Ligne Maginot - Fortification du Sud-Est - La fortification des Alpes de 1920 à 1940



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Fortification du Sud-Est - La fortification des Alpes de 1920 à 1940






La frontière du Sud-Est, initialement considérée après le premier conflit mondial comme un front secondaire, va néanmoins connaitre une suite de programmes de fortification finalement très ambitieux.

Avant d'entrer dans la description de l'enchaînement de ces programmes, il convient de comprendre la géographie politique de l’époque et de mettre en perspective la situation italienne durant cette période car tout programme de défense des frontières est indissociable du contexte politico-militaire dans lequel s'inscrit ladite frontière.



Contexte physique et frontalier


Un peu de géographie


La géographie des Alpes françaises est un élément fondamental à visualiser pour comprendre la logique de défense de la frontière. Dans une logique défensive et offensive, le massif vu dans son ensemble est clairement avantageux pour la France car sa profondeur représente 100 à 150 kilomètres côté français contre 20 à 30 seulement du côté italien. Les Alpes donnent donc une opportunité de défense en profondeur de notre côté alors qu’elles ne protègent qu’imparfaitement la plaine du Pô. Macroscopiquement, les axes de pénétration sont relativement divergents au Nord de la chaîne, partant d’un nœud à Turin et pointant vers la Suisse, les Savoie, Grenoble-Lyon et Briançon-Gap-Marseille. Ces voies divergentes sont cloisonnées entre elles par les hauts massifs montagneux, interdisant toutes liaisons. Côté Sud, les axes logiques d’invasion convergent en éventail vers Nice en partant d’un arc entre Coni et la côte, ce qui est stratégiquement et tactiquement plus favorable aux Italiens. Dans cette partie des Alpes les liaisons latérales sont moins cloisonnées et le terrain est donc propice à une attaque de grand style.

Massif des Alpes - carte tactique




Cette dichotomie Nord-Sud se retrouve aussi sur le profil du terrain. Au Nord, les massifs sont très élevés et difficilement pénétrables, ne laissant que les vallées profondes et quelques cols de montagne à la merci d’une attaque massive. A contrario, au Sud les montagnes sont moins élevées, et nettement plus poreuses.

Une frontière particulièrement défavorable dans sa partie Sud


La négociation de la nouvelle frontière issue du traité de Turin de 1860 et du rattachement de Nice et des Savoie à la France aboutit là encore à une situation très contrastée entre le Nord et le Sud de la chaîne des Alpes. Au nord, la frontière suit peu ou prou le sommets de la ligne de séparation des eaux entre la France et l’Italie. Le tracé est donc logique et permet d’un côté comme de l’autre une défense équilibrée.

Le tracé présente cependant une particularité géographique fort défavorable en vallée de Maurienne dans une logique défensive : la frontière suit de flanc le cours de cette vallée sur une soixantaine de kilomètres, offrant plusieurs points d’entrée et de débouché à divers niveaux dans la vallée, dont les cols du Mt Cenis, du Petit Mont-Cenis, Clapier, Fréjus, la Roue, la Vallée-Etroite - tous aisément accessibles à partir de Suse ou Bardonnèche... La Haute-Maurienne est donc particulièrement exposée et vulnérable. Le risque que les défenses soient tournées et que le bassin électrométallurgique de moyenne et basse vallée tombe rapidement est important. La vallée du Queyras présente un peu le même profil exposé, mais la haute vallée est moins accessible et ne présente pas d’objectifs intéressants, faisant de celle-ci un second choix.

Au Sud, à partir de la Haute-Tinée, il n’en est absolument pas de même. Le royaume de Piémont-Sardaigne - et donc l’Italie en cette période 1918-1940 - s'est assuré la conservation du contrôle, voir la possession des têtes de vallées du côté français de la chaîne :

  • le cours de la Tinée forme frontière sur quelques kilomètres et la vallée est aisément accessible par le vallon de Chastillon, qui est italien du col de la Lombarde jusqu’à Isola.

  • le haut Boréon, la haute Vésubie et la haute Gordolasque sont aux mains italiennes.

  • l’enclave de la Roya française (Breil, Saorge, Fontan) est prise en tenaille car la haute Roya jusqu’au col de Tende et la basse Roya jusqu’à la mer sont italiennes. Par ailleurs, une nouvelle ligne ferrée internationale est en construction entre Coni, Nice et Vintimille par Tende et Breil, rendant l’invasion potentiellement plus rapide.


  • Massif des Alpes - Frontière Alpes-Maritimes

    Tracé de la frontière de l'époque et voies d'invasion possibles


    Autant de points de concentration de troupes et de départs d’offensives vers Nice. Il faut cependant relativiser, car l’axe Boréon/Vésubie/Gordolasque ne dispose pas de passages aisés avec l’Italie permettant cette concentration. Les axes les plus critiques sont donc l’axe côtier vers Menton, la Roya avec débouché sur Sospel, et enfin la Tinée.

    Les voies de communication


    La manœuvre des troupes et des réserves, ainsi que l’approvisionnement d’une armée en position nécessitent un réseau logistique routier et ferroviaire adéquat.

    Le réseau routier civil et militaire se développe depuis près de deux siècles, additionnant les rocades parallèles Nord-Sud (grandes routes des Alpes, dont par exemple celle passant par le Galibier, la Durance ou le col de l’Izoard, le col de Vars, et les cols parallèles de la Cayolle et d’Allos, ou celle plus en arrière utilisant le sillon du Grésivaudan d’Annecy à Grenoble, le col la Croix Haute ou le col Bayard puis la vallée de la Durance vers la Provence) et les pénétrantes Ouest-Est (routes des vallées). Un certain nombre de nouvelles routes entre les vallées des Alpes-Maritimes sont prévues ou en cours de réalisation durant les années 30.

    La rocade Nord-Sud la plus avancée est très proche de la frontière en deux points critiques : Briançon et l’Ubaye. La nécessité de sa protection contre une prise ou une destruction va amener les stratèges à devoir trouver un compromis de positionnement de la ligne de défense entre cette route et la frontière elle-même. Un débat similaire portera sur la route du col de Restefond destinée à relier la Haute-Tinée avec l’Ubaye, là encore proche de la frontière en plusieurs points. Cette route, à vocation militaire côté Ubaye, permet d’accéder au massif fortifié des Fourches. Côté Tinée, elle est prolongée en 1937 jusqu’à Bousieyias mais s’arrêtera là jusqu’après-guerre alors que son raccordement au côté Ubaye était pourtant prévu dès le milieu des années 30.

    Massif des Alpes - Communications

    Cette carte permet de visualiser l'importance de la protection des rocades nord-sud et l'interdiction des voies pénétrantes


    Côté voies ferrées, seules deux d’entre elles (PLM) ont un débit important et franchissent les Alpes à l’issue de la grande guerre : celle de la côte, mais qui est très vulnérable y compris à un bombardement par mer, et celle du tunnel de Modane en Maurienne. Le reste du réseau alpin est très limité, ce qui ne sera pas sans inquiéter l’état-major. On trouve en 1930 :

  • Deux lignes d’intérêt local vers Chamonix et Bourg Saint Maurice, cette dernière est finalisée en 1913.

  • Une ligne desservant Briançon (1884). Un embranchement vers Barcelonnette est prévu, mais les travaux sont suspendus en 1935 et il est inachevé en 1940.

  • Une voie métrique à faible débit entre Nice et Digne (1911) se raccordant au réseau normal à Digne et desservant trois antennes de tram électrique vers Guillaume (1923-1929), Saint-Sauveur de Tinée (1912-1931) et St Martin Vésubie (1909-1929). La voie côtière est elle-même doublée dans l’intérieur du pays par une voie métrique à faible débit : la ligne Centre-Var (train des Pignes - 1889) de Pertuis à Draguignan et Grasse.


  • Deux lignes internationales à voie normale supplémentaires sont en cours de construction en 1920, la ligne Coni-Breil-Nice passant par Sospel et Coni-Breil-Vintimille, qui sont mises en service en 1928. Ces lignes nouvelles font l’objet d’une attention particulière de l’Etat-Major car constituant une menace notable. Ainsi, les tunnels ferroviaires de ces lignes seront tous équipés de blockhaus défensifs et de DMP (Dispositifs de Mine Permanents) dès leur construction.

    L’ensemble de ces éléments géographiques vont amener à deux logiques de défense différentes entre le Nord des Alpes – faite essentiellement d’un barrage discontinu des grandes vallées au plus près des cols - et le Sud où on ne pourra pas se passer d’une ligne de défense continue et puissante pour gérer toutes ces contraintes.



    La situation de l'Italie entre 1919 et 1940 (1)


    L'unification Italienne et les "terre irredente"


    L'unification de l'Italie est un processus tardif, entamé à la fin des années 1850 avec le support actif de Napoléon III qui récupère au passage la Savoie et le comté de Nice comme contrepartie de son support politique et militaire. En 1870, le pays est pratiquement unifié avec l'absorption des états pontificaux par suite du retrait français qui en assurait le contrôle militaire. Il demeure cependant à cette date plusieurs régions à majorité italophones sous contrôle étranger, ce qui attise un mouvement général de revendication politique de ces régions (Tyrol du sud, Trieste, Istrie et Dalmatie, contrôlées par l'Autriche). Ces territoires sont considérés par l’Italie comme des "terre irredente", à savoir des "terres non libérées". L'irrédentisme, qui sera l'un des facteurs déclenchant la participation italienne dans la grande guerre, sera aussi un des piliers de la politique fasciste de l'entre-deux-guerres. Il constitue une composante majeure de la culture politique italienne de cette époque.

    La grande guerre et ses suites immédiates


    L'Italie est du côté des gagnants de la grande guerre. Pourtant il aurait pu en être autrement, car elle est signataire depuis 1882 de la Triple Alliance défensive avec l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie. Cette alliance est un important facteur de tension avec la France qui explique l'effort majeur de fortification des deux côtés de la frontière avant 1914.

    Elle se déclare néanmoins neutre à la déclaration de guerre en 1914. Comprenant qu'elle n'arriverait pas à faire valoir ses revendications territoriales vis à vis de l'Autriche-Hongrie, notamment relatives au Tyrol du Sud et à l'Istrie, elle finit - contre promesses de nombreuses compensations territoriales faites par les Anglais et les Français - par basculer du côté allié et déclarer la guerre en Mai 1915 à l'empire Austro-Hongrois uniquement, et non à l'empire Allemand... Elle combat vaillamment sur plusieurs fronts : contre les Autrichiens dans le Nord et le Nord-Est du pays lors d'une campagne en montagne très indécise, contre les puissances centrales dans les Balkans avec les Anglais et les Français, et contre le soulèvement berbère en Libye italienne, et ce jusqu'à l'effondrement autrichien en Octobre 1918.

    La fin de guerre est décevante pour l'Italie, qui ne récupère pas tous les territoires qui lui avaient été hâtivement promis par les alliés. La Dalmatie, le protectorat de l'Albanie et le Dodécanèse en particulier échappent à la mainmise italienne. N'ayant été que partiellement et tardivement du "bon côté", la part de dommages de guerre qu'elle reçoit est mineure en regard des ravages de la guerre dans le nord du pays.

    Du fait de ses années de combat contre l'Empire Autrichien, l'armée italienne a cependant acquis une grande expérience de la guerre en montagne, à l'inverse de la France. Ce point est très bien compris par l'Etat-Major français dans l'immédiat après-guerre.

    L'arrivée au pouvoir de Mussolini et le fascisme


    Il s'ensuit une situation de crise économique et sociale à l'issue de la guerre qui, alliée à la résurgence de l'irrédentisme attisé par la persistance de territoires "non unifiés", fait le lit des thèses extrêmes. Un journaliste particulièrement éloquent et engagé, Benito Mussolini, parvient à canaliser ce mécontentement général et l'énergie de centaines de milliers de soldats en pleine démobilisation. Mussolini crée le Parti National Fasciste (PNF) en 1921.

    Profitant de la déliquescence du pourvoir en place, la marche sur Rome d'Octobre 1922 permet à Mussolini d'être appelé au pouvoir par le roi. Nommé président du conseil en Novembre 1922, il met en place un gouvernement initialement modéré mais avance progressivement vers l'instauration d'une dictature, ce qui sera chose faite en 1925. Dans cet intervalle, du côté de la politique extérieure il s'engage dans une approche de plus en plus agressive vis-à-vis des pays contrôlant les "terre irredente" situées dans le Balkans (Dalmatie, Corfou, Albanie…), qui constituent sa priorité unique à ce stade. Par suite d’un incident, l'ile de Corfou est brièvement occupée en 1923, menant quasiment à la guerre avec la Grèce. Le 16 Février 1924, c'est au tour de Fiume d'être annexé suite à un traité avec la jeune Yougoslavie.

    Les élections législatives d'Avril 1924 confortent la coalition de droite/extrême droite en Italie. En juin le député socialiste Matteotti est assassiné par les fascistes. La revendication de cet assassinat par Mussolini lui-même en Janvier 1925 marque le début réel de l'ère dictatoriale, suivi d'une série de lois "facistissimes"(sic) asseyant son pouvoir sur 1925 et 1926. Le cheminement est bouclé en 1928 avec l'instauration du principe de parti unique.

    Relation avec la France


    Les relations franco-italiennes sont amicales à l'issue de la grande guerre car la France est considérée comme une alliée malgré les déceptions de l'immédiat après-guerre. C'est la raison pour laquelle la Directive LEFEVRE de Mars 1920, lançant le processus d'étude de la défense des frontières, ne s'intéresse exclusivement qu'à l'Alsace-Lorraine. Il est vrai que le frontière des Alpes n'a pas connu de changement à la suite de 1914-18 et que donc les fortifications antérieures, bien qu'anciennes, restent d'une capacité suffisante sur un terrain favorable à la défense et qui n'est par ailleurs pas menacé. Le front du Sud-Est est donc logiquement considéré comme non prioritaire et traité très superficiellement.

    Il en est d'ailleurs de même côté italien. Les importantes fortifications alpines construites durant la période de Triple Alliance avec Allemagne et Autriche ne sont sauf exception (fort de Chaberton, Paradis,...) plus occupées. Tout au plus constate-t-on la présence d'un plus grand nombre de troupes alpines en couverture côté italien que du nôtre.

    Gouvernée à gauche depuis la fin 1924 et la chute du "Bloc National", la vision qu'à la France de l'Italie commence à évoluer vers 1925 après la mise en place des lois fascistes et la promotion d'une vision plus nationaliste et ouvertement empreinte d'irrédentisme. Tout en étant signataire du Traité de Locarno sur la paix en Europe d'Octobre 1925, l'Italie va accumuler les signaux faibles inquiétants qui vont finir par entrainer une réaction française. Mussolini n'aime pas la France et encore moins son modèle démocratique et cela va finir par se voir... Mais à ce stade, les revendications extérieures italiennes portent exclusivement - non sans une certaine prudence et dans un respect partiel de la SDN - sur les "territoires à libérer" à l'Est et dans les Balkans.

