Le contexte politico-géographique du Secteur Défensif du Rhône est tout à fait particulier.
La fortification de la frontière franco-suisse et franco-italienne dans l'extrême nord des Alpes est dés les travaux de la CDF considérée comme non prioritaire : les traités de Vienne, puis de Paris en 1815 définissent une zone démilitarisée - en principe sous contrôle Suisse, soit un quasi-protectorat de fait ! - couvrant en gros la Haute-Savoie actuelle. Par ailleurs, le massif du Mont-Blanc est naturellement considéré comme une barrière infranchissable à une éventuelle agression italienne. Le zone démilitarisée avait bien été annulée par le traité de Versailles de 1919 sous réserve d'un accord avec la Suisse, mais cet accord bipartite ne verra sa conclusion positive qu'en 1928 après accord sur la zone franche douanière qui allait avec.
Cette situation de neutralité de fait va cependant progressivement évoluer au gré des événements, dont le plus important est l'avènement d'un projet de tunnel sous le Mont-Blanc en 1931. La première référence à cette idée, fugitivement envisagée au 19° siècle, apparaît lors d'un congrès sur les autostrades durant lequel un conseiller supérieur du canton de Genève (Mr Antoine BRON) met en avant le bénéfice que l'ensemble des pays riverains pourraient tirer d'un tel ouvrage. A force de lobbying politico-économique, l'idée fait localement son chemin entrainant la création en 1933 d'un syndicat mixte franco-italien pour la promotion et l'étude dudit projet ainsi que celui de deux autoroutes (Genevois-Dijon et Genève-Chambéry-Lyon), aimablement supporté par les suisses. Les pouvoirs publics et militaires locaux finissent par alerter la défense nationale ainsi que les ministères concernés (Affaires Etrangères, Travaux Publics...) compte tenu des conséquences éventuelles. L'Etat-Major de l'Armée manifeste ainsi officiellement dès 1933 la "désapprobation" que soulève un projet permettant - dans le pire des cas - le contournement de l'ensemble des fortifications de défense des Alpes et une avance rapide vers Lyon. En avril 1934 les grandes lignes du projet sont présentées publiquement à Bonneville et des rencontres sont organisées à Paris avec les parties prenantes. Le Ministère de la Guerre, qui avait réitéré son opposition via le général GRIVEAUD - adjoint du général BELHAGUE - en Avril 1934, mis sous pression des pouvoirs politiques et des ministères de l'Economie, des Affaires Etrangères et des Travaux Publics, se voit finalement contraint d'accorder son aval de principe mi-1934. Il émet cependant les réserves suivantes :
- le tunnel devra être équipé de DMP
- la sortie française devra être défendue par des ouvrages de fortification permanente
- des casernements devront être construit en aval du tunnel, pour accueillir les troupes rendues nécessaires par la nouvelle donne.
... le tout évidemment aux frais du projet et du constructeur du tunnel...
Mi-1935, alors que la détente politique avec l'Italie se confirme et facilite le projet, le comité inter-ministériel en charge du dossier mandate la CORF pour faire une étude succincte du coût que représenterait une défense adéquate du tunnel. La CORF rend son verdict (note 1282/ORF du 19 Décembre 1935 du Gal BELHAGUE) juste avant sa dissolution effective. Le général préconise rien de moins qu'une zone fortifiée puissante en bonne et due forme, embryon d'un secteur fortifié :
- dans le tunnel : 1 blockhaus double avec pont à effacement latéral similaire à ce qui est envisagé à L'ECLUSE
- Deux DMP, un en avant du blockhaus et un à la sortie.
- un barrage rapide actif (type MONTGENEVRE) sur la route en sortie du tunnel, au droit des Bossons, précédé d'un ou deux DMP sur la route.
- deux ouvrages d'artillerie, de part et d'autre de l'Arve au niveau des Bossons, couvrant l'ensemble.
- un observatoire de commandement isolé, au dessus et en arrière des ouvrages.
- une casemate d'artillerie frontale dans le défilé des Houches.
- et enfin des casernements et postes de garde pour l'équivalent d'un bataillon d'infanterie et des éléments d'artillerie.
L'ensemble du projet revient à 50 millions de francs, imprévus compris, pour un budget du tunnel de 200 millions de francs.
A ceci s'est ajouté dans l'intervalle un projet de deux autoroutes, l'une de Genève à Dijon passant sous les monts du Jura, et l'autre de Genève à Lyon passant par Annecy-Chambéry puis sous le mont de l'Epine (en gros le tracé de l'A43 moderne !). Pour ce qui est de la protection de ces deux rocades d'invasion possibles, la CORF recommande en Juillet 1935 (note 868/ORF) l'équipement de chacun des grands tunnels (Mont du Jura, St Claude et l'Epine) avec un système DMP/blockhaus de défense identique à celui du tunnel de l'Ecluse, l'installation de DMP sur quatre viaducs importants et la construction d'une batterie casematée lourde (75mm et 155mm C) au Malatrait - Mont du Jura au dessus de Crozet - permettant le bombardement des tronçons initiaux en France de ces deux autoroutes. Le tout revient à 7 millions de francs venant se rajouter au reste.
