Le lance bombe de 135 mm modèle 1932 est un matériel à tir courbe évoqué dés 1927 par la CDF et dont le développement a été orchestré par la CORF pour la fortification Maginot. Il est le seul armement en utilisation sur la ligne Maginot qui fasse usage d'une munition d'un calibre spécifique qui n'est utilisée par aucune autre arme en usage dans l'armée française.
Pour comprendre la genèse du 135 mm Mle 1932, il convient de se référer à un principe fondamental de la CDF : à toute portée, et pour tout type d'arme (artillerie, infanterie), il doit y avoir jumelage d'armes à tir tendu et d'armes à tir courbe (1).
Le canon faisant paire avec l'obusier sur les portées maximales, la CDF introduit le lance-bombe comme arme à tir courbe jumelant le canon sur les courtes portées, avec une mission spécifique très particulière de bombardement de concentrations adverses dans les replis de terrains et les zones défilées. Cet objectif initial de disposer d'un matériel capable de battre les fonds défilés situés à une portée de 5-6 km des ouvrages, permettait de compléter la faible portée du mortier de 81mm (2 500 m avec les munitions de l'époque) et la faible efficacité des canons ou obusiers de 75 mm dont les tirs fusants d'une efficacité réduite ne permettaient pas de couvrir les dépressions de terrain un peu prononcées. Le second objectif de tir de destruction - spécialement dirigé contre des vagues de chars lourds constitutifs d'une attaque surprise et massive, crainte importante de l'Etat-Major dés cette époque - fut déterminant dans le choix du calibre très particulier de cette arme : en effet, ce besoin implique à la fois un calibre important, d'une efficacité égale à celle des 155 usités lors du premier conflit, tout en demandant une cadence de tir importante et compatible avec une action d'interdiction massive.
Cette fonction de bombardement vise aussi à forcer l'adversaire à s'enterrer et à employer des procédés de guerre de siège, ôtant toute mobilité et ruinant à néant le caractère brusqué de l'attaque.
Longtemps en balance avec un calibre 155 mm, bien connu dans l'artillerie de l'époque, c'est finalement ce second besoin de cadences plus élevées que celles possibles avec le calibre de 155 mm qui orientera le choix vers un calibre inhabituel et original, 135 mm. (2)
Le choix de 135 mm n'est pas complètement fortuit, car à l'époque de ces réflexions (printemps 1927), les Ateliers et Chantiers de la Loire (ACL) ont déjà produit dans le cadre du programme d'armement de 1925 un avant-projet d'obusier de campagne à ce calibre - validé par le Ministère - qui permettrait de gagner du temps de développement. Un avant-projet concurrent des Ateliers de Construction de Tarbes est rejeté à cette époque car jugé trop encombrant.
Cet avant-projet des ACL couvre une portée allant de 400 à 4000 m et enverrait un obus de 18 à 20 kg à une cadence de 8 cps/mn. (3)
Après approbation du principe en Mai-Juin 1927 par le Génie et l'Artillerie, le travail de développement et d'industrialisation est confié - de façon séparée ! - à l'Artillerie pour ce qui est de l'arme proprement dite, et au Génie pour l'affût, la tourelle et le plan type des blocs devant recevoir tout cela.
Sur cette base, une commande est passée par les services de l'Artillerie aux ACL en 1928 pour trois tubes prototypes, deux pour tourelle et un du modèle pour casemate. Le développement de la munition correspondante suit son cours en parallèle, sur la base d'un tracé proposé par le Gal CHALLEAT en personne. 100 obus de la sorte sont mis en commande. De son côté, la Délégation Permanente des Sections Techniques (DPST) , et plus particulièrement la Section Technique du Génie (STG), se voit confié la réalisation d'avant-projets de casemate et de tourelle permettant d'accueillir cette arme : ces avant-projets sont présentés le 13 Juin 1928 et approuvés fin Juillet par la Ministère. Cependant, dés son rapport du 7 Septembre de l'année (291/ORF), la CORF exprime ses doutes et réticences avec une arme qui constitue une forme de compromis imparfait et qui fait pale figure en termes de puissance face au Minenwerfer allemand de 170mm : "Pour les secondes tranches, un matériel plus puissant sera à étudier" (sic) conclut le général FILLONNEAU.
Début 1929 une nouvelle mission apparait dans la panoplie du lance-bombes de 135mm : l'entretien de destructions et abatis dans les régions boisées couvertes principalement par ce type de moyens de retardement (Vosges du Nord en l'espèce). Ce rôle est attribuée à un modèle de tourelle tournante "à tir vertical" qui ne sera néanmoins pas développée. La bonne nouvelle de l'époque est que la portée maximale du 135 mm doit pouvoir être portée à 6000 m contre 4000 initialement, cela grâce à un nouvel obus amélioré en cours de développement.