    Ceci n'est pas initialement considéré comme gravement menaçant en soi, bien qu'empiétant sur la zone d'influence diplomatique française dans les Balkans. Cette influence française s'intègre dans le cadre du support à la "Petite Entente" (Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Roumanie) tournée contre l'irrédentisme agressif du régent hongrois Horthy, qui essaye de reconstituer une Hongrie homogène sur les ruines de l'Empire austro-hongrois démantelé en 1918. Ceci constitue une menace contre ces jeunes pays nouvellement créés. Cependant deux discours du Duce vont accélérer l'évolution de la perception de ce côté-ci des Alpes. Le premier, le discours de Tripoli d'Avril 1926 place la mer Méditerranée comme une sorte de "Mare Nostrum" italienne, marquant le départ de propos de plus en plus révisionnistes vis à vis des traités et de leur validité. Cette même année, la relation avec la France se tend un peu plus, le Duce reprochant aux français leur attitude vis-à-vis des ressortissants italiens en Tunisie, pays sur lequel il a des vues à terme.

    Du côté intérieur, l'émigration importante de « fuorusciti » - Italiens fuyant le régime fasciste - vers le pays niçois n'était pas sans attiser la tension à la frontière. Par ailleurs, les réseaux fascistes implantés dans les Alpes-Maritimes, peu nombreux mais relayés par des organes de presse locaux créés pour l'occasion, entretiennent un climat de polémique nationaliste. L'arrivée massive d'Italiens était aussi de nature à alimenter la crainte d'un complot délibéré de la part du Duce qui est suspecté de vouloir accroitre la part italophone du comté de Nice pour créer un lit favorable à un futur plébiscite de rattachement à l'Italie... Suite à une tentative d'attentat contre Mussolini en fin Octobre 1926, attribuée à des « fuorusciti » basés en France, des incidents de frontière avec les carabinieri et des rixes civiles entre factions italiennes éclatent à Nice et à la frontière en Tinée et Vésubie, amenant Paris à dépêcher fin 1926 des forces de maintien de l'ordre et des navires militaires. Le calme est ramené immédiatement et pour plusieurs années mais c’est l’incident de trop qui va entrainer la décision gouvernementale de réallouer des fonds à la défense des Alpes.

    Cette reprise en main fut suivie d'une mise en sommeil progressive des réseaux fascistes en pays niçois, par ailleurs largement rongés par l'affairisme... Néanmoins d'autres sources d'inconfort dans la relation s'ajouteront ultérieurement, comme quand le 5 Juin 1928, lors d'un discours au Sénat, le Duce affirme haut et fort le caractère renégociable des traités passés qui ne peuvent être considérés immuables, à commencer par celui de Versailles qui est toujours vécu comme une frustration. Il se garde cependant bien d'être plus précis que cela...

    Bien qu'il n'y ait pas eu de menace ni directe ni encore moins officielle contre la France, cette tendance constatée à partir de 1925 et les incidents tant intérieurs qu'à la frontière de 1926 dans le pays niçois - mineurs pris individuellement, mais significatifs au total - ne sont pas sans alerter un peu plus le gouvernement français. Cela se traduit par une relance effective des études de défense des frontières du Sud-Est à cette époque. La France reste cependant une puissance impressionnante qu'il faut se garder d'aller officiellement chatouiller : à ce stade, la politique extérieure de l'Italie vis à vis des grandes puissances reste très empreinte d'une orthodoxie prudente, bien qu'ambigüe. Signe d'une attitude officiellement conciliante, elle sera signataire dès l'origine en Août 1928 du pacte Briand-Kellogg (pacte de Paris) qui interdit la guerre comme moyen de résolution des conflits. En réalité, les discours enflammés du pouvoir transalpin s'orientent exclusivement vers les petits pays de la sphère adriatique - ou plus généralement méditerranéenne - qui sont bien en peine de pouvoir répliquer. Cette orientation "méditerranéenne" de la politique italienne se traduit par ailleurs à la fin des années 20 par le lancement d'un grand programme de construction navale militaire, qui est bien sûr aussi noté par la France.

    Ainsi il semble clair que l'étude à partir de 1926, le financement en 1927 et la construction de l'ouvrage de RIMPLAS (et plus généralement le Programme Réduit de Défense de Nice ) à partir de l'été 1928 est bien davantage le résultat d'une prise de conscience progressive liée à un état d'esprit général qu'une réaction brutale à un discours annexionniste spécifique et identifié de Mussolini contre la France. Il n'y a tout simplement rien de tel à ce moment-là et il faudra attendre fin 1938 - plus de 10 ans plus tard - pour que le régime italien revendique explicitement et officiellement Nice, la Corse, la Savoie ou la Tunisie. L'incident initial, suite au discours du comte Ciano de Novembre 1938 devant l'ambassadeur François-Poncet à la Chambre des Faisceaux, n’est rien d’autre que le résultat de la désinhibition politique italienne suite à l'affaire de Munich qui avait montré la grande faiblesse politique de la France. Ce n'est qu'à dater de ce jour-là que le slogan "Nizza nostra !" émaillera chaque discours du Duce, pour lequel la France n'inspire désormais plus ni respect ni crainte.

    Côté militaire, le changement italien intervient vers 1928-29. L'Etat-Major transalpin a bien constaté le lent mais réel réarmement des forts anciens côté Français et les travaux routiers d'amélioration. Il en conclut qu'une démarche identique serait "prudente" et ce quel que soit la relation politique existant entre les deux pays. Cela commence là aussi par d’importants travaux routiers alpins. Quelques constructions de fortifications nouvelles sont bien entreprises face à la France dès 1928, à Cesana ou en Haute Roya, mais davantage pour tester des options de formes nouvelles de fortification que dans le cadre d'un programme formel. Celui-ci n'interviendra seulement qu'à partir de 1931.

    La relation entre les deux pays reste dans ce mode durant toute la période 1928-1935. Une note manuscrite en Mai 1930 du Gal WEYGAND - alors chef d'Etat-Major général - à son ami le Gal DEGOUTTE affirme même avec un rien d'ironie que chaque nouvelle gesticulation du Duce est un bienfait car elle "facilite" l'augmentation par le parlement des budgets affectés à ce théâtre d'opération des Alpes !. Même l'agitation fasciste dans la zone de Nice, principalement tournée contre les émigrés politiques italiens installés en France, bien visible dans les années 1925-27, s'était calmée puis est devenue plus souterraine, ne justifiant rien de plus qu'une simple surveillance. Néanmoins l'Italie débute en 1931 la construction du "Vallo Alpino" (circulaire 200) en réponse à la construction maintenant bien visible de la ligne Maginot des Alpes. Cette réaction est jugée prévisible et admissible par l'état-major français, qui pourtant demande au Gal DEGOUTTE, toujours à la tête de l'armée des Alpes mais juste sur le départ pour la retraite, de bâtir un plan d'offensive vers l'Italie. Ce plan - sans suites immédiates - sera établi en Avril 1931 (rapport 172/S de l'Armée des Alpes). Au cas où...

    L'arrivée au pouvoir de Hitler en Allemagne en Janvier 1933 ne change rien initialement à cette situation de quasi statu quo : Mussolini a une piètre opinion de son homologue allemand et s'en méfie. Leur première rencontre à Venise en Juin 1934 est un désastre. La remise en place de la conscription par l’Allemagne en 1935, vue par les Italiens comme une menace à peine voilée contre l'Autriche, pousse d'ailleurs l'Italie à accélérer le rapprochement avec la France engagé en Janvier 1935 (signature à Rome d'un traité mettant fin à certains contentieux en Afrique moyennant le soutien de l'Italie en cas de conflit avec l'Allemagne - on sait ce qu'il en adviendra… - et à Paris d'une déclaration par laquelle elle confirme son absence de revendication sur la Corse et Nice). Ce réchauffement se traduira par la conférence de Stresa en Avril, qui ouvre une année de détente diplomatique et politique avec nos voisins transalpins, et d'arrêt corollaire de l'essentiel des travaux de fortification des deux côtés. Cette période de courte durée s'achève du fait de la guerre d'Ethiopie engagée par l'Italie, entrainant la réprobation de la Société Des Nations (ancêtre de l'ONU) - et de la France en particulier -. Cette orientation diplomatique se trouva amplifiée par l'arrivée du Front Populaire en France.

    Le net refroidissement de la relation avec Français et Anglais pousse Mussolini à se rapprocher formellement de l'Allemagne par la signature de l'Axe Berlin-Rome en Novembre 1936 et à s'engager à son côté dans la guerre d'Espagne. C'est à ce même moment en 1936 que la construction du Vallo Alpino s'accélère et qu'est créée la Garda alla Frontiera (G.a.F.) - troupes de forteresse destinées à occuper le Vallo -. L'évolution est maintenant irréversible et aboutira, avec l'affaiblissement politique français, à la guerre en 1940. L'attitude de l'état-major italien demeurera cependant totalement défensive jusqu'en 1940 car l'armée italienne est objectivement amoindrie et dispersée par des années d'aventures diverses en Ethiopie, Libye, Espagne, ...

    La doctrine militaire italienne vue par l'Etat-Major français


    L'accélération de la dégradation de relation politique avec l'Italie à partir de Novembre 1938 va pousser l'Etat-Major de l'Armée à reporter dès le mois suivant les unités d'active au plus près possible des cols sur la frontière. Une directive formelle du Gal GAMELIN à l'Armée des Alpes est écrite en ce sens le 29 Décembre. Les analystes de l'Etat-Major se penchent parallèlement sur l'expérience de l'armée italienne au travers des campagnes qu'elle a pu mener précédemment (Ethiopie, Afrique du Nord, guerre d'Espagne) pour en tirer des enseignements stratégiques et tactiques relatifs au comportement à attendre de l'armée transalpine en cas de conflit.

    Cette étude fait l'objet d'une note fin Juin 1939 signée GAMELIN, dont plusieurs passages sont prémonitoires et donnent des clés de compréhension du succès français durant la courte campagne de Juin 1940 :

  • L'armée italienne n'est pas équipée ni préparée pour une campagne longue. Elle sera donc à la recherche de succès rapides et visibles, quitte à prendre des risques tactiques. On peut donc s'attendre très tôt à une recherche de coups de mains, de prises à bon compte, etc. Une attitude défensive visant la nuisance maximale, génératrice de frustrations et de ralentissements du mouvement adverse, aura un impact moral important à notre profit.

  • Cette recherche de succès rapide explique en partie l'organisation très manÅ“uvrière de l'armée italienne (les divisions italiennes sont beaucoup plus petites que leurs homologues françaises), laissant craindre des mouvements rapides - et motorisés quand c'est possible - au déclenchement d'un conflit. L'efficacité des destructions de route est donc un facteur essentiel pour la défense.

  • Les campagnes passées de l'armée italienne ont montré sa capacité de manÅ“uvres innovantes, audacieuses et risquées, cherchant la progression rapide en profondeur quitte à négliger les poches de résistance et la liaison avec les unités mitoyennes. Cela peut jouer en termes d'effets de surprise, mais offre à contrario aux défenseurs des opportunités de contrattaque et de dislocation du mouvement adverse. Il faudra donc s'attendre à des surprises qu'il faudra analyser et traiter avec sang-froid sans perdre de vue notre doctrine.

  • Les manÅ“uvres d'infiltration et d'encerclement étant à escompter, il faudra s'accrocher solidement au terrain (organisation de campagne) et préparer soigneusement les itinéraires de repli.

  • Tactiquement, on sera donc en situation de bloquer l'adversaire avec nos barrages fortifiés et de disloquer ses capacités offensives en harcelant de flanc ses communications. En cas de repli dans un segment de front, les grandes unités mitoyennes devront continuer à tenir leurs segments respectifs et profiter de la position aventurée de l'attaque adverse pour la prendre en tenaille.




  • Le cas particulier de la Haute-Savoie et de la frontière avec la Suisse (2)


    Conséquence des traités de Vienne puis de Paris consécutifs à la chute de Napoléon Ier en 1815, la Haute-Savoie est une zone franche démilitarisée et - bien que française depuis 1860 - placée sous "protection" suisse. Le traité de Versailles de 1919 a bien mis un terme à cet état de fait, mais sous réserve qu'un accord séparé soit négocié avec la Suisse. Cette négociation trainera près de 10 ans, essentiellement pour des questions non militaires de gestion de droits douaniers et de flux de marchandises à la frontière. Avant la conclusion d'un accord, il était naturellement impossible de considérer des fortifications dans ce secteur. Le 21 Mars 1928, la zone neutre de Haute-Savoie est définitivement abrogée par accord entre la France et la Suisse, retirant cette contrainte du paysage politico-stratégique.

    Par ailleurs plusieurs facteurs entrent en ligne de compte qui expliquent ce peu d’empressement à fortifier la Haute-Savoie :
    - La Suisse est un pays neutre.
    - Le massif du Mont-Blanc est considéré infranchissable.

    Cela étant, la neutralité Suisse n'était pas totalement garantie. Une autre clause du traité de Vienne de 1815 autorise en effet la Suisse à "inviter" les vainqueurs de l'époque (dont l'Allemagne, donc…) à traverser le pays en cas de conflit ouvert avec la France (et elle seule)… Nul doute que plus d'un siècle plus tard les Suisses ne se laisseront pas faire aussi simplement car plusieurs fois la Suisse (dont la dernière en 1917) s'est déclarée prête à "défendre son territoire en cas d'agression" d'où qu'elle vienne, mais le risque diplomatique existait toujours en théorie.

    Au-delà, plusieurs changements amenèrent une évolution de la doctrine concernant cette frontière, et cela dès le milieu des années 30.

    Première évolution marquante : le projet de tunnel sous le Mont-Blanc promu par un consortium italo-suisse et vu d'un bon œil des pouvoirs publics locaux. Ce projet, ainsi que celui de deux autoroutes entre Genève et Lyon ou Dijon, poussa l'état-major et la CORF à étudier dès fin 1935 les principes d'une zone fortifiée en aval de Chamonix et au sud et ouest de Genève. Mais tant que ces projets ne voyaient pas de concrétisation - le tunnel ne sera finalement construit qu'après-guerre -, il n'y a pas d'urgence et tout ceci resta dans les cartons. Une chose était cependant clairement établie par tous ces projets, dès les années 30 : à terme le Mt Blanc n'était plus garanti comme étant infranchissable.

    Le deuxième facteur, et le plus important sur le court terme, fut la crainte d'une violation de la neutralité Suisse par l'Italie après la dégradation des relations avec celle-ci en 1936-37, entrainant l'établissement de plusieurs projets. Dans ce contexte, le Valais devenait une voie d'invasion possible dont il fallait contrôler les débouchés. A ce titre, la 14° Région Militaire (RM) propose dès décembre 1936 de barrer la trouée de Genève par une position avec ouvrages d'artillerie (CRET MOUREX et MONT de BOISY avec chacun une tourelle de 75mm) et un ouvrage d'infanterie à la VATAY.

    Néanmoins la perception seulement lointaine du risque explique pourquoi aucun des programmes défensifs formels du Sud-Est n'a jamais considéré la fortification de la frontière entre Genève et le Mt Blanc avant 1937.




