La cartographie est une représentation plane du terrain terrestre. Or on sait depuis l'antiquité que la terre n'est pas plane. Elle peut être assimilée à un ellipsoïde de révolution (sphère aplatie sur les pôles). Un point à la surface de la terre est donc défini par ses coordonnées géographiques (latitude, longitude) qui donnent sa position exacte dans un système de coordonnées polaire.
Tout l'enjeu consiste donc à "aplatir" cet ellipsoïde de révolution sur une zone donnée tout en lui donnant un référentiel de repérage. Jusqu'au 19° siècle ce système de repérage n'avait pas besoin d'être très précis, mais avec l'avènement de l'artillerie moderne au 19° s, les astronomes et géographes ont commencé à imaginer des approches permettant de cartographier rigoureusement sur de grandes surfaces, de bien meilleure manière que l'approche qu'avaient employé Cassini (père et fils) sous Louis XIV.
C'est sous l'ère napoléonienne que sont produites les premières cartes d'état-major repérées au 1:80.000e utilisant un système de projection de l'ellipsoïde terrestre sur la plan utilisant une approche mise au point par le géographe français Bonne. Ce jeu de cartes est repris à sa création en 1881 par le Service Géographique de l'Armée (SGA - ancêtre de l'IGN, lui-même né des cendres du SGA en Juillet 1940...).
Cette "projection de Bonne" est cependant très imparfaite, ne permet pas de recouvrement correct de cartes et devient vite insuffisante en matière de précision (plusieurs métres d'altération par kilomètres, des erreurs importantes d'alignement...) en regard des besoins croissants de l'artillerie. Lors de la première guerre mondiale, l'artillerie vise des précisions de repérage de quelques mètres pour atteindre des cibles à plus d'une dizaine de kilomètres de distance - hors de vue directe - et travaille par alignement avec des repères sur le terrain. On cherche donc un gain d'un facteur 10 en qualité... C'est ainsi qu'en 1915 le SGA, après consultation avec l'Artillerie, décide de passer à une autre type de projection cartographique : la projection conique de Lambert.
Johann-Heinrich Lambert est un mathématicien Suisse, né à Mulhouse en 1728, qui s'illustra par les applications de sa science sur les questions de cartographie. Il propose en 1772 une approche consistant à projeter les points de l'ellipsoïde terrestre sur un cône tangent à l'ellipsoïde terrestre sur un parallèle défini (parallèle de référence).
Le cône ainsi calculé peut facilement être "déplié" sur un plan sans déformation aucune, offrant une cartographie où les alignements de points et les distances sont conservés sur une zone beaucoup plus vaste qu'avec la projection de Bonne.
On comprend cependant que plus on s'éloigne du parallèle (latitude) de référence, plus l'erreur de projection devient importante. En pratique il est admis qu'une projection conique de Lambert est valide sur un anneau de 3 ou 4° de latitude. Cet "anneau de validité" peut être étendu en calculant le cône pour non plus être tangent sur un parallèle donné, mais pour être sécant sur deux parallèles relativement proches l'un de l'autre.
Pour calculer une projection de ce type, on a besoin de deux choses :
- les caractéristiques d'un ellipsoïde décrivant la forme de la terre le plus précisément possible
- un point de référence (parallèle, méridien) d'où calculer la projection
Avec ces données, il est alors possible de calculer les coordonnées X et Y - en mètres par exemple - d'un point donné sur la surface comparativement au point de référence pris.
Le SGA a choisi en 1915 de se référer à l'ellipsoïde de Plessis, dérivé à la marge de celui calculé par l'astronome Delambre (1810) qui avait servi par ailleurs dans l'établissement du système métrique. A cette époque, les coordonnées géographiques étaient données en grades (1) et non en degrés, avec pour référence le méridien de Paris (contre Greenwich de nos jours). Le parallèle de référence fut pour ce qui le concerne choisi à une latitude représentative du théâtre d'opération de la grande guerre, à savoir 55 grades Nord (49,5° N). Le méridien de référence fut lui pris comme étant 6 gr Est (5,4° Est + écart entre méridiens de Paris et Greenwich de 2,3372°, soit une référence actuelle de 7,7372° Est).
Pour corser l'affaire et rendre le système de repérage et de coordonnées français encore plus impénétrable à l'ennemi, le SGA décida que ce point de référence de la projection (55 gr Nord, 6 gr Est par rapport à Paris) correspondrait à une coordonnée métrique arbitraire de 500.000 m en X (Ouest-Est) et 300.000 m en Y (Sud-Nord). Dans ce système de coordonnées, le point 0,0 se trouve donc à une vingtaine de kilomètres à l'ouest d'Argenton sur Creuse !...
C'est sur cette base que le SGA établit à marche forcée un immense catalogue (cartes, canevas de tir,...) de toute la zone des combats - soit en gros le quart Nord-Est de la France, et toute l'armée parla en "Lambert Nord de Guerre" pendant 4 ans. Les cartes incluaient alors une grille en quadrillage carré (carroyage) kilométrique basée sur le référentiel LNDG.
Ce système de référencement cartographique ayant fait ses preuves, le SGA décida en 1920 de l'étendre à la France entière. Pour ce faire, il établit un référentiel Lambert en quatre zones (I, II et III du Nord au sud pour le continent et IV pour la Corse) basé sur une projection prenant comme référence le parallèle central de chacune de ces zones. Bien que cette cartographie nouvelle connut un essor rapide, l'ancien système LNDG est resté en vigueur dans le Nord-Est jusqu'après la seconde guerre mondiale du fait de la masse cartographique considérable existante avec ce carroyage. Tout naturellement, l'ensemble de la correspondance et du repérage de la ligne Maginot du Nord-Est fut fait en utilisant ces coordonnées.
Le Sud-Est (Alpes) n'ayant pas été théatre d'opération durant 1914-18, et se situant trop loin de la zone de validité de la projection Lambert Nord de Guerre, ce système ne fut pas utilisé pour la ligne Maginot des Alpes. A partir des années 20, le SGA basa sa cartographie sur les zones Lambert définies en 1920.
Les cartes d'état-major du Sud-Est des années 30 sont donc en avance sur celles du Nord-Est. Elles utilisent généralement le carroyage Lambert zone Sud (zone III) plus moderne et un peu plus précis encore.
Jean-Michel Jolas
Publications IGN,
divers sites internet dont wikipedia
Outil excel de conversion Lambert Nord de Guerre
2 messages, le dernier est de jolasjm le 19/10/2022
La cartographie pour tous
9 messages, le dernier est de jolasjm le 29/06/2020