.000 et 20.000 petits blockhaus ou postes de combats MOM, dont une bonne partie a été coulée durant les 10 mois de 39-40.
Ceci m'amène aux troupes de forteresse, car là encore je vais tenter d'être précis mais court. Les régiments d'infanterie de forteresse sont par définition des troupes statiques, défensives, stationnées sur les secteurs fortifiés ou défensifs de la ligne Maginot. Mais ces régiments, comme le 79° RIF, sont composés des deux types de personnels. Une petite fraction de troupes très spécialisées et spécifiques qui occupent à demeure les casemates et ouvrages CORF, et qui est regroupée dans des CEO ou CEC (compagnies d'équipage d'ouvrage ou de casemate), et une grande majorité de troupes d'intervalle destinées à occuper les blockhaus et postes de combats construits entre les casemates. Ces troupes d'intervalle sont regroupées dans des Compagnies de Mitrailleurs (CM) ou de d'Engins et Fusiliers-Voltigeurs (CEFV). Il y a deux ou trois CM et une CEFV - au mieux - par bataillon.
Votre grand-père, basé sur ce qu'il dit, fait définitivement partie des troupes d'intervalle et non des CEC ou CEO et appartient à l'une des CM, ou encore plus probablement vu son armement, à la CEFV du II/79°RIF. La CM7 est restée sur place après le 14 Juin, mais la CEFV2 de ce bataillon, bien que quittant la zone le 14, avait laissé sur place une section de mortiers pour couvrir la CM7. Cette dernière hypothèse - appartenance à la CEFV 2 - me parait ainsi plus probable car les CM n'avaient en principe pas de section de mortier, qui étaient réservées au CEFV.
Autre élément de précision. L'ossature de la ligne Maginot comprend trois zones distinctes:
- la ligne principale de résistance (LPR), qui constitue la raison d'être de cette fortification, et qui présente un front quasi continu. Celle-ci passe - dans la zone concernée - à la lisière N-E d'Hunspach et du bois d'Hoffen, sur la crète au nord d'Oberroedern, puis pique plein sud vers la lisière Est d'Hatten.
- Une ligne discontinue d'avant-postes en avant de la LPR faite de nids de blockhaus coulés aux endroits stratégiques pour servir de sonnette d'alarme à la LPR en car d'attaque et de tenir le temps que les troupes d'intervalle de la LPR puissent s'installer. Trimbach est un point d'appui d'avant-poste.
- Une zone logistique à l'arrière de la LPR (casernes, abris, PC, routes, ...), où on pouvait trouver parfois une 2e ligne de défense (ou ligne d'arrêt).
Votre grand-père a donc passé l'hiver dans un point d'appui d'avant-poste, Trimbach. Il n'y a pas de casemate à cet endroit là mais de simples petits blockhaus MOM. Ces PA d'AP étant relativement isolés et loin des casernes, leurs occupants logeaient souvent sur place, ce qui a été son cas. D'abord dehors, puis dans les logements du village, qui avait été évacué depuis belle lurette. Cela permettait au passage de gardienner des villages abandonnés et donc susceptibles de pillages.
Son déplacement à Hunspach doit dater du départ des troupes, car comme évoqué dans un message précédent, quelqu'un du II/79° n'avait autrement aucune raison d'être positionné sur le ban du I/79°. Petite erreur de sa part, à Hunspach il n'était plus dans les avant-postes comme à Trimbach, mais bel et bien au beau milieu de la ligne principale de résistance.
Par contre il est exact que les troupes invaincues du 79° sont restées sur place jusqu'au 2 juillet avant de partir en captivité.
Pour répondre à vos questions annexes:
- il est probable que la notion "d'engin d'accompagnement" couvre les mortiers mais aussi les canons de 25mm Mle 1934 antichars, qui étaient en dotation dans les CEFV. A noter que les CEFV pouvaient être dotées d'engins plus hétéroclites comme des canons de 37, 47 ou 65mm. La mitrailleuse est une arme constitutive des CM et non un "engin d'accompagnement" selon moi.