    La question de la côte méditerranéenne, et les discussions avec la Marine (2b)


    Tout comme pour la région de Dunkerque, les questions du partage des responsabilités défensives et d'organisation du commandement se posent pour ce qui concerne la protection du flanc maritime de la frontière Sud-Est. L'hypothèse est prise très au sérieux car un débarquement possible sur la côte de la plaine du Var permettrait de tourner - en lien avec une offensive terrestre par la Haute-Tinée - toute la défense de la frontière et la place forte de Nice. Des actions plus localisées sur la côte Estérel ou dans le Var permettraient de sérieusement perturber les routes et voies-ferrées logistiques.

    Ce sujet est soulevé dès 1920 par l'Amiral SALAUN, chef d'état-major de la Marine, qui contacte l'état-major de la Guerre à cet effet dans le contexte de la mise à jour du plan d'opération marine en cas d'un conflit éventuel contre l'Italie. Les discussions aboutissent à l'écriture d'une instruction commune interministérielle le 1er Août 1929. Celle-ci stipule que le vice-amiral, préfet maritime de Toulon, relève en cas de conflit de la responsabilité du commandant de l'Armée des Alpes pour tout ce qui concerne la défense de la côte contre un débarquement ennemi, et ce jusqu'à l'Est de Monaco. Entre cette limite et la frontière italienne, la défense de la côte relève directement du Secteur Fortifié (SF) des Alpes-Maritimes.

    Pour ce qui concerne cette défense de la côte contre un débarquement, le préfet maritime dispose de ses propres forces (batteries de côte, unités d'infanterie de Marine…) et d'au moins une division de l'armée de Terre qui lui est rattachée - typiquement une unité coloniale, la 2° DIC, relevée par la 66° DI après mobilisation. Ce dispositif sera en vigueur jusqu'au 2e conflit mondial.

    La batterie de 340mm de Nice-le Sueil


    Les discussions sont relancées fin 1930 avec l'étude conjointe Marine/CORF de l'implantation d'une batterie de 340mm de Marine, prévue au plan de défense côtière de la Marine à l’Est de Nice selon un type identique à celle de Toulon-Cépet.

    L'idée est de construire une batterie d'un tourelle double de 340mm Mle 1912, avec provision pour l’ajout à terme d’une deuxième tourelle identique sur le même site. La situation de cette batterie permet d'envisager une mission annexe de support d'artillerie de la ligne principale de résistance (LPR) du SF des Alpes-Maritimes, voire de bombardement d'objectifs pertinents en Italie.

    Des différents sites reconnus par la commission conjointe, c'est celui du Sueil (ou Seuil de nos jours) à l'Est du village d'Eze qui est sélectionné en Février 1931. Ce projet est cependant contesté par le vice-amiral PIROT, préfet maritime de Toulon, qui estime qu'une tourelle de 340mm serait inadaptée pour une action terrestre (calibre disproportionné et usure trop rapide) et qu'il serait préférable d'utiliser des pièces d'ALVF (Artillerie Lourde sur Voie Ferrée) ou alternativement de construire une batterie côtière de 240mm, plus souple et mieux adaptée aux éventuelles missions terrestres.

    Batterie du SUEIL - champ de tir

    Zone d'action de la batterie du Sueil


    C'est finalement l'option "ALVF" qui sera privilégiée, et la batterie de 240mm du Sueil ne verra elle-même de toute façon jamais le jour.



    Les grands programmes de fortification des Alpes


    L'étude du Général NIVELLE et ses suites - 1920-1921 (3)


    En 1920, peu de temps après le lancement de l'étude de la défense du Nord-Est demandée par le Ministre LEFEVRE, l'EMA charge le Général NIVELLE - membre du Conseil Supérieur de la Guerre (CSG) et inspecteur général des Régions du Sud-Est - d'examiner l'état de la défense des frontières alpines et de suggérer toutes propositions pertinentes pour améliorer les choses (DM 370 3/11 du 28 Juin 1920).

    Son premier constat est édifiant (note 186/CSG-E du 19 Août 1920). Il met en évidence les conséquences de la grande guerre et de l'absence de conflit dans le Sud-Est : la frontière a été vidée de ses troupes et il ne reste que deux régiments d'infanterie de ligne et une demi-brigade alpine pour couvrir l'ensemble de la frontière du Mt Blanc à Menton. Ces troupes sont cantonnées en plaine et non aguerries aux conditions de montagne. Les ouvrages défensifs des Alpes sont pour l'essentiel désarmés et abandonnés et les faibles capacités logistiques disponibles ne permettent pas un réarmement rapide. NIVELLE lance donc un véritable message d'alerte en mentionnant au passage que les Italiens ont acquis des capacités de combat en montagne importantes du fait des spécificités de leur théâtre d'opération durant la guerre passée.

    Le rapport final de son étude est diffusé par l'auteur le 6 Octobre 1920 (rapport 218/CSG-N). NIVELLE y exprime la vision des troupes alpines de ce que devrait être la stratégie défensive - mais permettant l'offensive si le politique le souhaite - sur ce front :

  • Etablir une ligne de couverture/surveillance sur la frontière même dès le temps de paix, voire en certains points favorables sur le sol italien en période de conflit. Cet emplacement sur la frontière est le seul qui permet une surveillance, et donc une anticipation des manÅ“uvres de l'ennemi potentiel.

  • Reconstituer une position principale de défense (PPD) au plus près de cette même frontière, prenant appui sur les fortifications anciennes avancées de Bourg-St Maurice, Modane-Mont Cenis, Briançon, l'Ubaye et le long de la frontière des Alpes-Maritimes de l'Authion à Menton. Moderniser et compléter ces fortifications anciennes d'organisations permanentes légères, préférentiellement sous caverne. Cette PPD doit interdire les voies majeures d'entrée sur le territoire, et protéger les centres industriels en développement et les rocades permettant aux troupes de réserve de se déplacer le long du front.

  • Créer davantage de lieux de stationnement en haute montagne pour la couverture de temps de paix, remettre en état les routes et rocades existantes, créer de nouvelles lignes de voies-ferrées, etc...

  • Et surtout rendre l'armée des Alpes à nouveau opérationnelle en triplant son effectif et en relançant un programme d'entrainement et de mise en condition adéquat, animé par un commandement renforcé.


  • Ce rapport formalise les fondements de la doctrine de défense des Alpes telle que définie après-guerre. Elle sera reprise quasiment textuellement dans ses principes, mais précisée et améliorée par le Gal DEGOUTTE ultérieurement, et restera valide jusqu'à sa remise en cause partielle par la CDF en 1928. Le travail de NIVELLE ne couvre cependant pas la Haute-Savoie, car il s'agit de ne pas interférer négativement sur les négociations avec la Suisse relative à la reprise de contrôle de cette partie du territoire entamée depuis 1919.

    Les conditions de la frontière demeurent cependant très calmes. L'Italie est du côté français et trop occupée par ses problèmes intérieurs pour constituer une menace. La défense de la nouvelle frontière allemande et l'armée d'occupation du Rhin sont prioritaires. En début Novembre 1920, suite aux conclusions de rapport NIVELLE, l'Etat-Major de l’Armée (EMA) réaffirme au travers de deux Décisions Ministérielles (DM) successives (695 3/11 du 5 Novembre et 870 3/11 du 16 Décembre) le peu de priorité des Alpes. Les décisions prises consistent néanmoins à :

  • progressivement constituer une division alpine d'active par Région Militaire (14° et 15°) à mesure que les BCA stationnés en Allemagne rentreront en France (a).

  • remettre en service certains des anciens forts en fonction des moyens.

  • créer une école de perfectionnement à la guerre de montagne à Briançon et accélérer dès 1921 la formation des officiers des zones fortifiées.

  • renforcer certains encadrements dès à présent, en particulier sur le secteur de Briançon.

  • … et à reporter toute autre décision aux calendes dans le cadre de l'étude générale de la réorganisation de l'armée en cours.


  • Le général NIVELLE ne verra pas la concrétisation complète des recommandations de son rapport car le contexte n'est pas favorable. Atteint par la limite d'âge, il est placé au cadre de réserve en fin 1921 et décède en 1924. Un des éléments structurants de son rapport, à savoir sa proposition de définition de tracé des positions de surveillance et de défense principale à (re)fortifier, ne sera d’ailleurs validée formellement par l'EMA qu'en 1925.

    L'ère GRAZIANI, ou quatre années de calme plat - 1922-1925


    Le Gal GRAZIANI prend la suite de NIVELLE comme responsable désigné de l'armée des Alpes en Février 1922 et s'attache à mettre en application les recommandations de son prédécesseur avec de faibles moyens. Les effectifs de couverture se renforcent lentement et les positions fortifiées sont remises en état tout en se contentant de surveiller la situation politico-économique agitée de l'Italie. Suite à une décision ministérielle du 16 Octobre 1922, les anciens forts sont rééquipés d'un matériel d'artillerie de sureté... mais sans effectif pour l’opérer ! La Commission de Défense du Territoire (CDT) de son côté considère bien le cas des Alpes, mais sans rentrer dans le détail. Bref, on vit à minima avec finalement en 1924 deux divisions d'active (les 27° et 29° DI) installées sur la frontière.

    Arrivant à son tour en limite d'âge, le Gal GRAZIANI est placé au Cadre de Réserve fin 1924. Dans son "testament professionnel" (note n°222 G du 13 Novembre 1924 à l'EMA et au Mal PETAIN), il attire l'attention des décideurs sur la montée du nationalisme en Italie. Il insiste sur la nécessité d'une couverture solide de la frontière et forme le souhait que l'armée des Alpes ne soit plus considérée seulement que comme une réserve supplétive du front Nord-Est - ce qui était jusqu'alors le scénario officiel le plus probable d'utilisation des troupes alpines, et qui sera d’ailleurs partiellement le cas en 1940 !

    Cette note de GRAZIANI fait mouche car elle est en phase avec la perception qu'ont les politiques de la montée du fascisme. Ceci entraine finalement une réaction tactique de la France. Les premières directives générales relative à la Défense des Alpes remontent à l'instruction ministérielle 259 3/11-1 du 25 Février 1925. Celle-ci réaffirme d'un côté le caractère secondaire du front des Alpes, à ne préparer que dans une logique purement défensive et prioritairement sur les approches de Nice (rappel : la CDT n'a identifié que cette priorité-là dans son rapport de 1923), mais aussi éventuellement pour parer à des actions opportunistes de l’ennemi sur les Hautes-Alpes ou la Savoie. Mais d'un autre, cette instruction prescrit l'étude d'une organisation qui doit intégrer les fortifications anciennes préexistantes et créer les rocades de communication nécessaires. La position défensive de l'Armée des Alpes est à étudier en conséquence et le Général DEGOUTTE , son commandant nouvellement désigné, est chargé de ce travail. Chose importante, le tracé général de la position défensive, au plus près de la frontière, est finalement fixé par cette DM du 25 Février 1925 conformément aux recommandations faites par le Gal NIVELLE cinq ans plus tôt.

    Le programme DEGOUTTE - 1925-1927 (4)


    DEGOUTTE ne perd pas de temps car les bases existent, écrites par ses prédécesseurs. Dès Avril 1925 (note 151/F) il précise les contours de cette organisation défensive :

  • Barrage des voies d'invasion, soit par une ligne continue dans les zones perméables, ou par un secteur fortifié appuyé sur les massifs impénétrables au moyens de "centres de résistance". Ces "centres de résistance" sont composés de petits ouvrages d'infanterie faits d'une ou deux casemates avec mitrailleuse, mortier ou lance-bombes, d'abris PC, de batteries, et parfois de "fortins" - simples ouvrages d'infanterie auxquels on adjoint une ou deux pièces de 75mm. Les constructions sont sous roc à chaque fois que possible car moins couteux.

  • Les secteurs montagneux non fortifiés seront tenus par des détachements légers et mobiles de défense.

  • On créera en arrière de la ligne de résistance une 2e ligne de barrage.

  • Ce programme est à entamer dès le temps de paix, complété largement à la mobilisation


  • Le rôle et les limites des zones fortifiées et des zones de barrage sont d’ores et déjà précisés dès cette note. Elles devront simplement être affinées par des exercices de cadres durant l'été 1925 et une consultation des états-majors des 14° et 15° Régions Militaires (resp. Lyon et Marseille/Nice). Ce travail théorique initial, et le tracé de position général proposé, est ainsi confronté à la réalité du terrain, ajusté à la marge sur certaines zones. Ceci fait l'objet d'un second rapport n° 567/CSG du 24 Décembre 1925, modificatif du premier, qui aboutit à une validation formelle - comme base d'études futures à réaliser par les Régions Militaires - par décision ministérielle 215 3/11-1 du 23 Février 1926.

    L'année 1926 est utilisée à regarder chaque position plus en détail après définition des formes de fortification à employer dans les Alpes (note DEGOUTTE n°240 du 1 Juillet 1926). Le principe pris d'emblée par les Alpins est de construire "léger", à base de casemates pour mitrailleuses, d'une organisation du terrain adaptée (observatoires, abris caverne, PC...), et d'un petit nombre d'ouvrages avec communications souterraines. L'armement préconisé est un mix de mitrailleuses, mortiers et autres armes à tir courbe particulièrement adaptées en montagne, complétées de quelques canons et d'obusiers. L'organisation de la défense des zones passives de haute-montagne est précisée à cette occasion, ainsi que les besoins en rocades et communications.

    DEGOUTTE est désigné membre de la Commission de Défense des Frontières (CDF) créée en décembre 1925 et reçoit délégation de sa part (Note CDF 74/F du 11 Août 1926) pour traiter la question des Alpes dans le rapport que doit la CDF au Ministère. Logiquement, le général reprend les résultats de son travail et les intègre sans modification dans ce qui deviendra le chapitre IX du rapport CDF, sorte d'annexe « Alpes » dudit rapport essentiellement consacré au Nord-Est. Il en profite par ailleurs pour travailler la question - non traitée à ce stade - des effectifs de temps de paix à prévoir et de leur localisation, et donc des besoins en nouveaux casernements. Lors de la réunion du Conseil Supérieur de la Guerre (CSG) du 18 Janvier 1927 qui permit la validation du rapport de la CDF, le Gal DEGOUTTE fut amené à défendre "son" chapitre du rapport en présentant une application concrète de ses vues sur le cas de Bourg St Maurice et en argumentant sur le fait qu'un équipement rapide des Alpes pourrait permettre de libérer des troupes vers le Nord-Est - scénario vu comme encore le plus probable à ce stade et affirmation politiquement habile. Ce commentaire ne tomba pas dans l'oreille de sourds… et montre à l'évidence l'inquiétude très modérée que suscitait l'Italie à ce moment.

    Le programme de défense des Alpes du Général DEGOUTTE est néanmoins prêt dans ses grandes lignes avec un niveau de détail raisonnable.

    Mieux encore, dans le courrier ministériel qu'il reçoit le 26 Janvier 1927 lui signifiant l'approbation du rapport de la CDF -et donc de son projet-, le général reçoit l'assurance que "l'exécution de l'organisation défensive des Alpes sera menée en parallèle de celle du Nord-Est" (sic). Fort de ce soutien, DEGOUTTE organise la suite du travail des 14° et 15° RM vers quelque chose de plus précis encore, notamment au niveau des effectifs nécessaires. Ces études supplémentaires furent approuvées par le Ministre le 23 Mai, avec une demande formelle de proposer dés que possible un programme de travaux pour 1927, extrait du programme général proposé, mais strictement limité à la défense de Nice jugé à ce stade comme le secteur le plus vulnérable et important. Pour financer cela, le ministère était prêt à mettre un total de 13,4 millions de F (5 MF déjà accordés pour de nouveaux casernements et des travaux routiers et 8,4 MF de crédits nouveaux pour des travaux d'organisation du terrain). Sur ces 8,4 MF, 8 sont attribués à la 15° RM (Alpes-Maritimes), et 0,4 MF à la 14° RM (Alpes du Nord).