Le premier prototype "Loire" de tube de 135mm (version casemate) est présenté aux artilleurs de la CORF (Gaux CULMANN, CHALLEAT - qui vient de prendre sa retraite - et BALLI qui le remplace) à Bourges le 28 Septembre 1929 sur affut fixe de circonstance en bois (4). Une seconde démonstration réelle de tir à 45° est effectuée le 1er Octobre sur le polygone d'expériences avec cette fois ci la présence de 12 officiers de haut-rang, dont le Gal BELHAGUE : 12 obus de 19 kg, dont 3 à faible charge et 9 à forte charge sont tirés, donnant respectivement une portée de 1160 mètres et de 5340 mètres. Les choses sont suffisamment prometteuses pour que l'EMA décide de lancer la fabrication début 1930 de 25.000 obus de 19 kg, tout en sachant que l'autre obus, de 17 kg à fausse ogive, est alors en développement.
La DPST et le SMF (Génie) ne sont pas restés inactifs dans la période. Les plans de détail du génie civil des blocs pour tourelle et le projet de notice relative aux blocs bétonnés armés de tourelles doubles pour lance-bombes de 135 mm sont présentés en mai 1930. La notice est officiellement émise le 14 Aout 1930. Le développement de l'arme et de ses affuts et environnements par deux entités séparées ne va cependant pas être sans générer des pertes d'efficacité et petites frictions par manque de fluidité de communication.
Le nombre de pièces - et de tourelles - prévues initialement était relativement important. Pourtant, dés la définition de détail des extensions gauche et droite de la RF de Metz et leur discussion en Aout 1930, les restrictions de budget à appliquer entrainent le report d'un grand nombre de ces organes. Il est significatif de constater que pour ce qui concerne le tronçon Rochonvillers-Longuyon (Crusnes), pour lequel les moyens permettent une installation significative d'artillerie, ce sont quand même - et prioritairement - cinq des six tourelles lance-bombes de 135mm qui seront ajournées au motif que le relief n'est pas tel que ces organes soient absolument nécessaires. Seule la tourelle de BREHAIN échappe à la coupe.
Si la première tourelle (ANZELING - bloc 5) est livrée en Décembre 1932 et testée en Février 1933, la version en casemate est déployée plus tard, de Mars à Juin 1933 pour l'essentiel (5). Les tirs de réception des matériels de casemate suscitèrent rapidement une crainte d'usure accélérée qui poussa l'Artillerie à réfléchir à un tracé intérieur de la bouche à feu modifié, mais sans qu'il ne soit considéré utile de l'adopter en fin de compte. Le système de charges de l'obus, avec 6 charges constituées, est complexe à mettre en œuvre et ces charges génèrent des retours de flamme dangereux à l'ouverture de culasse. Dans le but d'éliminer ces problèmes et d'amoindrir les lueurs mises en évidence lors des essais de tourelles, un nouveau système de charges est mis à l'étude dés 1934.
Côté montage en tourelles, les premières utilisations en tirs d'exercice annuels montrent des faiblesses préoccupantes. Un nouvel essai réalisé sur la tourelle d'ANZELING en Avril 1934 montre de nombreux ratés de tir. Mais les ennuis le plus préoccupants sont constatés dés mi-1933 à tir à portée maximale sur les quatre premières tourelles installées, avec des détériorations sérieuses de la bouche (gonflement du tube et arrachement de métal à la bouche) et de grandes difficultés de démontage et d'entretien de la culasse du fait de l'encombrement de la chambre de tir. L'analyse faite des gonflements de tube excluent les causes liées à la qualité du métal (cela affecte indifféremment les tubes provenant de 4 fonderies différentes…), mais les arrachements sont initialement attribués à cette qualité. Les tubes concernés sont retirés pour autopsie et le gonflement est finalement attribué à la surpression générée par les épreuves avec munition permettant le tir à 5600 mètres (6).
Ces inquiétudes finissent par remonter jusqu'à l'Inspecteur Général de l'armée, le Gal WEYGAND, qui s'en inquiète auprès des autorités techniques du Ministère et de la CORF (7). La réponse du Gal GAMELIN - chef d'Etat-Major Général - est lapidaire et très en ligne avec les réticences exprimées par la CORF sous la plume du Gal FILLONNEAU en 1928 : devant tous ces soucis, il y aurait lieu de lancer l'étude d'un matériel de remplacement, de calibre conventionnel (105 ou plutôt même 155 mm) compatible avec les affuts et tourelles existantes, à mettre en place dés la nécessité de retirer le tube de 135mm pour cause d'usure.