Ces projets n'iront pas plus loin compte-tenu de la dégradation définitive des relations franco-italiennes courant 1936. La question du tunnel du Mt Blanc ne sera reprise qu'en 1949 sous un autre mode.
Un nouveau projet de fortification est proposé en janvier 1937 par la 14° RM, cette fois-ci face à la Suisse d'où le danger peut seul survenir en l'absence de tunnel sous le Mont-Blanc. Il inclut la création d'un ouvrage avec tourelle au Crêt Mourex au dessus de Divonne les Bains (Ain), et 4 ouvrages sur l'autre rive du Léman (Boisy, la Douceur, Epinancher, Les Gêts Est), et enfin un dernier ouvrage à Argentière. Ce projet est rejeté au profit d'une organisation plus légère de bouchons de vallées, à constituer par la MOM à la mobilisation.
Le Gal MITTELHAUSSER, commandant désigné de l'Armée des Alpes, devait avoir en tête ce coup de semonce du tunnel du mont Blanc ainsi que l'étude faite en son temps par le général SERE de RIVIERES montrant la vulnérabilité que crée la passe du Rhône à une agression italo-germanique du fait de la neutralité Suisse quand il proposa dans son projet de 1938 de créer un secteur défensif du RHONE. De création tardive de Juin 1938, officialisée par une instruction, ce secteur s'étend du Col de la Faucille dans le Jura au Nord au le Massif du Mont-Blanc (inclus) au Sud-Est.
Les mission du secteur, telles que définies par le plan E de 1938, sont les suivantes :
- Dans tous les cas, et comme version de base, couverture du flanc gauche de l'Armée des Alpes et du SF de Savoie.
Ensuite, la mission dépend de la façon dont la neutralité Suisse est respectée.
- Si il n'y a aucun risque d'atteinte à la neutralité Suisse, le secteur est limité à une simple mission de surveillance de la frontière. Seules les troupes organiques du SD (230° DBAF et II/440° RP sont en place et disposées le long de la frontière, principalement entre le lac Léman et le massif du Mt Blanc et sur le corridor de Divonne.
- Si il y a risque ou violation effective de la neutralité Suisse, le secteur est renforcé par une brigade alpine et un ou deux Bataillon de Chasseurs Alpins complémentaires, soit l'équivalent d'une division. Sa mission est d'interdire l'entrée en territoire national, soit par le corridor de Gex-Divonne (hypothèse de violation allemande), soit par le Valais (hypothèse de violation italienne). Cette mission peut être remplie moyennant bombardement des points de passage en Suisse (Valais et Genevois) à partir de la LPR ou de la position frontière. En cas d'accord politique avec la Suisse selon les circonstances, une option offensive est envisagée, avec occupation du Valais entre le Léman et Martigny, et prise de position en avant vers Nyons dans la partie Suisse du corridor de Divonne
- Une position frontière, entre Meillerie et l'Argentière, permettant de ralentir la progression à partir du Valais et de servir de base départ pour une action en Suisse valaisanne.
- Une position principale de résistance, entre Thonon et le col de Montets et en avant de Divonne.
- Une position d'arrêt utilisant le mont Salève et le cours français de l'Arve et du Giffre
- Une deuxième ligne de défense s'appuyant sur le col de la Faucille, l'Ecluse, le Vuache, les cours des Usses, les Tavernettes, le lac d'Annecy et la Vallée de Faverges-Marlens.
Le Secteur Défensif est mobilisé à partir du 24 Aout 1939, et son quartier général s'établit à l'hôtel Beau-Rivage entre Annecy et Sévrier. Son commandant à la mobilisation est le Gal MICHAL, et le secteur dépend sur l'essentiel de son existence du 14° CA (Armée des Alpes). Il rapportera néanmoins pendant une courte période (18/08-27/09/1939) au 16° CA (Gal FAGALDE), à un moment où la défense des Alpes était basée sur une organisation à trois corps d'armée (16° CA au nord, sur SD du Rhône et SF de Savoie, 14° CA au centre sur le SF du Dauphiné, et 15° CA au sud sur les Alpes Maritimes). L'inaction italienne et son absence d'entrée en guerre amène l'EMA à déplacer fin septembre 1939 le 16° CA dans le nord de la France, rattachant ainsi le SD du Rhône au 14° CA, qui étend son territoire.