    Le programme de travaux 1927 demandé est adressé le 7 Juillet 1927 à Paris et contient :

  • La construction de casernements à Beuil, Lantosque et Breil s/s Roya (Lantosque et Breil approuvés mais pas Beuil)

  • L'amorce de construction d'organisations défensives sur :
    - Le tronçon Menton-Bévéra avec un groupe d'ouvrages à Menton (Annonciade et Mt AGEL modernisé), et un groupe d'ouvrages à Sospel (Chapelle St Etienne avec son annexe face au tunnel de Grazian, Cime du Bosc et le BARBONNET modernisé).
    - Le barrage des vallées de la Tinée (au niveau de RIMPLAS ) et de la Vésubie (au niveau de FLAUT )

  • L'installation de batteries de position à Rossetti (juste sous le Mt Agel), à la Tête de la Lavina, sur l'Aution et au Tournairet - en réalité seules les deux premières seront finalement approuvées.

  • Bien que novateur par de nombreux aspects, ce schéma défensif n'est pas sans rappeler la structure en triptyque du système Séré de Rivières dans les Alpes, avec un étagement Barrage en fond de vallée / Protection au-dessus / Surveillance à partir des sommets.

    Ce programme, amputé de l'ouvrage de la Cime du Bosc, devient avec quelques légères modifications le "Programme de Défense de Nice". Il est approuvé par deux DM successives les 15 Juillet et 31 Août 1927 (resp DM 1097 3/11-1 et 1382 3/11-1)... sous réserve d'approbation parallèle par la CDF. Celle-ci dépêcha le Gal DUFIEUX - adjoint au président de la commission - en reconnaissance début Août sur place pour évaluer les choses. Il arpenta le terrain en détail avec le commandement local et fit ses commentaires au ministère.

    Ce "programme de défense" fut réduit dans un second temps - et ajusté des recommandations de la CDF - par DM 1478 3/11-1 du 23 Septembre, incluant les seules organisations défensives strictement nécessaires. Exit donc certains casernements dans le "Programme Réduit de Défense de Nice" , qui se caractérise par la recherche des options les moins luxueuses pour les ouvrages prévus… Mais cette même DM demanda au général de produire rapidement un programme global des organisations défensives de la frontière Sud-Est, extension aux Alpes dans leur totalité de son travail effectué sur la partie niçoise.

    La 15° Région Militaire avait néanmoins reçu le feu vert pour étudier et lancer la construction de nouvelles fortifications en de multiples points, hors du contrôle formel de la CDF et cela bien avant le Nord-Est pour lequel les études de détail n'étaient même pas encore envisagées. La 14° Région n'était de son côté pas totalement négligée puisqu'elle reçut parallèlement l'autorisation de lancer des travaux de préparation, sur ses fonds propres et ayant accès à 0,4 MF de la rallonge de 8,4 MF. Ceci porta sur l'amélioration de la route Termignon-Replat des Canons, la construction d'abris cavernes à Arrondaz et à la Turra, ce dernier avec observatoire… La CDF refusa cependant de commenter ces projets de la 14° RM au motif qu'elle n'avait pas de plan d'ensemble permettant de juger de la pertinence de ces travaux et qu’elle devait donc attendre le résultat de ce qui avait été demandé au Gal DEGOUTTE.

    La conséquence de ce feu vert ministériel fut le lancement des études de quatre fortins ou ouvrages d'infanterie du « programme réduit » DEGOUTTE (Rimplas, Flaut, Sospel-St Etienne et son annexe avancée, Menton) et trois batteries de position (Rossetti/Fontbonne, Lavina et son annexe au col de Braus). Ceci se traduisit concrètement sur le terrain par une reconnaissance des emplacements et la définition du rôle et de l'armement de ces organisations effectuée par le Gal MITTELHAUSSER (commandant la 29°DI), le Gal BECQ (Génie 15° RM), le Gal SARAMITO (commandant le SF Alpes-Maritimes) et le Lt-Col ANDRE (Direction du Génie de Nice) courant Septembre 1927.
    Ainsi – et de façon paradoxale pour un front jugé par les décideurs comme secondaire – les études de détail de la fortification nouvelle démarrèrent dans les Alpes avant celles du Nord-Est et sur une base purement locale.

    Le projet global de fortification demandé en Septembre est rapidement bouclé et ce " Programme général des organisations défensives et de l'équipement en temps de paix de la frontière Sud-Est " du Gal DEGOUTTE (note n°511/CSG) est diffusé pour avis le 15 Décembre 1927.

    La CDF se rappela au bon souvenir du Gal DEGOUTTE sur ce document dès Janvier 1928. L'examen préliminaire de son projet est prévu lors de la rencontre de la CDF le 11 Janvier 1928 et le Gal DUFIEUX, qui connait maintenant bien le dossier, est chargé d'en fournir une analyse à la CDF au préalable. Le rapport d'analyse de DUFIEUX (Note 3/F CDF du 7 Janvier) est raisonnablement et respectueusement critique mais soulève cependant d'emblée les points contentieux qui sont en contradiction avec les vues de la CDF :

  • La ligne principale de résistance (LPR) est souvent très proche de la frontière, voire parfois sur la frontière elle-même.

  • Le programme prévoit 381 constructions (casemates, abris, petits ouvrages et quelques fortins avec artillerie) nécessitant un effectif de couverture trop important avant mobilisation.

  • Le programme présenté ne contient ni ordre de priorisation, ni estimation budgétaire totale. Le Gal DUFIEUX évalue cette dernière entre 650 et 750 millions de francs.


  • Le point essentiel qui ressort, c'est l'impossibilité de parer à une attaque surprise avec des organisations aussi proches de l'agresseur potentiel et nécessitant tant de troupes à déplacer sur site en un temps très court incompatible avec l'échéancier de mobilisation.

    La réunion de la CDF le 18 Janvier 1928, qui se tient exceptionnellement en présence du Mal PETAIN, se déroule très mal. Les généraux DEBENEY (EMA), GUILLAUMAT (CDF) et FILLONNEAU (secrétariat CDF) démontent le travail de DEGOUTTE et refusent en conséquence de l'examiner, et encore moins de le valider... La rencontre finit abruptement avec une demande de PETAIN de retravailler la question de l'adéquation effectif-programme, les formes de fortification, les questions d'équipement du front, d'apporter des réponses à son inquiétude sur l'exposition de la LPR à une attaque surprise et surtout de produire un estimé du coût total de son programme. DEGOUTTE vit cela - non sans raisons - comme une humiliation (b) qui plus est injuste dans la mesure où les principes de ce programme avaient été préalablement approuvés par le Ministère plusieurs mois auparavant, y compris sous le chapeau de la CDF (Chapitre IX du rapport au Ministre de Novembre 1926).

    Le projet fut présenté une seconde fois lors de la séance du 17 Mars 1928 de la CDF. Bien que DEGOUTTE ait pris soin de retravailler les points contentieux sur les effectifs nécessaires et d'écrire une note (n°44/CSG du 22 Février) précisant ses pensées sur les formes de fortification, les coûts et le budget, rien n'y fit. Avant même de passer à la discussion des points du questionnaire d'approbation, le Gal DEBENEY - soutenu par PETAIN - signifia à DEGOUTTE que non seulement son projet général était suspendu, mais qu'en outre la CDF prenait entier contrôle du processus de définition des conditions de défense de la frontière des Alpes. Le décret d'officialisation de cette prise de contrôle fut publié dix jours plus tard, le 28 Mars, suivi d'une demande le 20 Avril à la CDF de produire un rapport sur un "programme d'ensemble d'organisation défensive du Sud-Est" se substituant à celui des Alpins. Tout au plus le rapport des Alpins pourra-t-il servir d'inspiration à ce qui était attendu de la CDF.

    A la question de ce qu'il y avait lieu de décider avec les études déjà lancées localement (RIMPLAS, FLAUT, Sospel-Chapelle St Etienne, Menton…), le Gal DEBENEY concède qu'on se doit de les laisser se poursuivre. Dans le fond, elles correspondent à des budgets déjà accordés et gérés sous responsabilité du commandement local… en tous cas tant que le rapport attendu de la CDF ne soit approuvé et ne remettent les fondements en cause.

    Les choses traineront en longueur pour la plupart de ces projets pour différentes raisons - surcharge de la direction du Génie de Nice, débat interne à la 15° RM sur la localisation du barrage de la Vésubie, études géologiques préoccupantes, etc - si bien que seule la construction du "fortin" de RIMPLAS démarrera durant l’été 1928 selon les directives et principes du rapport DEGOUTTE. La CDF, et la CORF, prendront le contrôle à partir de 1929 des autres projets avant que des travaux d'ampleur ne puissent démarrer. Les batteries protégées prévues au « programme réduit » (Fontbonne, Lavina…) ne virent pas le jour non plus bien que leurs projets techniques fussent établis.

    Ceci marqua la fin du programme DEGOUTTE, mais le général aura des occasions ultérieures de faire valoir ses vues et celles des troupes alpines... La "ligne DEGOUTTE" renaitra de ses cendres !

    Programme de la CDF/CORF - 1928-1935 (5)


    La CDF prend donc les choses en main en Mars 1928, pensant avoir champ libre. C'était sans compter sur l'opiniâtreté du Gal DEGOUTTE et son sens de la manœuvre politique.

    Deux ans de conflits politiques et d’incertitudes budgétaires


    En effet, maintenant les rôles sont inversés : le porteur du projet est la CDF et le rôle de critique revient au général, qui ne va pas se priver de dire haut et fort - et partout - ce qu'il pense de ce qu'a conçu la CDF. Surtout quand cela diffère de ses vues... Ce conflit - attisé par PETAIN qui consultera consciencieusement DEGOUTTE à chaque nouvelle production de la CDF - aura des conséquences néfastes ultérieures sur la relation entre les Régions Militaires locales et la CORF/CDF pendant des années. Les relations seront tellement empreintes de méfiance, que la CDF puis la CORF feront leur possible pour tenir hors du coup les autorités militaires locales du développement des projets successifs, voire des chantiers. Ce n'est qu'à partir de 1931 que l’EMA tapera du poing sur la table en signifiant à la CORF sa totale désapprobation du maintien des locaux hors du coup sur des constructions qu’ils sont sensés utiliser à terme. Les relations commenceront alors seulement à se normaliser.

    Le secrétariat de la CDF, en charge maintenant du travail pratique, va passer l'été 1928 à étudier une nouvelle position de défense conforme à ses vues et aux concepts développés dans le Nord-Est, ainsi qu'une approche différente des formes de fortification :

  • Une LPR hors de portée d'attaque surprise, à prudente distance de la frontière quand c'est possible

  • Des ouvrage moins nombreux mais souvent armés avec de l'artillerie pour assurer le flanquement de la ligne et opérables avec un effectif limité mais spécialisé.

  • Une organisation du terrain permettant les mouvements de réserves, l'approvisionnement et le fonctionnement des ouvrages


  • Pendant que ce travail se déroule, l'ancien programme de "Défense réduite de Nice" suit son cours… Le marché de construction de l’ouvrage de RIMPLAS - dont la localisation ne soulève pas débat et dont le premier avant-projet a été approuvé dès le 3 Mai - est passé le 20 Juillet 1928. Les travaux débutent sur le terrain sous les auspices du Génie de la 15° Région Militaire et selon les vues et standards de construction de la Direction du Génie de Nice. Les études des ouvrages de FLAUT, de FRESSINEA-VALDEBLORE, de l'ouvrage de la BIELA (Chapelle St Etienne) à Sospel et de son annexe avancée au viaduc de la Bassera, et celles concernant la localisation précise de celui à construire à CAP-MARTIN suivent leur cours - toujours sous contrôle direct du Ministère et donc sans que la CDF n'interfère.

    Le secrétariat de la CDF rend sa copie le 14 Septembre 1928. Le rapport 18/FA sur la défense des Alpes est examiné en Comité de Défense des Frontières le 12 Novembre 1928, en présence du Mal PETAIN, et du Gal DEGOUTTE invité pour l’occasion. Ce premier rapport est notable sur le fond et sur la forme :

  • Sur le fond, il éloigne la ligne principale de défense de la frontière en de nombreux points dans les Hautes-Alpes et les Alpes-Maritimes et propose un plus petit nombres d'ouvrages (une centaine contre 381 dans le rapport DEGOUTTE). Ces ouvrages sont plus importants, mieux armés et mieux à même de pouvoir être mis en état de défense rapidement en cas de surprise.

  • Sur la forme, le rapport est très personnalisé dans sa critique nominative du travail précédemment effectué. En particulier, le chapitre sur les coûts de l'organisation défensive accuse à mots à peine couverts le Gal DEGOUTTE de sous-estimation patente et volontaire de sa propre estimation.


  • La discussion animée du document, qui donne lieu à un échange de notes entre les parties prenantes d'une rare violence dans ce milieu feutré du haut commandement, montre à l'évidence l'absence de consensus. Outre le tracé proprement dit, la question de la forme de fortification fait débat et le Gal DEBENEY - Chef d'Etat-Major Général - concède que la construction débutée depuis quelques mois de l'ouvrage de RIMPLAS pourrait éventuellement servir de terrain d'expérimentation pour le reste de la position des Alpes (rôle qui sera en réalité très limité et sans suites) en parallèle des ouvrages prototypes prévus pour la même finalité dans le Nord-Est. Le ministère demande donc au secrétariat de la CDF de revoir sa copie en y intégrant les points arbitrés par la Mal PETAIN durant la réunion. Une nouvelle version intermédiaire du rapport est émise en janvier 1929 (rapport 2/FA, qui ne sera pas présenté car encore jugé trop personnalisé et donc politiquement critiquable).

    Le rapport final 25/FA est produit le 12 Février 1929 et est empreint d'un grand sens du compromis. Il prévoit deux cycles de travaux, avec un "programme restreint de défense des Alpes" à construire sur 1930-1934 pour un montant de 208 millions de F (MF) et une 2e tranche de 1935 à 1940 permettant de compléter le programme restreint jusqu'au programme d'ensemble, lequel est estimé à 700 MF. Ce "programme restreint" de la CDF-CORF doit intégrer le "programme réduit de défense de Nice" du Gal DEGOUTTE déjà approuvé en 1927 (décision du 3 Août 1929).

    Ce rapport final 25/FA de la CDF sur la défense du Sud-Est est approuvé par décision ministérielle 551 3/11-1 du 19 Mars 1929 et constitue le document fondateur de la nouvelle vision de défense des Alpes. Les études relatives au « programme restreint » défini dans le rapport sont immédiatement lancées par les Directions du Génie (DG) locales qui deviennent pour l'occasion des délégations locales de la CORF et rapportent fonctionnellement à celle-ci pour ce travail. Cette décision met les DG locales dans une situation parfaitement inconfortable car elles rapportent du coup simultanément à deux chefs (les Régions Militaires et la CORF) qui ne s'entendent pas du tout, la seconde demandant en outre aux DG de ne pas informer les premières de ce qui se trame sur leur ban, au moins dans un premier temps. Des Directeurs du Génie, comme le Lt-Col puis Col ANDRE à Nice géreront cette situation entre l’enclume et le marteau avec une élégance certaine.

