La question des lunettes d'observation de casemates part du constat soulevé par le chef de la Section Technique de l'Infanterie en Juin 1936 (1) qu'en période de combat la cloche GFM, organe d'observation primaire d'une casemate, perd cette faculté car elle est monopolisée par son rôle de poste de combat défensif actif. Les exercices ont montré que le chef de chambre de tir, ou de casemate, n'avait alors pas d'autre choix pour se rendre compte de la situation extérieure que de prendre le rôle de tireur au jumelage, lui donnant ainsi accès à la lunette de celui-ci pour observer le champ de tir. Cette situation est préjudiciable car elle détourne le commandant de chambre de tir de son rôle et affecte en partie l'efficacité du jumelage utilisé à une fonction qui n'est pas la sienne.
Le commandement décide donc fin 1936 de développer une solution à cette situation en dotant la chambre de tir d'un moyen d'observation dédié à l'évaluation de la situation extérieure, au réglage et à la direction de l'action des armes.
La solution envisagée initialement par le SEMG (Service Electro-Mécanique du Génie) consiste à installer une lunette d'observation dans la façade de la chambre de tir entre les deux jumelages. Cette solution est rejetée, car affaiblissant trop la façade, au profit d'un emplacement à la jonction entre celle-ci et le mur de gorge, donc à l'extrémité de la chambre de tir de la casemate.
Deux cas sont envisagés :
Si la distance entre l'axe du créneau le plus proche du mur de gorge est supérieure à un mètre - cas par exemple des casemates avec canon de 47mm du côté de ce mur - alors il est possible d'ajouter un observateur à l'endroit envisagé sans gêner le service de l'arme. On peut alors ajouter une lunette type G (lunette d'artillerie) ou équivalent dépendant de l'épaisseur du mur de façade de la casemate. La lunette nécessite alors un percement du mur pour engager une gaine de 68,5 mm à 1,60 m de hauteur et 0,15 m du mur de gorge pour recevoir la lunette.
Si cette même distance est inférieure à un mètre - cas des casemates sans canon de 47mm ou avec canon placé dans le créneau le plus proche de l'orillon - alors le point d'observation sera placé à 0,15 m du mur de gorge, mais au plus prés de la dalle de plafond de la chambre de tir, à 0,15 m de celle-ci. L'observateur est alors placé sur un tabouret ou un support surélevé, bien en arrière de l'arme par ne pas gêner le service de celle-ci.
La directive de la direction du Génie 9386-2/4 S du 29 septembre 1936 définit le principe et les étapes du travail que devront fournir les chefferies, commençant par un état des lieux précis de toutes les chambres de tir d'infanterie de leur territoire :
Plan au 1/20e de la configuration de la zone concernée de la casemate indiquant les cotes principales, le type de trémie employée dans le créneau, etc.
Remplissage d'un tableau de synthèse pour chacune d'entre elles - en distinguant le cas des chambres de tir à un seul créneau JM - donnant la position de l'arme anti-char, la distance créneau-mur de gorge, l'épaisseur du mur de façade, les éventuels cas particuliers à signaler, le type de lunette envisageable, et surtout un 1er estimé du cout complet de l'installation.
Le Service Géographique de l'Armée disposait d'une enveloppe budgétaire limitée à 100 lunettes G ou dérivé pour 1938. Il demande - à juste titre - une priorisation des besoins exprimés, demande qui ne peut être traitée dans le délai, faisant manquer la fenêtre d'opportunité budgétaire. Les choses restent donc en l'état jusqu'au 17 Avril 1939, date à laquelle la STG émet un nouveau bilan limité au Nord-Est mais complet cette fois-ci (7).
La priorisation des besoins par les chefferies n'est pas encore engagée, le développement des optiques afférentes est encore à finaliser à cette date - reportant d'autant les tests à SONNENBERG -, et la définition par le SEMG de la gaine métallique et du dispositif d'obturation n'a pas débuté non plus. La STG, dans l'impossibilité d'émettre une Notice ou Instruction définitive pour l'installation de ces dispositifs, demande donc dans son rapport d'accélérer le mouvement. Il est malheureusement déjà trop tard.
La plupart des cas particuliers notés dans le Nord-Est sont liés à l'épaisseur du mur de façade (jusqu'à plus de 2 mètres) et la place disponible entre créneau et mur de gorge. Ceux-ci auraient nécessité des études spécifiques d'installation de lunettes O qui ne furent pas menées.
Le Sud-Est n'étant pas considéré comme prioritaire, peu de cas furent regardés :
Sans attendre la fin du développement, la DTG de Nice demande, pour permettre une réaction rapide entre observation et tir, à ce que des lunettes type G soient rajoutées aux casemates frontales du SAINT ROCH et du CAP MARTIN en doublure des lunettes des canons de 75mm Mle 1929 et des cloches VDP installées par ailleurs. Cette demande est critiquée par la STG au motif de l'affaiblissement de façades critiques de ces deux chambres de tir exposées (8) et l'IGGF approuve l'installation du bout des lèvres sous réserve du développement de la lunette de casemate d'infanterie et en priorité postérieure à l'équipement de l'ensemble des chambres de tir du Nord-Est. Belle façon de remettre les choses aux calendes... Ceci entrainera cependant la mise en place - après essai - d'une liaison directe par tube acoustique de grande longueur entre la cloche VDP du B3 de SAINT ROCH et le B4 et un tube acoustique classique entre la VDP et la chambre de tir du B2 de CAP MARTIN.
Dans le secteur de la chefferie de Briançon, seule la casemate d'infanterie du Bloc 2 du JANUS est considérée comme concernée par une lunette d'observation de casemate type O. Les autres peuvent accepter le type G modifié. La chefferie fait cependant remarquer que compte tenu du fort site négatif et des particularités du champ de tir, il y aurait avantage à utiliser le créneau observatoire coaxial avec les jumelages en utilisant un simple bloc jumelle adapté au créneau plutôt qu'une lunette. Cette objection est validée en fin de compte.
Les deux ouvrages du CHATELARD et de la CAVE à CANON, décidés tardivement en 1938-39 et conformes dans les grandes lignes au plan-type des casemates à créneaux décalés Mle 1936, intégrent dés la conception une réservation pour une lunette d'observation type G allongée. L'avis de la STG sur le projet de détail, émis en Mai 1939, confirme la nécessité de cette réservation, sans qu'il en soit tenu compte dans le plan final des ouvrages.
En conséquence du retard pris et des événements de 1939, aucune lunette d'observation de casemate d'infanterie ne semble avoir été jamais installée, même à SONNENBERG au titre de l'essai de la lunette O. Celle-ci n'a d'ailleurs jamais vu le jour, du fait des difficultés à mettre au point à un coût raisonnable une optique de précision, mécaniquement complexe avec sa tête panoramique, horizontale et d'une longueur de pouvant aller jusqu'à plus de 3 mètres souffrant donc d'un fort risque de déformation en porte-à -faux.
Les casemates au combat en 1940 ne purent donc se fier qu'aux observations pourvues par les cloches GFM et les optiques de jumelages. Quand on connaît à posteriori le sort qui a été réservé par les allemands aux cloches GFM, rendant nombre de casemates littéralement aveugles, la finalisation de ce développement de lunettes de casemate aurait été d'une évidente utilité.
SHD - carton 2 V 259
Jean-Michel Jolas