Elle prend la suite des travaux menés par la Commission de Défense du Territoire (CDT) , laissés en suspens depuis Mars 1923.
Cette commission est chargée :
- d'établir le tracé et l'organisation de la ligne défensive qu'il est convenu d'établir aux frontières
- d'établir les prescriptions techniques générales la concernant,
- de confirmer ce qui peut ou non être réutilisé des anciennes fortifications,
- de définir les priorités de construction et ce qui doit l'être en temps de paix ou en temps de guerre, et enfin
- de donner une estimation du coût des travaux.
Placée par souci de continuité sous la présidence du Gal GUILLAUMAT , déjà président de la CDT, elle est composée des généraux BERTHELOT - membre du CSG -, DEBENEY - nouveau Chef d'Etat-Major Général des Armées au décès du Gal BUAT en 1923 -, BINEAU - adjoint de DEBENEY -, DEGOUTTE - Commandant désigné de l'Armée des Alpes -, FILLONEAU - Inspecteur Général du Génie -, MAURIN - Inspecteur Général de l'Artillerie -, et BIRCHLER - Adjoint de FILLONEAU - qui en est le rapporteur.
Pour minimiser le risque de querelles de chapelle, la CDF est placée sous l'autorité directe du Ministre de la Guerre, qui fera un point personnel régulier de l'avancement des travaux avec le Gal GUILLAUMAT. Ce rattachement direct permet en outre de garantir l’indépendance de la commission vis-à-vis des autres entités, dont le Conseil Supérieur de la Guerre (CSG) .
Dés le 22 Janvier 1926, devant l'ampleur de la tâche ce dernier requiert du Ministère la création d'un secrétariat permanent pour assister la commission dans les aspects pratiques ou de terrain. Il propose par ailleurs que ce secrétariat soit dirigé par le Col CULLMANN (artilleur, actuel sous-chef d'état-major de l'armée du Rhin) qu'il avait pu pratiquer lors des travaux de la CDT. Si PETAIN supporte la création de ce secrétariat, il considère que sa tête doit être tenue par l'Inspecteur général du Génie, le Gal FILLONNEAU, dont CULLMANN pourra cependant être l'adjoint. La création du secrétariat est approuvée par PAINLEVE sur ces bases un mois plus tard, le 24 Février.
Des délégations locales - extension du rôle de certaines directions régionales du Génie - sont créées par DM 68 3/4 S du 4 Mars 1926. Les premières sont instituées à Metz, Strasbourg et Belfort comme bras armé local du secrétariat pour travailler à l'affinement des tracés et composition des trois Régions Fortifiées envisagées dans le Nord-Est.
Etonnement, et signe que la communication ne passe pas si bien que cela, la 4° Direction (Génie) découvre - avec une surprise compréhensible - par des échanges demandant des libérations de personnel courant Avril l'impact potentiel de ce secrétariat et s'enquiert auprès de l'EMA de sa finalité… Sentant probablement venir l'incident diplomatique et comme l'action de ce secrétariat était amenée à devenir de plus en plus visible, y compris vis à vis des instances régionales et locales, le Ministre demande finalement une "régularisation" (… terme employé) plus formelle de cette création, ce qui sera fait par décret présidentiel le 14 Juin, alors que le secrétariat est déjà en fonction depuis un bon moment !
La CDF a tenu vingt réunions du 24 février 1926 au 30 janvier 1931. Elle rendra son "Rapport sur l'organisation défensive des frontières" le 6 novembre 1926, dix mois seulement après sa création. La première proposition de tracé général, issu du travail du secrétariat permanent en lien avec les délégations locales nommées dès Mars, est même prêt dès l'été.
Ce rapport de 105 pages, auxquelles se rajoutent cartes et annexes, constitue le document de référence du système de fortification à établir aux frontières qui sera plus tard nommé ligne Maginot. Même si la similitude de vue avec les travaux de la commission précédente est évidente, il est marqué pour des raisons politiques d'une plus grande dose de vues défensives que le rapport de la CDT - les esprits ont évolué dans la mouvance du traité de Locarno de 1925 -.