    Fin Avril 1929, les délégations locales sont autorisées à créer chacune un bureau d'étude spécialisé qui prend ses directives techniques exclusivement auprès de la CORF. Ce mode de fonctionnement entraine un inévitable flottement sur le terrain, les ordres et contrordres se croisant entre les autorités militaires locales et la CORF sur tel emplacement d’ouvrage ou tel armement à prévoir ici ou là… Corollaire de cette prise de contrôle, le « programme réduit » des Alpins va ainsi se trouver progressivement - mais fermement - changé par la CORF pour coller à ses vues.

    De la partie active du « programme réduit » original de DEGOUTTE il ne reste plus fin 1929 que l’ouvrage de RIMPLAS qu’il est trop tard de remettre en cause puisque les travaux ont débuté l’été précédent. Le risque était toutefois faible car la localisation ne fait absolument pas débat… Cependant, l’armement de l’ouvrage et sa configuration vont drastiquement évoluer vers quelque chose qui n’a plus rien à voir avec ce que les généraux DEGOUTTE, MITTELHAUSSER, BECQ et SARAMITO avaient imaginé de leur côté en fin 1927. D’un simple fortin avec deux créneaux de 75mm sous roc et quelques mitrailleuses et mortiers Stokes sur plateformes roulantes, on va progressivement, et dès Juillet 1929, aller vers un « ouvrage » avec six pièces de 75mm, quatre mortiers de 81mm, quatre jumelages de mitrailleuses et une multitude de créneaux et cloches FM selon une forme de fortification qui n’aura plus rien à voir avec celles de DEGOUTTE et beaucoup à voir – avec quelques nuances – avec les formes établies par la CORF pour le Nord-Est.

    Après reconnaissances sur place, le Gal BELHAGUE (président de la CORF et chef du secrétariat de la CDF) précise à la DTF de Nice le 27 Octobre 1929 ses instructions de cadrage pour l’établissement du « programme restreint » pour les Alpes Maritimes (note 191/FA).

    L’avant-projet de « programme restreint » régional est émis par chaque Direction locale entre mi-Novembre 1929 et début Février 1930 avec un budget prévisionnel total qui dépasse largement le devis initial de 208 MF du rapport 25/FA. Ces 208 MF sont bien couverts par la loi Maginot du 14 Janvier 1930 et les budgets précédemment accordés, mais sans plus... Cette inflation n’est pas surprenante, car le nombre des ouvrages a augmenté et les études effectuées durant la période montrent qu’il va falloir construire sous béton et non sous roc bien plus que prévu du fait de la nature généralement hétérogène du rocher alpin. Le 5 Décembre 1929, la CORF demande donc à la Direction de Nice – qui représente la plus grosse part - de revoir les projets pour les séparer en deux urgences, la première rentrant dans les 200 millions alloués au « programme restreint ». L’avant-projet final du « programme restreint de défense des Alpes-Maritimes », le premier à être bouclé, est présenté le 2 Février 1930, et approuvé le 19 Mars 1930 (DM 581 3/11-1).

    On rentre dans le budget, mais le résultat ne ressemble plus qu’à l’ombre de ce qui était prévu au départ : quatre courts barrages puissants -mais partiels- des trouées sont prévus à Menton, Sospel, en Vésubie et en Tinée. Entre ces barrages locaux il n’y a rien de prévu et le reste de l’infrastructure est à l’avenant. On fait même des économies sur la dotation d'approvisionnement en munition des ouvrages ! Côté Alpes du Nord, les coupes sont elles aussi drastiques : la LPR du rapport 25/FA qui passait le long de la frontière entre la Haute Tarentaise et Modane par le Mont Cenis va être considérablement raccourcie en ligne droite de Villaroger à Modane en passant par le col de la Vanoise. Les deux lignes de défense qui passaient par la Haute Maurienne et le col frontière du Mt Cenis disparaissent donc. Par contre ce premier projet perpétue la tendance tactique antérieure, héritée de l'ère Séré de Rivières. Les barrages de vallée feront office d'interdiction, pendant que des "ouvrages d'artillerie" protègeront le barrage et des observatoires aux sommets assureront la fonction de surveillance. Cette version peau de chagrin en deux urgences du « programme restreint de défense des Alpes » ne vivra que 3 mois.

    Le maréchal PETAIN va consulter en Avril 1930 le commandant désigné de l’Armée des Alpes, le Gal DEGOUTTE, sur cette 1ère urgence du « programme restreint » de la CDF-CORF… DEGOUTTE tient sa revanche, mais en joue avec habileté : tout en se gardant dans sa réponse de remettre en cause les fondements du rapport 25/FA -qui fait maintenant office de Bible- ni les ouvrages prévus et dont les avant-projets sont en élaboration, il propose de prendre le contrepied de la direction prise par la CORF. Au lieu de ne construire sur de courts tronçons en 1e urgence qu’une fraction des ouvrages dans leur forme complète, artillerie et infanterie, il recommande de ne construire que la partie « infanterie » de tous les ouvrages prévus par la CDF au programme restreint pour permettre une couverture complète et continue de la ligne de défense. Par économie il propose par ailleurs de n’employer autant que possible que de la main d’œuvre militaire (MOM) à ces travaux. Au détour des annexes à son rapport, il en profite – chassez le naturel… - pour reproposer certaines organisations avancées de son propre programme de 1927-28 qui avaient été rejetées par la CDF. L'abandon prévu par ailleurs de la Haute-Maurienne et de la Haute-Tarentaise par la CDF est fortement contesté par les autorités militaires locales, DEGOUTTE en tête.

    Ce pavé dans la mare du Gal DEGOUTTE crée un émoi considérable dans les arcanes de la CDF, qui mesure le danger de remise en cause complète, d'atermoiements supplémentaires, de perte de temps, … Sur Avril-Mai, la commission va arroser littéralement l'EMA et les décideurs des Directions du Ministère d'une rafale de notes de synthèse s'attachant à démontrer l'absence de validité des vues de DEGOUTTE et les conséquences malencontreuses qu'on risquerait à accorder du crédit au contre-projet. La rupture est consommée.

    Pour permettre malgré tout l’atteinte d’un arbitrage qui fasse sens, PETAIN effectue du 21 au 24 Mai 1930 une visite complète du secteur des Alpes-Maritimes avec le Gal WEYGAND (chef d’Etat-Major), et les Gaux BELHAGUE et DEGOUTTE. Ce dernier en profite pour remettre au maréchal un mémo par lequel il réitère ses commentaires et propose la construction sans tarder d’avant-postes légers sur son ancien tracé. PETAIN livre ses directives par écrit une semaine plus tard à WEYGAND, savant équilibre à la Salomon entre les vues de DEGOUTTE et de celles de la CDF :

  • On va finalement construire la 1e et la 2e Urgence du « programme restreint » sur l’ensemble des Alpes-Maritimes pour assurer la continuité chère à DEGOUTTE et demandée depuis l’origine par le Ministère, en ajoutant au passage quelques ouvrages intermédiaires (d’infanterie) pour garantir cette continuité de feu.

  • On va construire les organes d’artillerie nécessaires avec à minima des obusiers dans un ouvrage de chaque trouée et des pièces de flanquement sur l’ensemble – en ceci il va dans le sens de la CDF-CORF.

  • On va établir par main-d’œuvre militaire – à titre d’essai et sur budget de la Région Militaire - 2 ou 3 ouvrages légers en avant-poste selon les vues et sur les emplacements imaginés par le Gal DEGOUTTE dans ses travaux antérieurs aux points les plus critiques de la position frontière. Si l’expérimentation limitée à 1930 s’avère positive, on verra à étendre ce programme d’avant-postes.

  • …et à tout ceci on va rajouter ce qui était prévu au « programme d’ensemble » entre l’Arboin et la mer à l’exclusion de l’ouvrage d’artillerie prévu à la Lavina pour protéger le barrage de Sospel et de l’ouvrage avancé de la pointe du Bosc (Croix de Cougoule).


  • Le budget n’est du coup plus du tout le même... Pour encaisser l’augmentation inéluctable de celui-ci, PETAIN demande à arbitrer à la baisse sur les SF de Savoie et le SF du Dauphiné (nommé Hautes-Alpes à l’époque). Les fortifications de Tarentaise passent temporairement par pertes et profits, ainsi qu’une bonne part de la position de Briançon (sauf le JANUS). Seule la Maurienne et l’Ubaye restent vierge de coupure majeure, ce dernier secteur étant de toute façon marginal. Par ailleurs le maréchal se fait fort d’aller chercher 200 MF supplémentaires que le Ministère lui a laissé entrevoir. Tout le monde peut se retrouver dans cette orientation, mais celui qui sort objectivement vainqueur au point par surprise de ce round est le Gal DEGOUTTE qui peut amorcer enfin, selon ses propres standards et sur son propre tracé, la ligne de défense dont il avait rêvé depuis 1926.

    Emporté par son enthousiasme, DEGOUTTE envoie dès le 28 Mai une note à la 15° Région Militaire demandant le lancement séance tenante de l’étude de non pas deux ou trois, mais six ou sept avant-postes entre L’Authion et la mer. Il se fait immédiatement et amicalement recadrer par son ami WEYGAND qui ne lui autorise que ceux du Mont Razet (PIERRE POINTUE et BAISSE de SCUVION) et celui de la PENA. Censure purement temporaire, car - appuyé par l'état-major de la 15° Région, qui écrira directement à l'EMA - le général parviendra à avoir gain de cause et c’est bien la construction de sept ouvrages d’avant-poste (c) qui sont finalement engagés en 1930.

    En parallèle, la CORF a recalibré le programme de construction défensive des Alpes sur la base des 408 Millions de F promis par PETAIN. Ce programme est approuvé par DM 1446 3/11-1 du 15 Juillet 1930. Malheureusement, côté budgétaire les choses se passent moins bien que prévu par le maréchal... 80 millions de francs supplémentaires sont bien accordés par le gouvernement le 15 Juillet 1930, qui approuve un budget de 280 millions, mais les 120 millions complémentaires promis à PETAIN se laissent attendre. La Direction du Contrôle du ministère devra racler les fonds de tiroir pour trouver environ 82 millions additionnels au-delà des 280 déjà sécurisés. Cette somme est prise au détriment du programme Nord-Est qui est réduit d'autant.

    Ce travail laborieux aboutit finalement à un montant total disponible de 362 millions au lieu de 408. Pire, la CORF en a profité pour revoir les devis des ouvrages, et c'est maintenant 450 millions qu'il faudrait (Note 342/FA du 27 Octobre), incluant 10 millions pour la Corse. Consulté sur ce petit souci de 88 millions, le Secrétariat Général du Ministère - détenteur des cordons de la bourse - se montre intraitable : il faut arbitrer à la baisse pour revenir à 362 millions. On reporte donc en 2° cycle début Novembre les défenses de la Tarentaise, défense des Chapieux / Col du Bonhomme et route du Courbaton compris, on réduit ce qui est prévu en Briançonnais par report des ouvrages des ALBERTS, de GONDRAN et des AITTES, on reporte l'ouvrage des SAGNES en Ubaye, la modernisation du REPLATON en Maurienne, la construction des petits ouvrages d'ARRONDAZ et de FOUILLOUZE (ces deux derniers étant rattrapés sous forme de chantier MOM), et on passe l'ouvrage de l'ARBOIN au nord de Nice en 2° cycle. L’ouvrage principal du JANUS en Briançonnais est lui-même restreint aux blocs de flanquement Sud-Est. Cette dernière décision sera ensuite inversée, le flanquement Nord-Ouest étant finalement privilégié. Ces dispositions et le financement correspondant de 362 millions sont finalement approuvés le 20 Novembre (DM 2374 3/11-1).

    La Direction de Nice produit son avant-projet remanié de programme restreint de défense des Alpes-Maritimes le 8 Décembre 1930. C’est sur cette base que le Gal BELHAGUE établit le 14 Décembre 1930 avec l’aide des compléments issus des autres Directions régionales l'avant-projet final de « Programme des 362 millions » qui sera en fin de compte le programme de référence pour le Sud-Est. L’approbation du programme intervient par DM 214 3/11-1 le 26 Janvier 1931. Mais le prix sous forme de perte de temps des atermoiements, conflits de dogmes et incertitudes budgétaires est lourd : deux ans se sont passés depuis l’écriture du rapport initial de la CDF sans que rien de concret - à part les scories du programme DEGOUTTE - ne sorte de terre.

    Les travaux concrets démarrent


    Néanmoins le temps n’a pas été complètement perdu car depuis mi-1929 les avant-projets des différents ouvrages se succèdent. Après celui de RIMPLAS, dont le chantier végète depuis quelques mois en l’absence de clarté sur ses organes, les marchés des chantiers des ouvrages de SAINT ROCH, AGAISEN, FRESSINEA et VALDEBLORE ans les Alpes-Maritimes, ainsi que le percement des casemates d'artillerie sous roc du fort de l’Olive à Briançon sont passés en Mars 1930. HAUT SAINT OURS (Ubaye) et SAPEY (Maurienne) sont passés en Septembre 1930, suivis de CAP MARTIN, ROQUEBRUNE, MONT AGEL et PONT SAINT LOUIS (Menton), préparés et passés en Novembre 1930. Le démarrage anticipé de ces chantiers tient à leur lien avec le programme réduit initial de 1927, leur compatibilité avec la tranche budgétaire des 200 millions initiaux ou à l’absence de doute quant à leur nécessité. Il faudra attendre la validation formelle du « programme des 362 millions » pour autoriser le lancement des marchés de tous les autres ouvrages durant la première moitié de 1931.

    Les formes de fortification ont aussi évolué sur 1929-1930. Les premiers avant-projets des gros ouvrages proposés par les chefferies sont au départ relativement similaire et très teintés des idées techniques des Directions locales. On a presque systématiquement une entrée unique et une multitude de casemates sous roc ou quand ce n’est pas possible, un ou deux massifs bétonnés géants bardés de créneaux et surmontés d’un observatoire. On trouve par ailleurs quasiment systématiquement des emplacements à ciel ouvert pour mortiers Stokes ou de 81mm à proximité de l’entrée.

