Ligne Maginot - Processus de conception et d'approbation des constructions CORF



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Processus de conception et d'approbation des constructions CORF






Le travail de conception et d'approbation des éléments constitutifs des Régions Fortifiées développées sous l'égide de la CORF obéit à un processus très rigoureux. Ce processus, relativement peu figé initialement, fut défini dans ses grandes lignes par plusieurs notes émises en Mai-Juin 1929 par la CORF et le Génie, conformément au rôle dédié à la CORF et au partage de responsabilité précisé par la note du 26 Octobre 1927 et ses additifs. Il est raffiné ultérieurement avec l'expérience. La page ci-dessous tente d'en préciser les grandes règles et le vocabulaire spécifique.



Les acteurs


Le processus de définition et approbation implique principalement quatre acteurs :

  • les DTF (Directions des travaux de Fortification) qui réalisent les études en tant que "Délégation Locales de la CORF" et les soumettent à celle-ci.

  • la CORF qui coordonne les travaux des DTF, évalue les projets proposés par les DTF, propose les amendements et corrections nécessaires et initie le processus d'approbation.

  • Le 3e Bureau de l' EMA (Etat-Major de l'Armée) qui approuve les projets "au nom du Ministre de la guerre" tant qu'ils se situent au stade des principes et grandes orientations.

  • La 4e Direction de l'EMA (Direction du Génie) qui approuve les projets ("au nom du Ministre de la guerre" aussi) dés qu'ils entrent dans des phases plus techniques et/ou architecturales.


  • Dans les étapes finales de design de détail, proche du stade de réalisation, d'autres intervenants ont leur mot "technique" à dire tant qu'il ne remet pas en cause les étapes précédentes du processus. L'acteur essentiel là est l' ITTF (Inspection Technique des Travaux de Fortification) , qui a la charge de collecter les avis et suggestions des différents services techniques de Génie ( STG , SEMG , SMF ...) pour en faire la synthèse et la soumettre au Comité Technique du Génie (4e Direction) en préparation de l'approbation.

    Cette énumération serait incomplète sans mentionner le Maréchal PETAIN qui, en tant que Vice-Président du Conseil Supérieur de la Guerre (CSG) et Inspecteur Général des Armées, s'impliquera notablement dans les questions de fortification en donnant son avis sur les projets de secteurs, les plans de masse des ouvrages, etc... Initialement consulté uniquement dans le cadre du processus sur les gros sujets par le 3e Bureau de l'EMA, il demandera ensuite à être systématiquement mis dans la boucle d'approbation de plans de masse et des plans d'implantation.



    Les différentes étapes du processus


    Dans la séquence de développement des projets par les DTF et d'approbation des constructions CORF comme les ouvrages on a 4 (au minimum) à 7 étapes successives dépendant du projet, de sa complexité et des éventuelles difficultés avec l'EMA et ou la 4e Direction (Génie).


    Avant-Projet


    Ce stade définit l'ouvrage dans ses grandes lignes, sa localisation approximative, et ses missions. L'avant-projet porte sur un secteur complet ou une région fortifiée, et se traduit par une approbation ministérielle de principe globale. Il n'y a pas à ce stade (ou rarement) de plan d'ouvrage. Ce document inclut par contre un carte de secteur avec un premier jet de l'ensemble des organisations (ouvrages, casemates, abris, observatoires, PC...).

    Le cout global du secteur ou de la Région est estimé approximativement et servira à la définition du budget général tel qu'il sera approuvé dans le cadre de la loi Maginot.

    Cette étape d'avant-projet est encore largement teintée de d'interférences politico-industrielles au sens où le tracé hérité des travaux de la CDF devra souvent corrigé pour prendre en compte des considérations locales : protection de bassins industriels, prise en compte des interférences avec les activités minières, influence politique de telle ou telle partie prenante locale, etc.