Il confirme le principe déjà articulé par la CDT d'une fortification discontinue organisées en régions fortifiées (ou zones fortifiées dans le sud-est) et défini le plan de principe des ouvrages fortifiés qui la composeront.
Pourtant ne nous y trompons pas, le rationnel sous-jacent du rapport est majoritairement offensif, tel qu’on peut le comprendre des échanges lors des réunions préalables de travail de la commission. Le constat fait par les membres est simple et confirme les conclusions de la CDT en 1923 : les frontières politiques du pays, telles que dessinées par le congrès de Vienne de 1815 et les traités associés, sont rigoureusement indéfendables. La seule façon de « défendre la frontière » est de porter la frontière militaire, le champ de bataille, en avant en territoire étranger : en Belgique si elle est attaquée ou même neutre, en Allemagne où les positions sont géographiquement plus favorables que du côté français de la frontière, ou en Suisse si l’Allemagne essaie de contourner l’obstacle du Rhin, mettant ce pays neutre de notre côté. Ce n'est plus la "course au Rhin" chère au Maréchal Foch en 1920, mais cela en conserve la logique.
Les régions fortifiées (RF) à construire en France n’ont donc que trois buts :
- le territoire et résister par leurs seuls moyens à une attaque surprise massive et barrer les principales voies de passage aux frontières pendant les quelques jours nécessaires à assurer la mobilisation générale. Le seul lieu où cela peut arriver, c’est à la frontière avec l’Allemagne.
- forcer l’Allemagne à violer des pays tiers (Belgique et Suisse),
- et/ou servir de base de concentration pour le « bond en avant » amenant l’armée sur des positions plus favorables à la bataille hors du territoire national,
Pour permettre efficacement ce « bond en avant » et donner les moyens ou troupes de campagne de créer un front semi-permanent de défense, la CDF crée le concept de « parc mobile de fortification » ou « parc mobile du Génie » , lots cohérents et transportables de matériaux et équipements stockés en temps de paix dans des dépôts spécifiques, et permettant de constituer progressivement une position de campagne. Ces parcs mobiles à vocation offensive pourront éventuellement servir à construire si nécessaire les « courtines » prévues par la CDF entre les Régions Fortifiées ou face à la Belgique si le commandement le décide. Encore présente de façon explicite dans les derniers projets de rapport au Ministre, cette notion de « bond en avant » sur territoire étranger disparaitra du texte final du rapport à la suite d’une dernière relecture plus politique de ce document. Celui-ci étant susceptible d’arriver entre des mains moins sures que le monde du Ministère de la Guerre (commission des armées de la chambre des députés par exemple, Ministère des Affaires Etrangères, etc) les membres de la commission ont préféré retirer ces passages trop « offensifs » et contradictoires avec les termes du traité de Locarno. Cet aspect sera en revanche repris dans la lettre d’accompagnement du rapport, à l’usage du seul ministre.
Concernant plus spécifiquement la fortification, le rôle assigné à chaque RF est le suivant :
RF de Metz-Longwy
Ce front a une double mission dépendant de sa partie. Le côté Nord entre Longwy et Thionville est purement défensif : liaison avec les armées du Nord et protection du bassin de Briey et Thionville tout en protégeant le flanc gauche des armées de Lorraine. Le côté Est a une vocation plutôt offensive en servant de base de départ à une attaque ou contre-attaque de flanc d'un ennemi engagé dans la plaine de la Sarre. Le tracé de la partie Nord fait rapidement débat, car bien que très proche de la frontière Luxembourgeoise, il ne protège pas suffisamment les voies de communication en arrière.
RF de la Lauter (Basses-Vosges)
Sur cette région, le front est fait de deux tronçons de part et d'autres des Vosges reliés par une zone de simples destructions éventuellement défendues par des fortifications légères. La mission est de protéger les armées de Lorraine sur leur droite et d'interdire l'accès aux nœuds ferroviaires et routiers de basse-Alsace. Le tronçon ouest longe les Vosges sur la ligne des 400m d'altitude, et le tronçon est se situe le long de la Lauter au plus près de la frontière. Une variante est proposée côté ouest, plus en avant par Rohrbach, pour éventuellement se relier aux positions futures de l'Albe dans la Sarre.