    Sans doute lassé de refuser des projets de blocs s’apparentant à de petits clones du fort Boyard, de répéter les mêmes commentaires à chaque nouveau projet et de répondre aux mêmes questions techniques sur la ventilation, les entrées, etc, le Gal BIRCHLER (Inspection Technique des Travaux de Fortification - ITTF) finit par écrire une « Note relative aux avant-projets des ouvrages des Alpes » le 3 Mai 1930. Avec ses additifs de Décembre 1930 et Février 1931, cette note constitue le document technique de référence de la ligne des Alpes, et met un terme à ces errements architecturaux précoces en précisant un ensemble de standards dérivés de l’expérience acquise sur les fortifications Nord-Est. Cela a un impact majeur sur l’unique chantier d’ouvrage en cours à ce moment-là, celui de RIMPLAS dont les avant-projets de la partie active se succèdent sans parvenir à atteindre un consensus entre concepteurs locaux et instances centrales parisiennes. Seul l’escarpement passif et une partie des galeries intérieures ont été réalisé à ce stade, mettant là aussi en évidence des difficultés géologiques rendant un ouvrage majoritairement sous roc irréaliste à construire. Les spécificités qui étaient censées faire de RIMPLAS un ouvrage prototype de la fortification des Alpes, comme le suggérait de guerre lasse le Gal DEBENEY en Décembre 1928, perdent de facto toute raison d’être du fait de ces notes de BIRCHLER. Le retour à l’orthodoxie architecturale fera de cet ouvrage un cas unique et sans lendemain, mélange d’errements initiaux, de conceptions typiques des spécialistes de Génie de Nice teintées de réminiscences de l'ère Séré de Rivières et de formes standard de la CORF imposées à RIMPLAS postérieurement à 1930. De l’ensemble des dispositions particulières de cet ouvrages, seule l’entrée caverne pour téléférique – originale à l’époque en France - aura d’autres applications ponctuelles ultérieures (Mt AGEL, ROCHE la CROIX pour ne citer que celles réalisées).

    En parallèle, les travaux routiers sont en cours en 14° et 15° Région pour préparer les accès aux futurs chantiers et constituer les rocades prévues au programme (routes Valmeinier-Arplane en Maurienne, du Granon en Briançonnais, de St Ours, Roche la Croix, Flaut, Agaisen, et les rocades Moulinet-Turini ou du Mt Ours dans les Alpes-Maritimes). Le premier téléférique militaire permanent du programme entre la route de Moulinet et Cabanes-vieilles et les casernements de Lantosque et Breil sur Roya, rares réminiscences du "programme réduit" du Gal DEGOUTTE, sont eux aussi achevés fin 1930 et courant 1931.

    Parallèlement, la « ligne DEGOUTTE » des sept premiers avant-postes (c) des Alpes-Maritimes sort aussi de terre, mais moins vite que ne le souhaiterait le Général, qui voit là l’opportunité de démontrer enfin la validité de ses vues et qui s'implique personnellement beaucoup dans ces projets. Les chantiers sont initialement lents car la MOM n’a pas l’expérience de ce genre de constructions, le Génie manque de spécialistes de chantier, le matériel spécialisé et le bois d’étayage manque (d), la Direction de Nice croule sous le travail de dessin des ouvrages de la ligne principale… L’EMA suit la question de loin – plusieurs notes d’analyse interne en témoignent - et tente de protéger la sérénité du commandement local qui est pris entre les réticences de la CORF, très attentive à la disponibilité réelle de la MOM sur ses propres chantiers, et la pression mise par DEGOUTTE. Trois autres chantiers d’AP démarrent à l’automne 1930 en 15° Région Militaire (RM), à savoir CROIX de COUGOULE (Cime du Bosc), VALABRES et SAINT DALMAS. En janvier 1931, le Gal WEYGAND approuve les quatre derniers AP prévus par la 15° RM , à savoir ISOLA, CONCHETAS, CASTEL VIEIL et le PLANET. Il convient là de rendre hommage aux troupes coloniales Nord-Africaines : leur habitude de la vie en haute montagne dans des conditions spartiates et leur résilience les désignent prioritairement pour mener à bien les nombreux chantiers attribués à la MOM. La 1° DINA, unité organique de la 15° Région Militaire, fournira ainsi tous les étés ses régiments de tirailleurs algériens, ou marocains pour construire les ouvrages.

    La 14° Région n’est pas en reste puisqu’elle propose en Décembre 1930 la construction de sa propre ligne de 9 avant-postes dès 1931 (sur un total de 29 prévus...), pour un montant de 3 millions de F. Ces projets d’avant-postes, dont certains comportent même de l’artillerie de campagne, sont de nature bien plus complexe et étendues que ceux de la 15° RM. Cela suscite de nombreuses critiques du Gal DEGOUTTE, lequel insiste pour une application dans le nord des Alpes des recettes gagnantes – les siennes – mises en œuvre dans les Alpes-Maritimes. Il n’est que partiellement entendu sur la forme spécifique de ces AP, mais c’est sa liste révisée de 9 (note 406/S du 29 Décembre 1930) qui sera approuvée par l'EMA : SELOGES, MONT-CENIS (futur AP des REVETS), FREJUS, La ROUE, VALLEE ETROITE, MONTGENEVRE ou CHENAILLET selon ce qu’il advient de l’ouvrage CORF de la VACHETTE, LARCHE, Les FOURCHES, et Las PLANAS. A noter que la proposition initiale de la 14° RM prévoyait 4 avant-postes à construire sur la LPR (!) mais à des positions qui avaient été prévues dans le programme des Alpins en 1927 puis mises de côté par la CDF. DEGOUTE, jouant le jeu, récuse ces AP et renvoie le bébé à la CORF pour discussion et prise en compte éventuelle. Ces AP (VILLAROGER, ROCHILLES, AITTES, et FOUILLOUZE – PLATE LOMBARDE) seront bel et bien construits ou prévus au standard CORF… mais à construire par la Main d’œuvre Militaire car la commission n’a pas les moyens de prendre en compte ces constructions imprévues. La plus grande complexité architecturale des AP de la 14° Région alliée à la difficulté relative à l’altitude plus élevée des chantiers rendront ceux-ci beaucoup plus long à construire. Là où l’essentiel est achevé en 15° RM dès fin 1931, il faut attendre 1933 pour que le plus gros soit réalisé en 14° RM. Notons au passage que l’AP du CHENAILLET – qui avait fait l’objet d’une vive polémique entre DEGOUTTE et la CDF lors des débats de début 1929 - ne sera jamais achevé car finalement confirmé à la place de celui de MONTGENEVRE, tardivement retiré des projets après validation du lancement de la construction de l’ouvrage de la VACHETTE.

    Les débats sur le tracé proprement dit de la position principale n’étaient pas tout à fait terminés. Une différence d’appréciation sérieuse existe toujours sur celui du massif de l’Authion entre le col de Brouis et la Vésubie, zone laissée prudemment de côté pour le moment, mais chère au Gal DEGOUTTE car constituant la pierre angulaire de la position des Alpes-Maritimes. Le tracé qui fait foi jusqu’en fin 1930 était celui défini par la CDF, résultat d'un arbitrage par PETAIN entre les vues initiales de la CDF (Arboin-Plan Caval-3 Communes) et celles des Alpins défini au milieu des années 20 (Col de Brouis-Col d’Agnon-Vallon de la Maglia-Redoute de la Béole-flanc sud du vallon de Caïros-Col de Raus/cime du Tuor). Ce dernier tracé à flanc et en avant de la crête de Ventabren et du massif de l’Authion proprement dit permettait d’utiliser la crête et les sommets de l'Authion comme des positions d’artillerie et un réduit protégé à distance par la LPR mais était compliqué à mettre en œuvre, couteux en ouvrages du fait des nombreux ravins et difficile à relier par des routes défilées. Le Gal BELHAGUE et la CORF remettent donc cela en cause en Décembre 1930 en proposant de revenir à un tracé sur la crête même par l’Arboin-Gonella, puis la pointe de Ventabren, Giagiabella et le plan-Caval-Trois communes-Cime du Tuor.

    Massif des Alpes - Authion

    Secteur de l'Authion et ses nombreuses alternatives


    Ce tracé est plus court et naturel, mais rejette les éventuelles positions d’artillerie en arrière sur la crête de Turini-Tueis-Authion, voire celle de Peira-Cava, soit une perte de 4 à 8 km de portée. Une fois de plus, PETAIN consulte DEGOUTTE sur cette alternative, lequel démolit la proposition de la CORF : la LPR se situerait sur une crête étroite et donc exposée aux tirs d’artillerie, mettant les positions de campagne des intervalles en danger de destruction rapide. Elle entrainerait selon lui enfin une perte quasi-totale de vues sur la vallée de la Roya. PETAIN, comme précédemment, donne raison à DEGOUTTE… et à BELHAGUE… en proposant que la LPR demeure là où elle était prévue mais qu’une bretelle empreinte le tracé de crête proposé par la CORF, avec ouvrages d’artillerie à l’ARBOIN (1ère urgence) et l’AUTHION (AUTION à l’époque) en 2éme urgence. La LPR d’origine ne serait donc plus tenue que par des ouvrages d’infanterie à Col d’AGNON, la Maglia, la BEOLE, vallon Ste Anne et Tuor/Col de Raus. Cette approche est validée par le Gal GAMELIN, qui vient à peine d’être nommé comme nouveau Chef d’Etat-Major Général.

    L’année 1931 est celle qui voit réellement la généralisation des constructions des chantiers attribués aux entreprises civiles, puis à la MOM essentiellement à partir de 1932. Les chantiers avancent rapidement quand ils sont en vallée ou en zone tempérée permettant des chantiers tout le long de l'année, et beaucoup plus lentement partout ailleurs. L'avancement le moins rapide est logiquement observé sur les petits ouvrages de haute altitude construits par de la main-d'œuvre militaire non spécialisée pendant des période de trois mois d'été maximum. Cette situation est aggravée quand la nature géologique du terrain se révèle défavorable. Certains chantiers sont ainsi prématurément abandonnés (l'abri de PLAN à MARIN, dont le chantier est fermé en 1934 par exemple) ou subissent en cours de route des changements importants (ARRONDAZ, GORDOLON, …). Par ailleurs on assiste à des arbitrages par substitution : l'allocation de l'observatoire isolé de SIRICOCCA - jugé redondant avec celui du PIC de GARUCHE - est réattribuée à la construction de l'abri de la CROUPE du RESERVOIR en 1932 car ce dernier est jugé plus important.

    Néanmoins, l'extension des travaux MOM accordés aux Alpins et les premières mauvaises surprises budgétaires entrainent dès début 1932 une première vague de reports et ajournements, sur un mode déjà bien ancrée dans le Nord-Est. La raison mise en avant par la CORF est rationnelle : si le nombre de blocs ou d'organisations n'a pas augmenté, il apparait des surcouts importants liés à l'impact de la nature du sol - souvent moins bonne qu'anticipée - et l'obligation de multiplier les cuirassements (cloches GFM, LG, etc) pour couvrir correctement un profil de terrain complexe. Ainsi, le 21 Janvier 1932 on propose une simplification drastique des ouvrages d'infanterie de Haute-Tinée (gain de 5,6 MF) et le 5 Février 1932, le bloc B de l'ouvrage de FLAUT est reporté en 2e cycle avec les blocs d'infanterie de l'ouvrage du BARBONNET (gain de 5,5 MF) ainsi que le téléférique Tunnel de Braus-Col St Jean à Sospel. Pour faire bon poids, l'EMA va jusqu'à admettre de réduire de 50% l'approvisionnement en cartouches de 7,5 mm des ouvrages (Note 71/FA du 20/01/1932). L'ensemble représente 16,5 millions de F, et ce n'est que le commencement.

    La question de la protection contre les attaques surprises


    La protection de la frontière contre une attaque surprise est un sujet qui avait bien été pris en compte dans les réflexions initiales, tant des Alpins que de la CDF. On pouvait en effet craindre qu'une colonne motorisée déterminée partant d'Isola ou Tende - et agissant par surprise - ne soit à Nice en quelques heures avant que les dispositions de défense immédiate ne puissent être mises en œuvre concrètement. Un programme minimum de destructions de routes avait été engagé, mais les autres dispositions de barrage de voies de pénétration étaient restées dans les cartons de la CORF sans concrétisation, à l'exclusion du barrage rapide de PONT SAINT LOUIS dont la construction déjà engagée ne pouvait plus être reportée comme les autres barrages rapides. A peine nommé à la tête de la 14° Région Militaire (Alpes du Nord), le Gal DOSSE remet en Juin 1932 le sujet sur la table au travers d'un rapport détaillé, préoccupé qu'il est par l'absence de ce type de projets en 1° Urgence conjugué à l'état d'inachèvement total des fortifications de la CORF. Sa note arrive cependant au mauvais moment car implique des dépenses supplémentaires estimées à 1,8 millions de F (doublement des barrages rapides sur un même axe, communications téléphoniques, etc). Comme souvent dans le cas de ce type de demandes, la CORF va fournir une réponse en deux temps habituelle et bien rodée :

    1) L'idée proposée par le général est excellente et devrait grandement améliorer les choses, mais...
    2) mais le budget est épuisé donc on ne peut pas prendre en compte cette demande… sauf à reporter autre chose. Merci de nous dire quoi.

    L'EMA endosse cette réponse de la CORF sans broncher, mais le rapport du Gal DOSSE a néanmoins plusieurs conséquences immédiates pour accélérer la construction de défenses de route à minima - sur budget de la Région Militaire… - , et pour rapprocher les cantonnements des troupes de couverture de la frontière, notamment vers Bourg-Saint-Maurice, Modane et Tournoux. Ce même rapport déclenche les réflexions autour de la protection de la sortie en France du tunnel de Modane, qui se traduiront par les constructions qu'on connait de nos jours à la sortie du tunnel (RIEU-ROUX, Maison penchée…) et les procédures de contrôle des trains venant d'Italie.

    La réflexion de principe continue au sein de l'EMA et aboutit avec l'émission d'une "Instruction générale pour la défense des Alpes en cas d'attaque brusquée" signée GAMELIN le 9 Août 1933. Ce document précise la procédure à suivre pour protéger les ouvrages de fortification (garnison de sûreté) et déclencher les DMP de la série Minima avec le personnel d'active relocalisé en conséquence. Cette instruction sera remise à jour en Novembre 1934 à la lumière de la mise en place progressive des unités de forteresse et l'écriture du plan Dbis de mobilisation, puis simplement intégrée comme un chapitre spécifique dans les plans de mobilisation ultérieurs (E, F...).


    Une réalisation sur le long terme et partiellement amputée


    Hors les arrêts de construction ou les changements de nature technique sur les ouvrages, il se rajoute à partir de fin 1932 de nouveaux ajournements de nature économique pour contenir l'inflation des couts. Celle-ci - inévitable - tient aux mauvaises surprises de chantier (infiltrations ou terrain délicat à GORDOLON, FLAUT, CAP MARTIN,...), les erreurs d'évaluations initiales (MONTE GROSSO passe de 27 millions à 32 millions, ...), ou l'ajout au devis de dépenses qui n'avaient pas été prises en compte initialement (route d'accès aux ouvrages de COTE 902, GORBIO, …). Le devis se monte maintenant à 463 millions de chantiers civils et 25 millions de chantiers MOM, malgré les 16,5 MF déjà ajournés en Janvier 1932, pour le même budget alloué de 362 millions, soit un dépassement de près de 130 millions.