    Plan de masse


    Le plan de masse "version CORF" n'est pas similaire au sens qu'on donne au terme de nos jours dans le langage architectural. C'est en l'espèce un document écrit, d'une vingtaine à une cinquantaine de pages, qui décrit dans le principe un ouvrage particulier et son environnement tactique (allant jusqu'à la taille d'un quartier). Le plan de masse reprend les missions de l'ouvrage, détaille les armements à prévoir pour remplir ces missions en lien avec les organisations adjacentes (autres casemates et ouvrages), donne un premier jet des plans de feux d'artillerie et d'infanterie, etc... A ce stade, on commence à faire référence quand c'est pertinent à ce qui doit être construit en premier ou 2e cycle. Ce document "plan de masse" inclut aussi une première estimation du cout et des effectifs à prévoir, ainsi qu'un pré positionnement des blocs et de leur armement sur le terrain. En annexe du "plan de masse" on trouve plusieurs cartes et plans. Les cartes proposent les plans de feux généraux d'infanterie et artillerie, incluant les tourelles longue-portée éventuelles, les cartes des zones observées, ainsi que le positionnement de l'ouvrage et son environnement jusqu'aux ouvrages collatéraux. On n'y trouve qu'un seul plan de l'ouvrage, encore très conceptuel à ce stade, avec les blocs, leur armement et une idée schématique des communications souterraines. Les casernements et magasins de l'ouvrage sont présentés par de simples carrés sans détails. Les cartes sont au 1:50.000 ou au 1:25.000, les plans sont rarement plus précis que le 1:5000e ou 1:2500e.

    Ce plan de masse de l'ouvrage est souvent - mais pas toujours - discuté en réunion plénière CORF, puis approuvé formellement successivement par le Gal Belhague, puis par le 3e Bureau de l'EMA - qui a le dernier mot car on est encore dans le principe - après prise d'avis de PETAIN. A l'issue de ce processus, le plan de masse est approuvé sous réserve d'une liste plus ou moins longues de modifications à apporter. Ces modifications demandées servent à la DTF concernée pour le développement du plan de masse final. En conséquence, ces plans de masse finaux peuvent parfois être assez différents du projet initial ! L'exemple typique en est le SIMSERHOF, qui passe à cette étape d'un ouvrage type CDF monobloc à deux demi-ouvrages symétriques, puis à deux demi-ouvrages avec communications indépendantes à la demande du Maréchal. De façon similaire, le HOCHWALD a ainsi connu trois versions de plan de masse différentes entre décembre 1928 et fin 1929 avant approbation définitive…

    L'étape de validation du plan de masse d'un ouvrage passe souvent par une reconnaissance sur le terrain pour visualiser les concepts et solutions proposées. L'organisme central de la CORF envoie une délégation sur site, voir se déplace au grand complet pour discuter de-visu les options possibles avec les responsables locaux des DTF.

    L'approbation du plan de masse final ouvre la porte au développement de l'étape suivante : l'établissement du plan d'implantation général de l'ouvrage.



    Plan d'implantation général


    Là encore, c'est un document et non un plan au sens moderne du terme. Ce document décrit plus en détail les éléments de l'ouvrage. On ne parle plus de l'action à limite de portée et l'intégration de l'ouvrage avec ses voisins, mais de la défense périphérique de l'ouvrage, du positionnement précis de blocs, du nombre et la nature des cloches, du réseau et de sa couverture, de la nature précise des communications souterraines et de leur profil, de la capacité du casernement, et d'un nombre d'éléments de dimensionnement technique plus détaillés (égouts, usine, alimentation en eau...). En principe, seuls les éléments à construire en 1er cycle sont pris en compte dans ce plan d'implantation. Les constructions mitoyennes (casemates, etc) ne sont considérées dans ce document que si elles entrent dans la défense périphérique proche de l'ouvrage. Là encore, des cartes ou plans sont annexés au document. Les cartes sont en général au 1:5000e et les plans peuvent aller jusqu'au 1:1000e. Si bon nombre des plans de masse des " anciens fronts " ont été écrit entre 1928 et 1931, les plans d'implantation eux datent en général de 1930-1933 pour ces anciens fronts. Le budget de l'ouvrage est affiné, et si dépassement il y a, le document se doit de proposer des solutions de retour dans le budget. A défaut, des reports supplémentaires en 2e cycle sont discutés.

    Généralement, les plans d'implantation sont aussi discutés en réunion plénière de la CORF, au moins pour les ouvrages les plus importants, ou pour ceux où le plan de masse et d'implantation sont confondus.

    Le même processus d'approbation ministériel se déroule, mais cette fois-ci piloté et validé finalement par la 4e Direction et non plus le 3e Bureau de l'EMA. Des modifications demandées peuvent générer de nouvelles versions de ce plan d'implantation général. La validation finale ouvre l'étape suivante.