RF de Haute-Alsace (Belfort)
Essentiellement défensive, cette ligne doit protéger le nœud stratégique de Belfort, le bassin industriel Belfort-Montbéliard, et enfin forcer l'ennemi à éventuellement violer la neutralité Suisse et donc à faire basculer ce pays du côté allié.
Le secteur Ouest de la RF Metz-Longwy devait être traité sous la forme de simples destructions entre la Meuse (Mézières) et la Chiers jusque Longuyon. La défense des berges du Rhin est - à l'inverse de ce que préconisait la CDT - à construire dés le temps de paix sous la forme de trois lignes de défenses légères dont la plus importante est sur la rive même, considérée comme le champ de bataille, complétée d'artillerie sous béton.
Concernant le Jura, compte tenu du faible risque d'attaque sur ce front, on se contentera là aussi de destructions préparées.
La question du Nord de la France, abordée elle aussi, en reste au niveau du principe pour des raisons politiques vis à vis de la Belgique - alliée de la France, et glacis naturel de notre frontière. Là il sera question de créer à la mobilisation éventuelle des môles de résistance reliés par des "courtines" naturelles (canaux, rivières,...). Le tracé est relativement éloigné de la frontière, estimée comme indéfendable en l'état. Les bassins de Lille et de Maubeuge se trouvent donc en avant de la ligne de défense prévue, qui va droit de Valenciennes à Hirson par les forêts de Raismes et Mormal.
Concernant les formes de la fortification, on voit apparaître la notion de fort (concentré) ou centre de résistance (dispersé) principal, tous les 3 à 5 kilomètres, alternés avec des ouvrages intermédiaires assurant la continuité de feu d'infanterie entre les ouvrages principaux. Les forts sont armés de canons obusiers, lance-bombes, mitrailleuses et même lance-flamme. L'accent est mis sur la rapidité de cadence de tir plutôt que sur le calibre. Les infrastructures comprennent abris et PC, ainsi que réseau téléphonique, routier et logistique. L'alimentation énergétique des forts n'était pas autonome mais par l'arrière via des sous-stations bétonnées et un réseau souterrain. Des groupes de secours minimas prenaient le relai dans le fort en cas de besoin. La défense antichar est frontale, à partir de positions en arrière de la ligne de défense.
Cette première approche, novatrice par certains points comme la nature linéaire et en profondeur de la défense ainsi que le concept élargi de centre de résistance - proche des Festen allemandes et juste ébauché à la fin de la guerre 1914-18 en France -, reste cependant teintée de conceptions passées, matinées de l'influence des travaux 1917, pour ce qui est des forts.
Le cout prévisionnel du système ainsi défini est estimé à la somme de 5 milliards de Francs - uniquement pour les régions fortifiées -.
Les Alpes sont brièvement traitées dans le dernier chapitre (Ch. IX), comme un additif quasiment indépendant du reste du document. Le fait est que la CDF n'a - à ce stade - pas de mandat formel et affirmé sur le Sud-Est et s'est bornée là à consigner les idées de l'Armée des Alpes. Ce chapitre, personnellement écrit par le Gal DEGOUTTE, reprend à son compte les études pour des 14° et 15° Régions Militaires éditées en 1926. Le chapitre prévoit le barrage purement défensif des vallées importantes de Tarentaise, Maurienne, Briançonnais et Ubaye par des zones fortifiées incluant un renforcement des fortifications existantes, et de le création d'une dernière zone importante, ayant quasiment statut de Région Fortifiée, dans les Alpes-Maritimes pour protéger les approches de Nice. Les intervalles entres ces zones, impropres à une attaque en force, devaient simplement être surveillés par des troupes mobiles.
