La CEZF (Commission d'Etude des Zones Fortifiées) est crée en 6 Septembre 1939 par le Gal GAMELIN (note GQG-EM/058-3/FT), avec la mission de superviser les travaux d'organisation complémentaires de la position fortifiée face à divers fronts neutres, ou anciennement neutres - Pyrénées exclues - et pour donner de la profondeur au front fortifié.
. Il est secondé par les généraux
et PHILIPPE (IGGF) et cette commission inclut cinq à six représentants de l'infanterie et l'artillerie, ainsi qu'un secrétariat de six officiers. Cette note de constitution précise explicitement que la CEZF n'a aucun rôle vis à vis des travaux MOM urgents en cours sur la première ligne depuis la mobilisation.
Dés la fin Septembre, le Gal BELHAGUE précise un certain nombre de décisions structurantes concernant la nouvelle fortification :
- les blockhaus à construire seront conformes à la "Note provisoire relative à l'organisation de blockhaus double pour canon antichar de campagne et mitrailleuse Hotchkiss" STG, approuvée le 29 Décembre 1938, avec dalle de 2,00 m.
- Compte tenu des délais prévisibles pour l'approvisionnement des cuirassements, les cloches observatoire par éléments de 15 cm d'épaisseur - attendues pour Avril 1940 - sont doublées d'un orifice de toiture permettant l'utilisation temporaire d'un périscope type V. Ces cloches disposeront d'un doublage intérieur mais sont équipées d'un plancher fixe.
- Les carters de trémie définitifs, livrables à partir de mi-1940, sont temporairement remplacés par des trémies Condé avec carter léger et affut spécial (mitrailleuses) ou une trémie en tôle épaisse soudée temporaire (canon de 25mm). Le canon de 47mm bi-flèche, un temps considéré, est mis de côté au profit de l'utilisation exclusive du canon de 25mm Mle 1934 ou 1937.
Une prévision de quoi équiper 900 à 1000 blockhaus est estimée et les commandes sont passées.
Après reconnaissance de terrain, le tracé général de la position est validé dans ses grandes lignes dés la fin Septembre 1939 mais subira des ajustements significatifs jusqu'en Décembre 1939. Le processus est long, car la CEZF se trouve en position de devoir arbitrer au niveau Groupe d'Armées entre les idées parfois antagonistes de commandements d'Armées dont les propositions de tracé ne se raccordent pas nécessairement... Ces ajustements expliquent en partie le démarrage tardif (fin de l'année) de certains chantiers, notamment à la jonction entre les 1° et 9° Armées.
Il est décidé début Octobre que là où des travaux importants dans les zones en 1ère ligne sont en cours, la ligne CEZF sera réalisée sous contrôle des Armées concernées (1°, 2° et 3° Armée), mais que dans les zones de constructions peu actives, comme en arrière de la 9° Armée ou du Jura, la CEZF gérera directement les chantiers de construction. Les chantiers et l'organisation de terrain de la CEZF dépend de chefferies de travaux créées pour l'occasion sur le modèle de l'ancienne structure de la CORF.
La première position de la 4° Armée (Sarre) étant peu puissante, la CEZF se voit confiée la réalisation d'une ligne intermédiaire entre 1° et 2° ligne, de part et d'autre d'une position Guessling-Francaltroff-Val de Guéblange. Cette ligne a déjà été partiellement équipée par ses propres moyens par la 4° Armée en 1938 avec des blocs légers.
Dans tous les cas, le tracé de la ligne et l'implantation des blocs est défini par les armées, avec accord de la CEZF. Autre décision fonctionnelle importante : la ligne CEZF sera constituée de deux lignes de blockhaus parallèles, une ligne principale précédée d'un obstacle antichar, et une ligne d'arrêt à environ 2 kilomètres en arrière de celle-ci, elle-même avec obstacle antichar. L'obstacle antichar sera constitué entre les blocs sous la forme d'un fossé à profil trapézoïdal de 2,50m de profondeur pour 5,50m de large, avec un talus vertical recouvert de fers IPN. Autour des blockhaus il est constitué de 5 ou 6 rangées de rails. Cet obstacle est doublé d'un réseau de barbelés de 6 mètres de large.
Les entreprises civiles pour les chantiers sont sélectionnées début Octobre, en parallèle du transfert des unités du Génie ou des régiments de travailleurs affectées aux travaux :
- 219° Régiment de Travailleurs de Réserve Général (RTRG) de Paris sur le ban du DAA (Ardennes)
- 27° RTRG d'Amiens affecté à la 2° Armée (Meuse)
- 33° RTRG de Rouen affecté à la 4° Armée (Sarre)
- 35° RTRG de Rouen affecté à la 7° Région Militaire (Jura)
Le chantier débute entre Novembre et Décembre 1939, constitué de 10 zones de travail d'une quinzaine de kilomètres chaque représentant 180 km au total et un ensemble de 350 blocs et 250 kilomètres d'obstacle antichar. Dans un deuxième temps, ces noyaux devaient être prolongés progressivement à leurs extrémités au travers de trois autres tranches de travaux de 140-150 km chaque étalées sur 1940 et 1941.