Ces échanges de mi-1934 scellent le sort du 135mm, qui avait de toute façon déjà perdu une bonne partie de son importance tactique dés 1930 suite à l'ajournement en bloc d'un ensemble de tourelles pour lance-bombes dans le SF de la Crusnes (5 sur 6 !) et de toutes celles prévues à l'est de la Nied. Il demeure que l'Artillerie va faire de son mieux dans la période suivante pour améliorer ce matériel, en résoudre ses défauts et le rendre plus facilement utilisable. La première étape est la mise en service à partir de mi-1935 des nouveaux modèles de charges étudiés à partir de 1934, et de modifier le profil de l'obus Mle 1930. Ces changements sont validés par de nouvelles tables de tir produites en Avril 1936.
Mais un nouveau souci apparait en 1936 : les boulons des plaques d'embrasure des casemates de 135mm ne se montrent pas assez solides et - plus grave - ces embrasures deviennent non étanches à la longue, avec retour de gaz à l'intérieur (8). Ces soucis seront résolus avec succès en 1937. Des problèmes de nature similaire apparaissent en 1936 sur la tourelle du SCHIESSECK, très utilisée du fait des écoles de feu de Bitche puis ultérieurement sur l'ensemble des montages en tourelles (9), montrant les limites d'un armement nouveau pour lequel il manquait énormément d'expérience.
Le lance-bombes de 135 sera en fin de compte un mortier (10) d'une puissance et d'une portée peu commune. Ce matériel était d'une capacité de destruction importante et à même de couvrir la totalité du terrain jusqu'en limite de portée grâce à un angle de chute des obus compris entre 27 et 90% suivant les types de projectile et d'assurer avec une grande efficacité la destruction des chars, installations et travaux menés par l'ennemi et de son personnel. Au-delà de ses qualités, il demeure qu'il souffrira jusqu'après guerre de nombreux problèmes de jeunesse et d'un usage complexe qui en interdira la diffusion plus large et en fera la première cible des restrictions budgétaires dés 1931.
Le lance-bombes de 135 mm modèle 1932 est composé d'un tube trés court équipé d'une culasse à coin semi-automatique et doté d'une rotule de bouche.
- Longueur du tube : 1,145 m
- Longueur rayée : 0,865 m
- 16 rayures à droite
- Chargement : Manuel
- Deux freins placés symétriquement au dessus du tube, un seul récupérateur situé entre les freins
- Recul : 250 mm
- Poids de la mase oscillante: 288 Kg
- Cadence maximale de tir (par piéce) : 6 cps/mn
- Portée maximale : 5 600 m
- Portée minimale (tourelle): 320 m avec charge 0
- Pointage en hauteur sous tourelle : +9°/+45°
- Pointage en hauteur sous casemate 0/+40°(1)
- Pointage en direction sous casemate : 45°
Le refroidissement du tube est assuré par aspersion d'eau dans la cas de tirs soutenus. Il est fait usage des réserves disponibles en haut des blocs prévues à cet usage.
(1)Le pointage en hauteur sous casemate - initialement prévu à 45° aussi - a été volontairement réduit afin de minimiser les dimensions de l'embrasure.
Ce matériel a été installé à 43 exemplaires au total, 34 étant monté sous tourelle et 9 sous casemate.
- Ouvrage d'Anzeling, bloc 4 - 1 pièce
- Ouvrage du Hackenberg, bloc 9 - 1 pièce
- Ouvrage de Rochonvillers, bloc 5 - 1 pièce
- Ouvrage du Hochwald, bloc 1 - 1 pièce
- Ouvrage du Hochwald,, bloc13 - 1 pièce
- Ouvrage du Simserhof, bloc 1 - 1 pièce
- Ouvrage du Simserhof, bloc 4 - 1 pièce
- Ouvrage de Sainte- Agnés, bloc 2 - 2 pièces
Son montage sous tourelle est abordé dans la partie Tourelle pour lance-bombe de 135 mm du wiki sur le site.
Pour l'utilisation sous casemate, son service requiert une équipe composée de 8 personnes :
- Sous officier chef de pièce
- 1 Pointeur
- 1 Tireur
- 1 Chargeur
- 1 Artificier
- 1 Pourvoyeur
- 2 personnels auxiliaires
Son service sous tourelle est abordé dans la partie Tourelle pour lance-bombe de 135 mm du wiki sur le site.
Le lance bombe de 135 utilise une munition qui lui est spécifique constituée d'un obus explosif monté sur une douille de 135mm Mle 1932 .
Cette munition est décrite en détail dans la partie Munitions utilisées dans la fortification du wiki
La dotation en munitions était de 2 000 coups par pièce. Elle était assemblée dans le bloc même, les charges nécessaires étant mises en place à ce moment.