S’il y eut un semblant de consensus tant politique que militaire sur le tracé de position proposé (on verra plus loin que cela ne durera pas !), la proposition de forme de fortification - trop standardisées et rigides - fut de son côté rejetée par le Conseil Supérieur de la Guerre, PETAIN en tête. Le rapport de la CDF est discuté lors de deux réunions du Conseil Supérieur de la Guerre (CSG) les 17 Décembre 1926 et 18 Janvier 1927 et approuvé (DM 11 3/11-1 du 6 Janvier) sous réserve que la question des formes de fortification soit revue et approfondie dans le sens d'une simplification, d'une meilleure adaptation au terrain et d'une réduction des coûts. Comme anticipé par le Gal GUILLAUMAT lors de la préparation du rapport au Ministre, le coût et la durée de construction de ce qui était proposé n'avait pas laissé le CSG indifférent !
Il est fortement suggéré à la CDF dans cette DM d'approbation de prendre "... toute latitude de recueillir toutes propositions qui pourront être faite (en la matière) à la commission et les suggestions que vous jugerez utile de provoquer…" (sic). L'appel à créativité externe était on ne peut plus clair !
Conformément à la demande, la CDF va revisiter et approfondir lors du 1er trimestre 1927 cette question des formes de fortification dans le sens demandé. Pas moins de 3 réunions (en Février, Mars et Avril) seront nécessaires pour converger vers une vision commune car le débat récurrent entre tenants des ouvrages concentrés puissants (GUILLAUMAT, DEBENEY, FILLONNEAU...) et ceux de la fortification légère dispersée avec artillerie dans les intervalles (MAURIN, DEGOUTTE…) est intense.
La 8e réunion de la commission, les 3 et 4 Février 1927, est dédiée à l'audition - tel que suggéré par le ministère et le CSG - d'un panel de huit officiers supérieurs spécialistes de la fortification pour que ceux-ci aient la possibilité de présenter et développer leurs idées. C'est à cette occasion que la présentation faite par le Cdt TRICAUD d'un concept de "fort palmé" suscite un intérêt certain (mais aussi quelques critiques sur son coût total potentiel, du ratio coût des communications sur coût des organes actifs et la légèreté et fragilité perçue de ses "blocs") de la part des membres de la commission. Deux généraux supplémentaires seront audités lors de la réunion de Mars.
Ce travail aboutit à l'émission le 16 Mai 1927 d'un nouveau "catalogue" de formes de fortification (Rapport CDF 330/F au CSG). On passe de 2 plans types concentrés et un "centre de résistance" dispersé dans le rapport de Novembre 1926 à 7 plans types de forts, ouvrages et casemates intermédiaires - nouvel élément à utiliser pour la continuité de feu ou sur la ligne d'arrêt - auxquels s'ajoutent un plan type de PC-observatoire cuirassé, un plan type d'ouvrage à tourelles et un plan type d'abri de surface pour troupes d'intervalle. Les "forts" de cette nouvelle mouture, bien qu'encore teintés du caractère concentré des versions précédentes, est maintenant constitué de massifs tactiques - gros ensembles de plusieurs chambres de tir et tourelles - dont la configuration sur le terrain peut cependant être adaptée. Le fossé flanqué, héritage des fortifications anciennes, n'est plus obligatoire. On n'est pas encore rendu au concept de TRICAUD, mais on s'en rapproche.
Il s'en suivit une nouvelle proposition pour les fronts en fortification permanente, basée sur une première ligne d'ouvrages principaux et intermédiaires essentiellement flanquant, suivis d'une ligne de soutien avec abris, casemates éventuellement, PC et observatoires isolés, et contenant enfin une ligne d'ouvrages à tourelles - éventuellement connectables aux communications souterraines des ouvrages - ayant une vocation frontale. Ces ouvrages à tourelle pouvaient être reliés aux galeries arrières des ouvrages de première ligne. Le rapport 330/F s'efforce par ailleurs d'argumenter objectivement contre le front formé d'ouvrages légers en quinconce et en profondeur proposé par le Gal DEGOUTTE et qui a suscité l'intérêt du Mal PETAIN. Sans surprise, ce rapport 330/F est présenté par la CDF avec un appui unanime de ses membres… moins une voix, celle de DEGOUTTE.