Il est divisé en trois sous-secteurs : Faucille- Fort l'Ecluse , Chablais et Arve
Etant essentiellement positionné face à la Suisse, il ne sera fortifié réellement (mais légèrement...) qu'à partir de la mobilisation. L'objectif était de parer à une éventuelle violation de la neutralité Suisse par les allemands ou les italiens avec contournement des Alpes par le Valais Suisse.
En première ligne :
- Divonne les Bains (importante position d'une quarantaine de blocs dont 20 étaient construits ou en cours de construction)
- Meillerie-Lajoux (17 blocs dont une douzaine achevés)
- Chapelle d'Abondance (8 blocs)
- Vallorcine (un ouvrage et 4 blocs, tous inachevés)
Cette position de première ligne se raccorde au niveau de celle du SF de Savoie au niveau de Beaufortain.
En position de bretelle :
- Position de la basse Dranse (8 blocs dont 6 construits), des Gets (juste entamée) et de l'Arve supérieure à Oex (3 ouvrages caverne et une douzaine de blocs dont sept construits ou en construction)
En seconde ligne,
- protection d'Annecy (position de l'ECLUSE, les 19 blocs de la ligne Groisy-Charvonnex et le barrage de Dingy-la Balme avec 2 ouvrages caverne et 4 blocs).
Cette seconde ligne se raccorde à celle du SF de Savoie au niveau du barrage de l'Arly.
Le SDR est, comme pour l'ensemble des secteurs, défendu par des troupes de forteresse et des troupes de renforcement. Le commandement général de secteur est le suivant:
Commandant : Gal MARIN puis HARTUNG (1938) et enfin Gal MICHAL Ã la mobilisation
Chef d'Etat-Major : Lt-Col JULLIARD puis Cdt GRANGER (13/05/1940)
Infanterie : Col LANOYERIE
Artillerie : ?
Génie : Cpt DULAC
Intendance : Intendant PICHARLES
Santé : Médecin-Cdt GIROD
230° DBAF (demi-brigade Alpine de Forteresse) , Cdt : Col LANOYERIE, chef d'état-major : CB JOULIÉ, composée des
- 179° BAF (Bataillon Alpin de Forteresse), Cdt CLERC. PC à Gex
- 189° BAF, Cdt RISSLER, PC à Thonon
- 199° BCHM (Bataillon de Chasseurs de Haute-Montagne), Cdt DUBUS, PC à Argentière
- CRE (Compagnie Régimentaire d'Engins) de la 230° DBAF, , 3 sections de 3 canons de 25mm (une section affectée à chaque BAF), 3 groupes de 2 mortiers de 81mm (deux au 189° BAF et un au 179° BAF)
II/ 440° Régiment de Pionniers , Cdt JAQUINOT
214/1 Compagnie du Génie, Cne VINCENT
- 214/81 - Compagnie Télégraphiste
- 214/82 - Compagnie Radio
- 214/83 - Détachement colombophile
Ce détachement du génie sera ensuite transféré au SF de Savoie (Tarentaise). Elle est remplacée par la Cie 156/2 du Génie qui reste jusque début Février. La Cie 66/2 de la 66° DI la relève.
Pour mémoire, une flottille de 8 vedettes rapides est réquisitionnée au moment de la mobilisation et sont armées. Elles renforcent la défense du littoral du lac Léman.
Le renforcement du SDR à la mobilisation est assuré par la 2° Brigade de Spahis, renforcée par le GRCA n°20 et la 1° DINA (Division d'Infanterie Nord-Africaine) dont le 5° RTM et le GRDI 51 sont détachés au SD du Rhône et se positionnent sur la frontière suisse.
La 1° DINA est rapidement remplacée par la 64° DI (Division d'Infanterie de Réserve B - Alpine - Gal CARTIER - PC à Seyssel) qui arrive le 28 Septembre 1939 et s'installe début Octobre. Elle détache les unités suivantes au SD du Rhône :
- 86° BCA et la SES du 87° BCA de la 47° DBCA au Nord
- 45° DBCA (93° et 107° BCA) au Sud avec un groupe du 58° RAD et le GRDI 55.
Le SD du Rhône se concentre sur deux sous-secteurs (Chablais-Faucigny et Arve Supérieure). Le 3e sous-secteur (Faucille) est sous responsabilité de la 64° DI dont le reste des unités se positionnent dans la partie nord-ouest du SD d'origine (Gex-Faucille). L'artillerie est renforcée de son côté par des groupes du 114° RAL (du 14° Corps d'Armée).
Le 7 Octobre, la 2° BS est retirée du SD du Rhône. Fin octobre, les unités prennent leur dispositif d'hiver plus bas dans les vallées. Cette situation permet d'accélérer les travaux de 1° ligne (position de la Meillerie) et 2° ligne (Tavernettes) qui sortent de terre à cette occasion. Ces travaux se développent pendant tout l'hiver tant que la température le permet.