    Ainsi, entre Janvier et Mars 1933 un ensemble d'organisations prévues en 1er cycle mais non encore commencées vont passer par pertes et profits : la tourelle de 75mm de l'ouvrage de FLAUT, le bloc B du MONTE GROSSO, les ouvrages intermédiaires de COTE 902, VALLON de NIEJA, VALLON de GORBIO qui pourtant avaient vu leur marché de construction approuvés le 28 Septembre 1931, la partie active de l'ouvrage de la BEOLE - qui devient donc un abri passif -, les ouvrages d'altitude des Cols de JALLORGUES et du PAL, ainsi que les abris de la FORCA, de MILLEFOURCHES, de la TORACCA, du CARREFOUR des CORNICHES… Le report de l'ouvrage intermédiaire de NIEJA entraine cependant la requalification du CHAMP de TIR d'AGAISEN d'abri passif en abri actif par ajout d'un bloc mitrailleuse de couverture du vallon de Nieja. De même, la suppression de VALLON de GORBIO entraine en contrepartie des modifications sur l'armement du COL de GARDES. Tous ces ajournements (-18 millions) sont très loin de couvrir le déficit, le risque étant de devoir arrêter les travaux dès 1933. Alerté sur ce point par la CORF, le secrétariat général du Ministère convient avec l'EMA de laisser courir : le sujet est plus large que le Sud-Est et devra être traité globalement.

    En Avril 1933, alors que les études de l'ouvrage de l'ARBOIN-La GONELLA ont démarré, l'Armée des Alpes (Gal MITTELHAUSSER) demande à nouveau l'équipement du massif de l'Authion en commençant par la construction d'un abri actif au COL d'AGNON juste en avant. Consulté sur l'opportunité qu'il y aurait à fusionner les deux projets, le Gal BELHAGUE visite à nouveau les lieux et, changeant son fusil d'épaule, demande en Juin 1933 à ce qu'un projet global pour la fortification de l'Authion soit élaboré en conservant le PO des Alpins au COL d'AGNON et en remplaçant pour le même montant l'ouvrage de l'ARBOIN par un gros ouvrage vers les 3 COMMUNES. Cette option a l'avantage de mieux équilibrer l'armement d'artillerie entre MONTE GROSSO et FLAUT. Le plan d'implantation général de l'ouvrage de l'AUTHION est présenté le 18 Juillet 1933 (dossier 740/F) et approuvé le 7 Août suivant par la CORF. Ce 2e grand projet technique relatif à l'Authion et ses variantes sont finalisés le 13 Juillet 1934, mais laissés sans suites.


    Un ralentissement entre 1936 et 1937, mais pas d'arrêt


    La montée des dangers du côté de l'Allemagne en 1935 (plébiscite sarrois, remise en place de la conscription…) associé à la crise économique et la politique de réduction des dépenses publiques menées par les gouvernements de centre-droit ont deux conséquences : une baisse générale des moyens alloués à la défense des frontières, et un recentrage de ce qui reste vers le Nord-Est. La détente avec l'Italie (traité de Rome et conférence de Stresa) entraine un ralentissement majeur des travaux dès la deuxième moitié de 1935. La remilitarisation par les nazis de la Rhénanie en Mars 1936 en réponse à l'entrée en vigueur du pacte d'assistance franco-soviétique et l'arrivée au pouvoir du Front Populaire sur fond de crise économique majeure (dévaluation du franc Poincaré de 35% le 26 Septembre 1936) ne font qu'amplifier le mouvement.

    Comme suite à la dissolution de la CORF fin 1935, ses responsabilités d'établissement de la fortification sont transférées aux Régions Militaires (RM). Dans les Alpes, elles prennent donc en charge les travaux faits d'une poursuite du gros-œuvre dans les ouvrages d'altitude et d'équipement dans les ouvrages de vallée. On fait à minima, car en 1936 seulement 1 million de francs de crédits nouveaux pour travaux sont alloués à chacune des deux Régions Militaires alpines, à ajouter à des reliquats de crédits antérieurs et des prélèvements faits sur d'autres Directions du Génie internes aux régions. Conformément à la politique de détente et de ménagement des susceptibilités italiennes, l'effort de fortification se ralentit donc notablement cette année là, hors travaux d'achèvement de quelques rares ouvrages considérés prioritaires ou de mise en situation d'habitabilité. Le volume des chantiers est accessoirement impacté par le résultat indirect des lois sociales de 1936 : l'augmentation considérable du coût du travail observée alors entraine mécaniquement une diminution en proportion de ce qu'il est possible de faire avec un montant donné. Des travaux pourtant prévus et budgétés doivent donc être reportés.

    Du côté technique, on ne chôme cependant pas. La période est mise à profit pour réaliser les dossiers d'ouvrages, documents nécessaires aux futurs utilisateurs des premiers ouvrages mis à disposition (St GOBAIN, CAP MARTIN, Mt AGEL, ROQUEBRUNE…) ou en passe de l'être. La réalisation des projets de blocs non encore construits se poursuivent par ailleurs. La question du cantonnement des futures troupes de forteresse prend aussi un tour concret avec le lancement dès 1935 des études d'organisation et de construction de casernement additionnels.

    L'effort sur le terrain est prioritairement orienté vers l'achèvement des ouvrages CORF dont un nombre important était encore en chantier, notamment dans les secteurs en altitude (zone fortifiée du Lavoir-Fréjus, Buffère-Granon, Restefond, ...). N'est cependant réalisé que ce qui est strictement nécessaire selon les priorités suivantes, dans l'ordre :
    - la mise en sécurité des chantiers,
    - la continuation de ce qui est contractuellement engagé avec des entreprises civiles pour éviter des demandes de pénalités (travaux de gros-œuvre à Restefond par exemple, pour lesquels le seul ouvrage de RESTEFOND capte 65% de tous les moyens accordés à la direction de Grenoble sur 1936).
    - la mise en condition d'habitabilité dans les ouvrages qui le permettent (réseaux d'eau, ventilation…)
    Ce qui n'est pas obligatoire est ajourné : ainsi les deux ouvrages de BUFFERE et GRANON sont provisoirement convertis en simples abris passifs par l'obturation des galeries déjà percées vers les futurs blocs de combat, le bloc 1 (frontal) de l'ouvrage du PAS du ROC est reporté aux calendes ainsi que le Bloc 1 (entrée) de GRANGES-COMMUNES et trois blocs à RESTEFOND (B2, B5 et entrée).

    La remilitarisation de la Rhénanie début Mars 1936 agit comme un réveil brutal. Fin Mars, 43 millions de F sont alloués en urgence aux régions militaires du Nord-Est pour des travaux d'habitabilité d'ouvrages, de construction de casernements et surtout de travaux de construction de blockhaus par la MOM. Rien n'est prévu pour le Sud-Est, mais l'EMA accorde néanmoins aux 14° et 15° Régions l'autorisation de transformer des crédits d'engagement pour 1937 en crédits de paiement pour 1936. En pratique, cela permet d'accélérer et d'avancer des travaux prévus "plus tard". C'est la zone de Restefond et le MONTE GROSSO dans les Alpes-Maritimes (dernier gros ouvrage là dont le gros œuvre est en construction) qui en profitent en priorité, mais cela permet accessoirement de relancer les travaux de l'avant-poste (sur la LPR !) de la VANOISE dont la construction, pourtant débutée en 1932, avait été ajournée sine-die lors les restrictions de 1933.

    Au-delà de ces travaux hérités de la période 1930-1935, les RM firent remonter début 1937 de nouveaux besoins ou demandes comme la fortification de la haute-Tarentaise (en 2° cycle du programme 1930-34) ou face à Genève en 14° RM ou celle du massif de l'Authion (15° RM) pour faire la liaison entre Vésubie-Tournairet et la ligne continue MONTE-GROSSO - CAP MARTIN. Sur fond de tension politique croissante avec l'Italie et devant cet afflux de demandes et le risque lié à une prise de décision au cas par cas sans vision d'ensemble, l'Etat-Major de l'Armée exprima début 1937 le souhait d'avoir un nouveau programme cadre définissant les efforts à consentir et leur priorisation.

    En parallèle, une enveloppe de travaux plus élevée qu'en 1936 est accordée : il s'agit quand même de 12 millions, soit six fois plus qu'en début d'année, dont 7 MF à la 14° RM et 5 à la 15° RM. Sur les Alpes du Nord cela permet de lancer les travaux d'adduction et de distribution d'eau dans les ouvrages - sujet resté étonnamment en suspens quand en connait l'importance de cela pour l'habitabilité des ouvrages ! - , l'achèvement des ouvrages d'ARRONDAZ, des AITTES, etc..., le début de l'équipement du PAS du ROC, le lancement des études du Bloc 6 de ROCHE la CROIX et de la construction du barrage rapide de VERSOYEN...

    La situation fin 1937 est malgré cela loin d'être parfaite. Un rapport d'inspection de la Direction du Contrôle du Ministère de la Guerre daté d'Octobre fait des commentaires et relève plusieurs anomalies préoccupantes, à corriger dès que possible :

  • Sur le massif du Restefond on a dépensé depuis 1931 plus de 20 millions de F pour n'avoir à ce stade que quatre ouvrages inutilisables en l'état...

  • La plupart des ouvrages "utilisables" dans les Alpes ne disposent pas de leur matériel de défense d'infanterie (JM, FM,...) et le commandement local semble ne pas connaitre la localisation de stockage de ces armements, pourtant livrés.

  • la ventilation d'un grand nombre d'ouvrages est non finalisée, rendant l'utilisation active problématique d'autant qu'il n'y a que très peu de bidons filtrants CO individuels. Les utilisateurs futurs ont fait le commentaire aux inspecteurs qu'il serait sans doute préférable dans ces conditions de disposer les armes à l'extérieur en cas d'attaque !.

  • Ce rapport relativement sévère recommande en priorité que les commandants de régions militaires s'assurent que leurs subordonnés des différentes armes se causent pour que ces manquements soient traités efficacement et au bon niveau. Plus techniquement, il prescrit l'accélération de l'installation de la ventilation où c'est incomplet, et dès que possible le stockage des armes et munitions DANS les ouvrages. A défaut de ventilation opérationnelle, la direction du Contrôle insiste pour que des bidons de captage du CO soient détournés du Nord-Est - où ils ne sont là qu'à titre de secours - pour permettre de se battre dans les ouvrages et de "sauver la face en cas d'attaque brusquée" (sic).

    Relance avec le Programme d'Avenir du Gal MITTELHAUSSER - 1938 (6)


    En réponse à la création de l'axe Germano-Italien en Novembre 1936, et à l'implication directe de l'Italie dans la guerre d'Espagne en 1937, le ministère de la Guerre charge le 5 Février 1937 (DM 382 3/EMA-P) Gal MITTELHAUSSER - commandant désigné de l'Armée des Alpes et membre du CSG - de proposer un nouveau programme de renforcement de la frontière. Les études et réflexions s'étalent sur 1937 et aboutissent au " Programme d'Avenir pour la défense de la frontière du Sud-Est " approuvé en Juillet 1938.

    Le général MITTELHAUSSER s'apprêtait à être versé au Cadre de Réserve (Retraite) courant 1938. Sa longue période de 7 ans de commandement de l'Armée des Alpes, et donc de pilotage stratégique des états-majors des 14° et 15° RM, qui fait suite au commandement de la 29° DI (Division organique des Alpes-Maritimes), le rendaient particulièrement qualifié pour mener à bien cette étude. En outre, elle allait constituer une forme de passation de relai à son successeur tout en lui permettant de rassembler ses idées en un document unique.

    MITTELHAUSSER se met donc au travail sur ces bases avec les commandements et le Génie des 14° et 15° RM dans la pure lignée des travaux de ses prédécesseurs NIVELLE et DEGOUTTE. Il va - très logiquement - éviter de réinventer la poudre : ces nombreuses études qui ont été faites dans le passé tant par la CDF , la CORF que par les Alpins sont des références importantes. L'objectif est de reprendre ces études, de les adapter à la nouvelle donne économique et tactique, d'y introduire ses idées propres et enfin de mettre en avant et apporter des réponses à de nouveaux enjeux qui n'avaient pas été considérés dans le passé.

    La première nouveauté marquante de son programme est la fortification de la Haute-Savoie. Dans la même logique que celle qui poussa à fortifier le Glaserberg en Haute-Alsace pour parer un contournement des défenses d'Alsace par la Suisse, le Gal MITTELHAUSSER considéra dès 1937 que la menace de contournement des défenses alpines par le Valais, le col des Montets, les rives du Léman et la trouée de Genève ne peut plus être ignorée, d'autant que l'établissement de fortifications en Haute-Savoie n'est maintenant plus interdit. Cette menace fut prise en compte dans le plan E de défense de l'Armée des Alpes en fin 1937 et un volet "fortification" de cette nouvelle approche fut introduit dans le "Programme d'Avenir".

    Autre changement pris en compte dans le "Programme d'Avenir" : la protection de la rocade de l'Iseran. La route du col de l'Iseran, ouverte en 1937, permet maintenant la liaison entre Tarentaise et Maurienne au plus près de la frontière. Elle est bien couverte à son extrémité Nord par les défenses de Bourg St Maurice, moyennant l'ajout d'une casemate STG pour canons de 75mm au Truc, mais découverte dans sa partie Sud en Maurienne. Le Gal MITTELHAUSSER demande en conséquence que les défenses du col du Mt Cenis soient fortement renforcées pour écarter la menace sur cette rocade en partie Sud. Le "Centre de Résistance du Mt Cenis", cher au Gal DEGOUTTE en 1927, renait ainsi de ses cendres 10 ans plus tard...

    Des moyens exceptionnels sont réalloués fin 1937 aux deux régions concernées (14° RM - Lyon, et 15° RM - Marseille) pour débuter l'équipement défensif de la frontière associé à ce nouveau programme sans attendre sa publication. Ces fonds permettent de lancer les travaux à la CAVE à CANON, la relance de l'équipement du PAS du ROC, la construction du B6 de ROCHE la CROIX, la poursuite des travaux à la BUFFERE et au GRANON et surtout l'accélération des travaux du Restefond qui sont inclus dans le "Programme d'Avenir"… En 15° Région parallèlement, la finalisation de la défense de l'Authion (qui était restée en suspens pendant toutes ces années par absence de consensus sur le tracé et les organisations à y prévoir) fait finalement l'objet de la part essentielle des crédits additionnels et du lancement de travaux en Avril 1938 à l'initiative de MITTELHAUSSER, appuyé par le Gal OLRY. Les ouvrages de PLAN-CAVAL et de la BAISSE de SAINT VERAN vont pouvoir sortir de terre, le premier par main d'œuvre civile, le second par la MOM. Un grand blockhaus STG, prévu aux 3 Communes pour faire liaison de feu entre PLAN CAVAL et SAINT VERAN, ne sera cependant pas construit.

    La question du financement global de ce "Programme d'Avenir" reste cependant sans solution immédiate au-delà de ces succédanés. Pire, tout le monde s'accorde à considérer que la réalisation complète du programme MITTELHAUSSER ne pourra s'engager qu'après achèvement de ce qui est en cours et hérité du passé… Sauf financement spécial hors budget comme pour les lois Maginot de 1930 et Pétain de 1934, l'EMA ne voit pas cela arriver avant… fin 1943.

    Concernant le programme en cours, le Ministère débloque des crédits supplémentaires pour les 14° et 15° Régions en Avril et Mai 1938 permettant d'atteindre respectivement 12 et 7,5 millions en paiement sur 1938 pour les 14° et 15° RM et 6 et 4,6 millions en engagement sur 1939 pour chacune des deux RM.