Depuis le début des années 20, le ministère de la Marine a établi un programme de défense des côtes, dont la dernière version en date est de 1926 et qu'elle s'emploie à mettre en œuvre progressivement. La CDF n'a naturellement pas son mot à dire de ce point de vue (les "frontières marines" sont bien sûr hors de son mandat) mais, chose méconnue, le ministre PAINLEVE propose le 26 Janvier 1927 (Note 107 3/11-1) à son homologue de la Marine, Georges LEYGUES, de désigner des représentants auprès de la CDF pour discuter en cas de besoin les éventuelles questions d'interface entre défense terrestre et côtière (Nord, Alpes-Maritimes, Corse...). La proposition est acceptée par la Marine le 16 Février, et des amiraux seront successivement désignés jusqu'en 1930 pour être invités aux réunions pertinentes de la CDF.
Comme toute commission s'inscrivant dans le long terme, la CDF a connu des changements de composition :
le 10 Février 1927, le Gal BOICHUT, gouverneur militaire de Strasbourg, remplace le Gal BERTHELOT placé en cadres de réserve depuis Décembre 1926.
deux semaines plus tard, le Gal TISON - alors directeur du Génie (4° Direction) - rejoint la CDF en prévision de l'entrée en phase active des études de détail. En conséquence de son détachement à la CDF, il sera remplacé par le Gal NORMAND comme directeur du Génie.
Le 6 Mars, arrivée du Gal DUFIEUX, qui devient adjoint désigné du Gal GUILLAUMAT pour un temps.
En avril 1927, le Général BIRCHLER est nommé Inspecteur Technique des Travaux de Fortification (ITTF) suite à la création de cette inspection et ne peut plus mener de front ses fonctions à la CDF. Il est remplacé en Décembre 1927 comme rapporteur de la CDF par le Gal MACAIRE puis début 1930 par le Gal BLANC
Fin 1928, le Gal BELHAGUE en tant que nouvel Inspecteur Général du Génie (et président de la CORF) prend la suite du Gal FILLONNEAU placé en cadre de réserve.
Courant 1930, la composition effective de la commission est fixée comme suit :
Présidence : Gal GUILLAUMAT
Membres : Gaux DEGOUTTE et MAURIN (depuis l'origine), Gal WEYGAND (chef d'état-major de l'armée), Gal BRECARD (successeur de BOICHUT comme gouverneur de Strasbourg), Gal BELHAGUE, Gal GUITRY
Rapporteur : Gal BLANC
Mi 1931, le Gal JACQUEMOT (précédemment commandant de la 15° Région Militaire - Marseille) prend la succession du Gal DEGOUTTE, membre historique de la commission. Il décède peu de temps après et est remplacé en Janvier 1932 par le Gal MITTELHAUSSER (commandant désigné de l'armée des Alpes). Par ailleurs, le Gal GAMELIN remplace WEYGAND puis le Gal MOYRAND remplace le Gal GUITRY.
Bien que validées précédemment, les conclusions du rapport de la CDF relatives au tracé des Régions Fortifiées et autres fronts à constituer au moment du besoin voient leur consensus s’effriter. Le Maréchal PETAIN va s’intéresser en particulier de près à ces questions de tracé de position, et à la suite d’une série de reconnaissance de terrain effectuées entre Juin et Aout 1927 relançe le débat en suggérant que les Régions Fortifiées ont des tracés défectueux à ses yeux, généralement trop proche de la frontière. Assez habilement, le ministère invita le Maréchal - qui n’avait aucun pouvoir direct sur la commission - à défendre ses vues directement auprès de la CDF. Il présida donc ou participa aux 11° 12° et 13° réunions entre Juillet et Octobre 1927 durant lesquelles l’ensemble du tracé des régions fortifiées ou des positions, qui avaient été définies en lien avec les délégations locales, fut amplement critiqué et remis en cause non sans susciter quelque amertume (cf. commentaire d’introduction de la 11° réunion du Gal FILLONNEAU). PETAIN en profita aussi pour amener certaines de ses idées, comme par exemple :
Création de deux « positions de barrage » en arrière des régions fortifiées, à Metz et à Saverne
Organisation d’un système d’inondations défensives sur l’Albe dans la trouée de la Sarre.