En conséquence de son départ vers le SF du Dauphiné, la 64° DI est relevée en 02/1940 par des éléments détachés de la 66° DI. En particulier, le 281° RI est détaché au SD du Rhône et ses bataillons replacent les BCA de la 64° DI. Le secteur de la Faucille est repris par la nouvelle division et le 179° BAF lui est rattaché. Cette situation perdure jusqu'au retrait de la 66° DI fin Avril 1940. Le 281° RI et le 114° RAD quittent le secteur, qui reprend la totale responsabilité sur son ban géographique d'origine, de la Faucille au Mt Blanc. A titre de compensation, le GRCA 20 du 14° CA vient renforcer le secteur en remplacement du 281° RI. Il s'en suit une réorganisation du front en conséquence de ces mouvements et de l'attitude de plus en plus menaçante de l'Italie, avec :
- Sous-Secteur Faucigny (gauche) : II/ 440° Pionniers dans un strict rôle de sureté.
- sous-secteur Chablais (centre) : 20° GRCA (Lt-Col COTTIN) dans un strict rôle de sureté.
- Sous-secteur Arve supérieure (droit) : 230° DBAC dans sa totalité, dans un rôle actif. Le 179° BAF quitte son quartier de l'Ecluse et s'installe à la Contamine.
En première ligne :
- Sous-Secteur Faucigny (gauche) : 179° BAF, face à la Suisse.
- sous-secteur Chablais (centre) : 20° GRCA, face à la Suisse et au Léman.
- Sous-secteur Arve supérieure (droit) : 199° BCHM, face à l'Italie.
En 2e ligne :
- Sous-secteur Ouest (à l'ouest d'Allonzier la Caille) : EM de la 230° DBAC et troupes diverses.
- Sous-Secteur Est (à l'Est d'Allonzier la Caille) : 1° BS, avec son 5° Régiment de Spahis Marocains à la Roche sur Foron, et son 6° Régiment de Spahis Algériens à Pringy
Ci-dessous, un résumé de l'organisation du SD du Rhône:
Le secteur défensif n'aura qu'un rôle mineur dans les combats contre l'Italie. Les troupes et l'artillerie positionnée à son extrémité sud intervenant ponctuellement en soutien des combats du Beaufortain (Séloges, etc).
En fait, l'action le plus notable des troupes organiques du secteur sera vers son arrière en action défensive face à l'avancée des troupes allemandes dans la vallée du Rhône et dans le Sud Jura.
Cette menace apparait comme la plus probable dés le 15 Juin 1940, amenant à repenser entièrement le dispositif du secteur. La progression ennemie est tracée par le 2° Bureau du secteur avec l'aide téléphonique des agents des PTT du Jura. C'est ce qui permet de faire jouer au bon moment le 17 Juin les destructions de Mijoux et du col de la Faucille, interdisant l'approche par cette direction et protégeant le détachement avancé du pays de Gex (Divonne). Les premiers coups de feu sont tirés dés le lendemain : la section d'éclaireurs motocyclistes de le 230° DBAF (Lt COSTE), envoyée à Mijoux pour reconnaitre la destruction et l'avancée allemande, échange des coups de feux avec une colonne motorisée ennemie.
A partir du 18 Juin au soir, les 179° BAF et 189° BAF sont déplacés vers l'Ouest et le Sud pour occuper (avec le II/ 440° Pionniers et le II/141° Régiment Régional) une ligne le long du Rhône allant du fort de l'Ecluse à Génissiat, Seyssel et Serrières, et le secteur passe aux ordres directs du 2° Groupe d'Armée dont le PC s'est établi à Bourgoin puis Valence. La liaison à gauche de cette nouvelle ligne de défense se fait à Champagnieux avec le Groupement CARTIER. Le GRCA 20 et la 1° BS sont retirés du secteur dans la nuit pour aller renforcer les défenses de la vallée du Rhône. Le 199° BCHM reste seul placé face à l'Est. La structure du secteur est ajustée à cette nouvelle donne, avec deux sous-secteurs : Rhône et Arve.
Le 19 Juin à 22h, les défenseurs font sauter les ponts de Rhône de Bellegarde et Seyssel (1), qui sont approchés par les troupes allemandes descendant du Nord. Entre le 21 et 24 Juin 1940, les bataillons résisteront vaillamment contre les allemands de la 13° Inf.Div. en les bloquant à Bellegarde et au fort de l'Ecluse, tout en ralentissant leur avance autour de Culoz et de la vallée du Fier.
Le 20 Juin, le PC de secteur est transféré à Sévrier (Hotel de la Puya). Le 21 au soir, les allemands arrivent à Culoz.
Jean-Michel Jolas 04/2016, complété en 06/2019 et 09/2020
SHD - archives du SD Rhône - cartons 33N134 à 149
voir bibliographie, Sites internet Mémoire-des-alpins.com