    Le reste des crédits disponibles en 15° Région sont affectés à un programme global d'équipement des PC de commandement (Infanterie et Artillerie) et de finalisation des télécommunications internes des ouvrages, à un marché d'installation de cloches dans les ouvrages en gros-œuvre, à l'assèchement des tourelles du MONT AGEL qui souffrent d'infiltrations, l'installation des usines de PIC de GARUCHE et CHAMP de TIR d'AGAISEN, l'alimentation électrique par l'arrière du MONTE GROSSO et de l'AGAISEN, et les délardements de champs de tir d'armement des ouvrages de CASTILLON, CHAMP de TIR d'AGAISEN et AGAISEN...

    Où l'idée offensive refait son chemin...


    En réponse à l'inflexion nettement agressive de la politique italienne fin 1937, l'Etat-Major intègre dans la version Alpes du nouveau plan "E" de mobilisation de l'Armée (Décembre 1937) une hypothèse par laquelle il existerait un conflit limité à l'Italie sans intervention allemande (hypothèse "I") et une hypothèse de conflit conjoint avec l'Allemagne et l'Italie (hypothèse "AI"). Dans l'hypothèse "I", qui n'est cependant pas celle considérée comme la plus probable, la teneur du plan de mobilisation ouvre à un scenario plus offensif. Pour donner de la substance à ce scénario, un nouveau plan offensif contre l'Italie est bâti en 1938 par les généraux MITTELHAUSSER puis BILLOTTE, s'appuyant comme base de départ sur les fortifications des Alpes (7).

    Ce plan envisage une offensive d'ensemble menée par les 6° et 7° Armées (26 divisions dont 13 de première ligne) soutenues par une composante navale. Cette hypothèse stratégique fait l'objet à l'été 1938 d'un exercice des cadres d'Etat-Major (dénommé "Italie 1938"), dont les conclusions sont approuvées par le Gal GAMELIN fin Août 1938. Ce dernier demande en suivant au Gal BILLOTTE - membre du CSG et commandant désigné du futur Théâtre d'Opération Sud-Est - de mener un certain nombre de travaux de réflexion tactique jusqu'en Janvier 1939, notamment au niveau des besoins logistiques et de fortifications additionnelles à vocation offensive. BILLOTTE s'adjoint l'aide des Généraux BESSON (Armée des Alpes) et DOSSE (membre du CSG et commandant désigné de la future 7° Armée, impliquée dans cette opération potentielle). Ce deuxième plan offensif - après celui de DEGOUTTE en 1931 - ne sera pas mis en œuvre car il est chiffré à 1,5 milliards de francs et nécessite plusieurs années de mise en œuvre avec échéance probable en 1941. dès Décembre le Conseil Supérieur de la Guerre constate que la France n'a pas les moyens de ce projet dans un contexte où une réaction de l'Allemagne serait à craindre en cas d'agression de l'Italie, et réaffirme que la priorité reste le Nord-Est. En réalité, il est déjà trop tard et ce projet offensif est remisé aux archives en Mars 1939.

    Suite à l'incident diplomatique de la chambre des Faisceaux (30 Novembre 1938), une version "réduite" est tout de même étudiée de très près en Janvier 1939 pour répondre à une provocation armée italienne, comme par exemple un coup de main sur Djibouti ou la Tunisie. Cette version prévoit une offensive sur Vintimille avec prise en anticipation du Mont Grazian, du Grammondo et de la vallée de Roya.

    Ces réflexions d'ensemble ont un impact organisationnel qui sera visible à la mobilisation. Le Gal BESSON, s'appuyant sur les conclusions de l'étude BILLOTTE, fait le constat de l'inadéquation de l'organisation défensive en secteurs fortifiés existants, étendus sur des zones géographiques indépendantes, et l'imbrication avec les futures divisions de renforcement. En vue de rationaliser la défense, il préconise en Mars 1939 la séparation (ou dédoublement) des secteurs à la mobilisation, en attribuant aux troupes de SF les sous-secteurs les plus fortifiés et en attribuant aux divisions alpines de mobilisation les sous-secteurs ou zones les moins fortifiées. C'est ainsi, pour ne prendre qu'un seul exemple, que le SF des Alpes-Maritimes (SFAM) d'origine sera séparé en deux secteurs mitoyens, le SF Tinée-Vésubie qui deviendra celui de la 65° DI et le SF Aution-Mer qui dépendra des troupes de forteresse de l'ancien SFAM. C'est ce modèle d'organisation qui existera après la mobilisation de Septembre 1939.

    La suite… le Programme des 200 millions du Gal BESSON et le programme BILLOTTE - 1939


    Le général BESSON, successeur de MITTELHAUSSER à l'armée des Alpes, reprend à son compte rigoureusement et textuellement le "Programme d'Avenir" de son prédécesseur et fait chiffrer l'ensemble des trois urgences tout en demandant instamment l'autorisation d'engager la construction de l'ouvrage de la VACHETTE. Le montant estimé du programme, légèrement amendé, est évalué à 200 millions de francs. Ce "Programme des 200 millions" du général BESSON ne diffère que par quelques points de celui de MITTELHAUSSER, lequel conserve de fait la paternité intellectuelle de l'ensemble.

    En réalité ces 200 MF servent aussi avant tout à financer l'achèvement de ce qui a été commencé bien avant. La moitié de la somme est ainsi affectée aux travaux CORF en cours depuis des années, ou lancés par son prédécesseur. Mieux, près de 25 millions additionnels sont réservés pour construire des blocs d'ouvrages existants qui avaient été reportés en 2° cycle, comme le bloc 2 du MONTE GROSSO, les blocs sud du CASTILLON ou le bloc d'artillerie nord de l'AGAISEN.

    Les réalités budgétaires vont bien sur rattraper les grandes idées. Le temps ne sera pas suffisant pour lancer ces travaux importants. Il est aussi notable de constater que la totalité des renforcements nouveaux prévus par ce programme (Chapieux-Bonhomme, Mont Cenis-Hortières, Queyras) sont en réalité des positions qui étaient incluses dans le programme du Gal DEGOUTTE 12 ans auparavant.

    Début 1939, le ministère débloque des crédits (10 millions par région militaire, par transformation en crédits de paiement sur 1939 de crédits d'engagement accordés préalablement sur 1940). Ceci autorise le lancement du renforcement du col du Mont-Cenis, de la construction de l'ouvrage de VILLAROGER et d'autres éléments de la première urgence du "Programme d'Avenir" comme le bloc STG d'AP du GOLF de SOSPEL ou l'ouvrage de la VACHETTE et certains aménagements logistiques. Les 200 millions sont cependant à répartir sur les exercices ultérieurs (1940 à 1943) à raison de 60 millions par an les deux premières années et 40 millions par an ensuite. Mais si tout ne peut pas se faire en un jour, ce travail de réflexion guidera très largement les constructions futures, y compris durant la drôle de guerre en mettant à profit l'afflux de main d'œuvre militaire. A contrario, des éléments importants du "Programme d'Avenir" (Casemate de 75mm du fort du Truc, ouvrage de la Cote 2232 en extrémité des Gondrans,...) ne dépassèrent pas le stade du projet.

    Le Gal BILLOTTE - commandant désigné du Théâtre d'Opération Sud-Est, donc patron de BESSON - en remet une couche supplémentaire à ce "programme des 200 millions" en Juin 1939 (note 89/CSG). Dérivé de l'exercice offensif "Italie 1938" décrit plus haut, il conçoit une double programme de constructions à vocation offensive autant que défensive, représentant un supplément de 143 millions de F de dépenses. Celui-ci intègre en sus du programme BESSON la construction des blocs dérivés du type STG ou STG-FCR aux secteurs sous-fortifiés (Haute-Tinée et Mounier, Queyras, Tarentaise et Mont-Cenis), voire en avant de ceux-ci (Col du Petit Saint Bernard, cols du Queyras). Mais son originalité essentielle tient dans la mise en place dans les Alpes de l'équivalent des "Parcs mobiles de fortification" du Nord-Est, à savoir des dépôts stockant le matériel nécessaire à la construction de fortifications du moment, éventuellement sur le versant italien de la chaîne de montagne.

    Côté offensif, mais pouvant avoir un rôle dans l'option défensive, il prévoit un programme de constructions de routes et pistes de montagne considérable (1,5 milliards de francs sur les 1,7 de dépenses totales). Compte tenu des contraintes budgétaires et de réarmement du pays, le "complément BILLOTTE" ne recevra pas de concrétisation sous la forme imaginée par le général, mais sous une forme allégée durant le programme de guerre.

    Le programme de guerre (1939-1940) (7)


    Là où les défenses du SD du Rhône entamée en Septembre 1939 doivent en grande partie leur existence et leur configuration au "Programme d'Avenir" de MITTELHAUSSER, la totalité des lignes de 2° position de la défense des Alpes sera conçue après coup, largement durant la période mi-1939 à Juin 1940. L'afflux de main d'œuvre sur le front après mobilisation va permettre la construction de ces renforcements entre les organisations préexistantes et l'amorce de cette 2° position.

    Selon la Région Militaire, ces renforcements prennent des formes différentes mais toujours conformes aux directives centrales de Septembre 1939 préconisant à chaque fois que possible l'application des standards de construction STG.

  • Dans le Sud (15° RM), cela se traduit par le développement de " Casemates type SFAM ", qui sont des blocs conformes au standard de Fortification de Campagne Renforcée de la STG (STG-FCR) adapté aux conditions locales qui permettent l'utilisation exclusive de blocs à flanquement simple. Ces constructions d'un standard très sérieux sont disposées dans les intervalles de la LPR et forment l'amorce d'une 2e ligne établie plus ou moins sur le tracé de la position de barrage du projet de 1927.

  • Dans le Nord (14° RM), outre l'équipement du SD du Rhône, qui est la priorité, l'effort porte sur l'aménagement des secteurs poreux qui n'avaient pas ou mal été traités par la CORF. Si on trouve bien quelques blocs construits au standard STG, la logique là va plutôt être de multiplier les constructions légères type "pilules de Briançon", blockhaus cylindrique de faible protection mais permettant d'abriter en montagne un maximum d'armes sur un front quasi-continue (par exemple Buffère-Granon-Vachette-Gondrans-Cervières, ou dans le Queyras). La position défensive du Rhône, face à la Suisse, se constitue progressivement à base de blocs de fortification de campagne standards de la STG (Type 1bis et 2) et de pilules "Briançon". Plus de 150 blockhaus sont ainsi construits ou entamés entre le lac Léman et le massif du Mt Blanc, et face à la trouée du pays de Gex. Ces positions seront en général inachevées.

    Massif des Alpes - Rhône

    Les positions du SD du Rhône


    Une 2e ligne est là aussi constituée dans le SF du Rhône et de Savoie devant Annecy, dans les vallées de l'Arly, du Doron, de moyenne Tarentaise et Moyenne Maurienne,... Aucune ligne de barrage similaire n'a par contre été entamée dans le SF du Dauphiné.

  • Mais les moyens les plus importants sont affectés à la finition de ce qui peut encore l'être des ouvrages CORF toujours en chantier : CHATELARD, PAS du ROC, BUFFERE et GRANON, les ouvrages de Restefond, PLAN CAVAL, … Ainsi, le B1 du PAS du ROC fut coulé en Octobre 1939 et les travaux d'équipement des ouvrages d'altitude par leurs occupants durèrent jusqu'en Juin 1940...



    Conclusion


    L'épreuve du feu, du 19 au 25 Juin 1940, montra à l'évidence la valeur des hommes et des fortifications construites le long de la frontière des Alpes. La bataille des Alpes sera finalement la seule victoire défensive d'ampleur de la campagne de France, victoire dans laquelle la fortification a joué son rôle.

    On peut se demander avec le recul du temps quels ont été les facteurs essentiels de ce fait si particulier dans un contexte général de débâcle. Un article de Richard Carrier dans la Revue Historique des Armées (n° 250 - voir lien associé à la page) tente une explication à cela : sa thèse est que l'armée des Alpes a su profiter d'une large autonomie décisionnelle du fait de sa situation de front secondaire. Ainsi, des troupes objectivement ni meilleures ni pires que dans le Nord-Est ont bénéficié d'un commandement largement autonome, d'orientations rapides et informées, de circuits décisionnels courts et sans interférence du GQG, et d'une situation tactique favorable liée au terrain et aux conditions très difficiles rencontrées par les Italiens lors de l'attaque (e). Elles ont par ailleurs bénéficié de l'effet moral primordial de constater à chaque étape que leurs actions, dans une logique de nuisance maximale, étaient décisives et efficaces contre une armée assaillante peu préparée à une attaque de grand style (f).

    Dans ce contexte, les fortifications ont rempli leur rôle dans chacune des situations d'attaque frontale. Plus encore, les avant-postes du Gal DEGOUTTE, tant décriés par la CORF et l'EMA, ont à eux seuls suffi à ralentir considérablement, voir bloquer la progression de l'adversaire. Validation éclatante à posteriori de la valeur des idées des Alpins en matière de fortification de leur terrain et de la complémentarité de cette fortification avec celle construite plus en arrière sur les principes de la CORF.




    Notes :
    (a) L'équivalent d'une division stationne en Haute-Silésie jusque mi-1921 pour contrôler cette région en attendant son plébiscite d'auto-détermination entre l'Allemagne et la Pologne;
    (b) plusieurs notes d'historique des événements en question seront adressées courant 1928-29 aux instances du ministère, annotées dans la marge par le Gal DEGOUTTE. Le ton de ces documents et annotations ne laisse aucun doute sur l'état d'esprit de l'auteur.
    (c) La PENA (aussi nommé CHAPELLE St BERNARD), PIERRE POINTUE et BAISSE de SCUVION initialement autorisés par le Gal WEYGAND, et CROIX de COUGOULE, CASTES-RUINES, COLETTA et COLLET du PILON imposés « en bonus » par le Gal DEGOUTTE.
    (d) DEGOUTTE ira même jusqu’à demander par lettre directe et personnelle du 17 Juillet 1930 au Gal LEFORT (Direction du Génie) l’envoi de perforatrices additionnelles et de matériel divers à la 29° DI en charge des travaux.
    (e) les chiffres de pertes diffèrent selon les sources. On peut néanmoins estimer que les pertes italiennes (tués, blessés et disparus ou prisonniers) ont été 30 fois supérieures aux pertes françaises : 6000 contre 200. Il convient cependant de noter qu'un bon tiers des pertes italiennes l'ont été sur… gelures. Cela donne une idée de l'impact des conditions climatiques que les transalpins ont eu à affronter durant les 4 jours de combat actif.
    (f) les I° et IV° Armées italiennes étaient en posture exclusivement défensive jusqu'en Juin 1940.



    Rédaction intiale : Jean-Michel Jolas - © wikimaginot.eu - Janvier 2020

    Sources :
    (1) - L'Italie fasciste - P. Foro - Ed. Armand Colin,
    Le fascisme italien dans les Alpes-Maritimes (1922-1939) - R. Schor - Les cahiers de la Méditerranée,
    Histoire diplomatique des 1919 à nos jours - J-B. Duroselle - Dalloz-Sciences Po 1993
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