Si le Maréchal visita chacune des trois régions fortifiées prévues, ainsi que le tracé prévu pour les organisations défensives du Nord de la France de Dunkerque à Hirson, il laisse le secrétariat de la CDF reprendre seul le tracé de la partie Hirson-Ardennes-Région Fortifiée de Metz, considérant ce secteur peu critique entre deux voies d’invasion possibles (Moselle et Oise) et suffisamment couvert par la forêt !
Concernant les formes de fortification, le Gal DEGOUTTE (Armée de Alpes) revint à la charge et contre-proposa une forme légère faite de plusieurs lignes en quinconce faites de blocs légers avec artillerie extérieure pour l’essentiel, en totale opposition avec les travaux et conclusions antérieures.
Ces errements trouvèrent leur terme en Octobre 1927, par suite de l'approbation réticente par la CDF de certaines propositions de modification de tracé proposées par PETAIN :
Recul de la ligne Ouest de la RFM vers le sud pour l'éloigner de la frontière luxembourgeoise, passant maintenant par le sud d'Aumetz et Serrouville et Fillières.
Choix de l'option Rohrbach plutôt que le flanc des Vosges pour l'ouest de la RFL
Léger recul de la ligne côté Est des Vosges vers le tracé initial du col de Pfaffenschlick.
En revanche ses propositions d'abandon du saillant de Cattenom et de créer une ligne d'arrêt très en arrière en fortification puissante ne reçurent pas d'écho de la CDF.
A cette occasion, la RF de Haute Alsace fut placée en 2e Urgence ainsi que la position d'arrêt de Saverne. Le débat toujours ouvert autour du tracé de la position au nord-ouest de la RFM trouvera cependant un terme temporaire du fait de la décision du ministre Paul PAINLEVE fin 1927 de reporter la partie à l'ouest de Rochonvillers en 2° Cycle de la 1° Urgence.
Concernant les contre-propositions de forme de fortification du Gal DEGOUTTE, le secrétariat de la CDF réalisa une étude comparative (Note 447/F du 9 Septembre 1927) entre ce mode de fortification et celui proposé par la commission sur un tronçon type de la RF de Metz devant Boulay. Sans surprise, la conclusion est nettement favorable à cette dernière, tant en termes de besoins en personnel qu’en niveau de préparation dans un scénario de surprise. Une étude similaire et indépendante relative à un morceau de tracé de la RF de Haute-Alsace, demandée par PETAIN au Gal BOCQUET - gouverneur militaire de Belfort -, aboutit fort heureusement à la même conclusion, ce qui permit de clore le débat.
La CDF considère en Septembre 1927 que son travail principal de cadrage général est achevé et qu’il faut maintenant entrer dans le concret. Elle demande la création de la Commission d'Organisation des Régions Fortifiées (CORF) qui sera chargée du détail de la réalisation du système fortifié le long des frontières. Dès cette date, les réunions de la CDF s'espacent (8 réunions entre octobre 1927 et fin janvier 1931).
Comme évoqué plus haut, les Alpes étaient restées hors du périmètre officiel des travaux de la commission car considéré comme un front secondaire qui n'avait en outre pas subi de changement de frontière suite à 1914-18. L’armée des Alpes mena donc ses propres études en toute autonomie en 1926, permettant au Gal DEGOUTTE de faire valoir les idées des Alpins : défense au plus près de la frontière et fortification légère avec peu d’artillerie.
En Aout 1927, sur proposition de DEGOUTTE, le Ministère approuve un "Programme Réduit de défense de Nice" engageant un certain nombre d'études et de travaux sans que la CDF n'ait eu l'occasion d'y tremper. La commission est juste informée du contenu du projet - après approbation…
Ceci fut corrigé par souci d'uniformisation, la CDF devenant officiellement responsable des études sur le Sud-Est en Mars 1928 au grand dam de l'Armée des Alpes. Les directions de Génie locales (Grenoble, Briançon et Nice) deviennent ainsi de-facto des "délégations locales" de la CDF (mais pas encore de la CORF...) par décision ministérielle le 17 Avril 1928 (DM 878 3/11-1).