- A Trimbach il n'y a pas trois casemates, mais il y a trois blockhaus. Voir + haut. Il est même possible qu'il y en ait plus que cela, et c'est le but de wikimaginot que d'essayer de les recenser. Souvent dans les avant-postes - voire sur la LPR - , les caves de certaines maisons étaient bétonnées pour les transformer en abri ou en blockhaus, ce qui viendrait en plus des trois "vrais" blockhaus déjà identifiés. Quant à savoir à quel endroit et avec quelles armes, je n'ai pas d'information sur ce point.
- La profondeur du trou de mortier était tout au plus de 2 mètres. Aller plus profond était inutile. Par contre une surface de 6x6m était possible pour loger deux pièces (dotation d'une section). A noter que ces postes de combat "ad-hoc" creusés de façon plus ou moins formelle à main de soldat n'étaient pas régis par des règles bien strictes... Il est donc difficile d'être plus précis et affirmatif. Dés qu'on rentrait dans le construction bétonnée, les choses étaient un peu mieux définies par des notices ou des instructions, soit d'origine locale, soit globales émises par la STG.
- Le poste en question était certainement positionné en arrière des casemates et blockhaus de Hunspach. Un mortier sert à couvrir les approches d'une position par tir courbe.
- J'ai obtenu ces informations sur le 79° RIF, et bien d'autres, par consultation des archives de la Défense au chateau de Vincennes. Il y a là des kilomètres de rayonnages de vieux papiers sur la ligne Maginot et ses troupes passionnants à lire. Les quelques archives épargnées du 79° RIF sont stockées dans le carton 34 N 92.
A défaut et pour aller au plus simple, il existe une ample littérature sur le sujet (voir la section "bibliographie" du site).
- Le cessez-le-feu est entré en vigueur le 25 Juin au matin. Techniquement, les troupes stationnées sur la ligne Maginot, bien qu'encerclées, étaient invaincues et ont donc constitué un cas épineux de la mise en place des conditions d'armistice, d'autant que l'encadrement n'avait aucunement l'intention de se constituer prisonnier sans ordre de l'EMA français. Les tractations - infructueuses comme on le sait, voir à ce titre les excellents livres de R. Bruge sur le sujet - ont donc duré plusieurs jours pendant lesquels le front est resté parfaitement inactif. Les allemands stationnaient sur leurs positions tranquillement, et les français attendaient les ordres. Le départ a finalement eu lieu entre le 1er et le 2 Juillet 1940 selon les unités du SF de Haguenau, le premier étant réservé aux regroupements d'unités dans la zone "française" et le 2 au départ en captivité. Le 79° RIF devait se présenter à 10h, selon la sous-unité, soit au N-O Schoenenbourg, soit à Finckenmuhl, soit à la sortie Ouest de Hatten (Note du 1er juillet du Lt-Col SCHWARTZ). Les éléments restants du II/79° étaient alors commandés par le Cne QUINET, commandant de la CEC n°4 (equipages de casemates de Hoffen à Hatten). Ces éléments devaient se rendre à la sortie ouest d'Hatten avec paquetage, 4 jours de vivres, armement (mais pas de munitions), cantines et paquetages des officiers et sous-offs, roulantes, archives... et laisser tout l'armement aux troupes allemandes réceptrices, ainsi que chevaux et véhicules. Les officiers ont eu le droit de garder leur sable et leur étui à pistolet vide... un temps ! L'armement collectif (mortiers, canons,...) devait être laissé en stock à l'abri de Hatten. La colonne a été ensuite dirigée vers Haguenau où elle a été encasernée sous bonne garde quelques jours avant de partir en Allemagne.
Quelques hommes de la CEC4 du II/79° et du Génie sont restés sur place plusieurs jours pour assurer un transfert de propriété en bonne et due forme des casemates CORF du secteur aux allemands, et leur expliquer le fonctionnement et les spécificités de cette fortification.
Tout ceci est décrit dans des notes de service concernant l'évacuation qu'on peut trouver aux archives de Vincennes. Il existe d'ailleurs un document contenant la liste des officiers et sous-officiers du II:79° laissés en place le 14 Juin (voir photo jointe). Peut-être y trouverez vous un nom connu de votre grand-père.
Cordialement
Jean-Michel