    Plans d'implantation particuliers


    il y a autant de plans d'implantations particuliers pour un projet d'ouvrage qu'il y a de blocs du 1er cycle. A ceci se rajoute le plan particulier "des organisations arrières" qui couvre le détail des secteurs logistiques (usine, casernement, magasin M1). Le document d'implantation particulier d'un bloc décrit précisément celui-ci, ses constituants, ses spécificités (protection, etc), l'implantation des cuirassements, la capacité de logement, les télécoms ou radio, l'alimentation en eau et électricité, etc. Les plans et coupes en annexe se résument aux plans au 1:100e des différents étages du bloc. Le processus de validation de ces plans particuliers - géré par le CTG et son bras armé, l'ITTF - est totalement et uniquement la responsabilité de la 4e Direction. Le 3e Bureau de l'EMA n'est plus consulté - en principe - et la CORF n'a qu'une voix consultative, au même titre que la STG, le SEMG, l'ITTF... L'ITTF coordonne et résume les commentaires pour prise en compte et renvoie le dossier et les commentaires au CTG pour approbation finale. Les plans et documents émis par la Direction des Travaux de Fortification lui sont renvoyés par l'ITTF par souci de maintien du secret et de non dissémination des documents sensible. On est dans l'architectural et le technique pur, et cette étape peut demander encore 6 mois à un an de plus. Les travaux ont cependant déjà débuté sur le terrain quand ces plans particuliers sont en conception : en effet, les travaux débutent par les fouilles et le creusement des galeries profondes qui ne nécessitent au départ qu'un plan d'implantation général validé.

    Une fois validés, les plans d'implantation particuliers de blocs sont repris par les chefferies qui en déduisent les plans de construction proprement dits (plans de ferraillage, plans de coulée, plans techniques réseaux, etc) qui servent de base, avec les notices techniques , au travail des entrepreneurs. L'approbation de ces plans demeure interne aux chefferies et directions de travaux.



    Vers la simplification du processus : cas particulier des composantes isolées - casemates, abris et observatoires CORF


    Ce processus a la lourdeur et longueur qu'on peut imaginer. Jusqu'à deux ans peuvent se dérouler entre le plan de masse et les plans d'exécution finaux. Dans un effort de simplification raisonnable, la CORF propose assez rapidement que les petits ouvrages (voir cette terminologie dans la page correspondante) voient leur plan de masse et plan d'implantation général fusionnés en un et un seul document, approuvé séparément - mais en parallèle - par le 3e Bureau et la 4e Direction, l'un sous l'angle des principes et l'autre sous l'angle technique et tactique.

    Les éléments isolés des régions fortifiées (casemates, abris et observatoires) sont traités dans le principe de la même manière, mais selon un processus lui aussi rationnalisé. Dans leur cas, l'étape de plan de masse n'existe pas car ces éléments sont par définition inclus dans les plans de masse des ouvrages ou quartiers. Par ailleurs, les plans d'implantation généraux et particuliers sont fusionnés en un seul et même document qui est approuvé au niveau de la 4e Direction (Génie). Ceci permet de gagner un temps précieux avec une étape au lieu de trois.




    Ces différents étapes successives en amont de la construction concrétisent l'histoire de la conception des différents composants de la ligne fortifiée et en matérialisent la logique. Les lire successivement pour un ouvrage donné est précieux pour comprendre les considérations qui ont fait que ce qui est visible aujourd'hui est ce qu'il est. Un exemple parmi tant d'autres : dans le plan de masse initial du FOUR à CHAUX, la tourelle de 135mm devait se situer au milieu entre les deux tourelles de 75/32. La tourelle de 75/32 reportée en 2e cycle (celle de gauche) entrait, par ses cloches GFM, dans la défense périphérique de l'ouvrage. Dans le plan d'implantation général, la DTF a donc décidé d'intervertir les positions des deux tourelles (75mm du 2e cycle et 135mm du 1er cycle) pour que cette dernière prenne la place de la tourelle reportée dans son rôle de défense du réseau.

    Pour lourd qu'il soit, ce processus a cependant permis de documenter l'ensemble des décisions prises concernant l'ensemble des éléments de l'oeuvre de la CORF, montrant par là même la grande profondeur de réflexion associée à ce travail. Rien n'a été fait au hasard et la totalité de l'oeuvre représente un effort de réflexion tout à fait impressionnant.



    Rédactions initiale : Jean-Michel Jolas - 27/08/2018 - © wikimaginot.eu
    Sources : SHD, cartons EMA - 3e Bureau (série 7N, de 3760 à 3850), Génie (Série 2V244 à 246 et 4V)


    Secteur(s) concerné(s) :SFE SFMA SFMO SFCR SFT SFB SFFA SFR SFV SFH SFBR SFCO SFMU SFS SFD SFAM




    Page n° 1000625 mise à jour le 27/08/2018 - © wikimaginot.eu 2018 / 2024




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