Trois rencontres de la CDF en 1928 eurent un focus particulier sur la défense des Alpes, en vue d'écrire un rapport complet sur les Alpes en amélioration du chapitre IX du rapport au ministre de Novembre 1926. Le secrétariat de la CDF (Col OEHMICHEN) prépara ainsi en septembre 1928 un rapport général "sud-est" d'un standard tout à fait comparable à celui du Nord-Est, proposant ouvrages d'artillerie et barrages puissants des vallées principales, et un tracé qui commençait à diverger de celui original de DEGOUTTE. Ce rapport initial (18/FA) est présenté en réunion de la CDF en Novembre 1928 durant laquelle il est amplement discuté et critiqué par DEGOUTTE, partiellement soutenu par PETAIN. Une deuxième mouture, de Janvier 1929 (2/FA) est rejetée avant même nouvelle présentation à la CDF car encore trop "personnalisé". Tel que tourné, il s'attache à démonter de façon explicite et point par point les vues du Gal DEGOUTTE non conformes à la vision CDF, ce qui est probablement jugé politiquement peu acceptable. Un troisième rapport (25/FA) - version édulcorée et politiquement acceptable du deuxième, mais en tous points identique sur le fond et tenant compte des remarques faites au premier - est finalement produit et présenté pour approbation à la CDF en Février 1929. Ce rapport 25/FA sur la défense du Sud-Est sera finalement validé et servira de référence à la suite des travaux de conception de la fortification alpine, mettant un terme au projet de l’armée des Alpes, sauf Rimplas dont les travaux ont déjà débuté et qu’il faut se réapproprier.
Le rapport 25/FA est approuvé le 19 Mars 1929 et ouvre la porte à la CORF, qui prend comme pour le Nord-Est à son tour officiellement mandat sur la frontière Sud-Est.
Cette même année 1928, le projet pour la défense du Rhin du Gal BOICHUT - Gouverneur militaire de Strasbourg - , dérivé des propositions initiales constituées de 3 lignes successives, fut validé à son tour avec quelques réserves.
Entre fin 1929 et début 1930, la question du tracé à l'ouest de Rochonvillers revient sur la table de la CDF, relançant un débat acharné entre les tenants d'un tracé au plus prés de la frontière luxembourgeoise, englobant Longwy, et ceux tenants d'un tracé sur le plateau entre Chiers et Crusnes. Le cout prohibitif et les difficultés techniques du premier, additionné à l'imparfaite protection du bassin industriel qu'il permet de toute façon, entrainent finalement une décision mi-1930 pour le tracé par Bois-du-Four et Latiremont-Fermont puis le bois du Rafour au sud de Longuyon - à portée de la place de Verdun. Approbation est donnée le 30 Septembre 1930.
Fin 1931 ou début 1932 (le document n'est pas précisément daté), une note de l'EMA qui reste à l'état de projet évoque explicitement la question de la dissolution de la CDF. Le gros du travail de cadrage de la défense des frontières est achevé et plusieurs membres ont changé ou sont en passe d'atteindre la limite d'âge. La conclusion est finalement tirée qu'il est nécessaire de la maintenir car la loi impose qu'elle soit consultée pour tout classement/déclassement de place de guerre. Plusieurs questions de ce type devant être être traitées en 1932, il est donc urgent d'attendre...
La CDF ne sera donc finalement jamais formellement dissoute mais simplement laissée en sommeil à partir de 1933, ses membres n'étant plus renouvelés.
Reprise du draft d'origine par J-M Jolas - Octobre 2017, mis à jour en Janvier 2020
- SHD, cartons 7 N 3756 à 3761
- Mémoire de DESS de J-L. Goby - 1986,
- Ouvrages de MM Tournoux, Truttman
- Hommes et ouvrages de la ligne Maginot - J-Y. Mary et A. Hohnadel, T1
la CDF
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