Les zones de travail prioritaires (1° tranche) définies en Septembre 1939 sont:
- 1° Armée :
* bretelle des Monts à Watten : 20 km
* Iwuy-Briastre devant Cambrai :14 km
* Montay-Bois l'Eveque devant le Cateau-Cambresis : 10 km
- Détachement d'Armée de Ardennes :
* Signy L'Abbaye-Poix-Terron : 18 km
- 2° Armée :
* Omont-Stonne : 17 km
* Beauclair-Brandeville : 16 km
- 3° Armée :
* Cote de Romagne-Han devant Pierrepont : 20 km (chantier géré par le Génie de la 2° Armée)
* Forêt de Hémilly-Bois de Guessling : 13 km
- 4° Armée :
* ligne intermédiaire 4° Armée de Guessling à Val de Guéblange : 28 km
* Sarre-Union-Butten : 13 km
- Jura :
* bretelle Morteau-Consolation : 15 km,
* 1ère position de Gilley, d'Arçon au Larmont (Est Pontarlier), remplacé par un tronçon Maisons-du-Bois - Les Etraches : 7 km
* verrou prioritaire de Remorey-Granges Ste Marie : 6 km
Le budget estimatif de cette première tranche est initialement de 300 à 350 Millions de Francs, pour un total global relativement conséquent pour toute la ligne CEZF (600 km - 4 tranches) de 1.500 Millions. Dés le mois suivant une hausse importante est annoncée : la première tranche passe à 450 MF, du fait d'un transfert dans le budget d'achats qui avaient été décomptés ailleurs et de la nécessité d'acheter les terrains (passage en fortification permanente). Ces budgets sont inclus dans les demandes plus générales liées à la fortification, et validés par le ministre de la guerre (et président du conseil) DALADIER le 13 Octobre 1939.
Le ministre n'accède cependant pas à une demande du général BELHAGUE, appuyée par GAMELIN, de donner délégation de gestion de budget et des paiements aux intendants d'armée pour faciliter et accélérer le déblocage des moyens. La direction du Contrôle de l'Etat-Major s'y oppose au motif que la gestion de ces moyens doit rester centralisée. Ceci aura des conséquences sur le délai et la lenteur du lancement des travaux.
Le travail sur le terrain démarre doucement à partir de fin Octobre-début Novembre, avec un effectif disponible (entreprises civiles et M-O militaires) très inférieur aux prévisions, et une difficulté récurrente de concurrence pour les ressources entre les travaux de première ligne et ceux de la ligne CEZF. Ce conflit de priorité sera l'une des causes majeures des difficultés rencontrées dans la construction de la ligne.
La continuité de travaux et de vision tactique est mise à mal par les nombreuses modifications de presence de grandes unités sur le terrain. La réorganisation du front, avec le déplacement de la 1° Armée vers l'Est et l'introduction à sa place de la 7° Armée et du BEF (Forces Expéditionnaires Britanniques) perturbe fortement les chantiers sur la bretelle des Monts et les sections de Cambrai et le Cateau, dont tout l'encadrement et les troupes spécialisées du Génie doivent changer. Le 16° Corps d'Armée, constituant organique de la 7° Armée qui occupe maintenant le nord de Lille, n'a tout simplement pas les moyens de reprendre le chantier de la bretelle des Monts et demande des moyens supplémentaires ou à être déchargé de la construction. Ses priorités sont aussi ailleurs il faut bien le reconnaitre... C'est finalement une Chefferie directement rattachée à la CEZF qui reprendra la construction. Ces réorganisations de front jouent aussi sur la tranche prévue entre Romagne et Han-sur-Pierrepont, initialement validée par la 3° Armée, puis conçue et développée par la 2° Armée qui prend temporairement cette partie de front, puis enfin construite sous la responsabilité à nouveau de la 3° Armée qui récupère la zone le 17 Décembre 1939... Ce chantier reste cependant sous gestion technique du Génie de la 2° Armée - qui en a assuré la conception de détail -, ce qui ne simplifie rien. Le sénateur de la Grandière, qui effectue en Décembre 1939 une inspection parlementaire auprès de la 3° Armée, se fait l'écho dans son rapport du manque d'intérêt apparent de ladite armée pour une 2e ligne dont elle ne se sent pas vraiment responsable.
A ceci se rajoute partout l'enjeu considérable de devoir créer de quasiment zéro toute une organisation logistique (transport, gares de déchargement, etc) dans des endroits ruraux relativement isolés. Ces besoins logistiques entrent en conflit avec les énormes flux de matériels et matières premières déjà requis par les travaux en 1ère ligne, incluant maintenant les Britanniques installés autour de Lille, au point que fin Décembre le 4e Bureau de l'Etat-Major Général (logistique et approvisionnement) tire la sonnette d'alarme en demandant instamment au 3e Bureau d'établir une priorité des travaux sous peine de surcharge totale des moyens logistiques de l'armée. Le 3e Bureau répond à cette demande en précisant la priorité donnée à la 1ère position partout où c'est nécessaire et en limitant la priorité de la 2e position (CEZF) aux arrières des 2° et 9° Armées, des Ardennes à la trouée de l'Oise. Toute demande d'extension de la ligne CEZF au-delà de cela devra dans ce contexte être dument justifié et approuvé par l'Etat-Major.
En Décembre 1939, en prévision des travaux à mener en 1940, trois nouveaux tronçons voient leurs études démarrer en arrière du Détachement d'Armée des Ardennes :
* La Capelle-Origny : 12 km en arrière de la trouée d'Anor
* Origny-Signy l'Abbaye : 37 km (deux sections), limitée ensuite à Rumigny-Signy l'Abbaye : 17 km, rapidement restreint à Liart-Signy : 10 km
* Poix-Terron-Omont : 9 km
suivis de deux autres en arrière de la 2° Armée en Janvier 1940 :
* Brandeville - Romagne : 12 km
* Omont - Beauclair, limité ensuite à Sommauthe - Beauclair : 10 km
Entre le 16 et le 19 Janvier 1940, la présidence de la CEZF change. Les généraux BELHAGUE et LEFORT, atteints par la limite d'âge, sont remis à la disposition du ministre et quittent la CEZF. La présidence est reprise par le Gal PHILIPPE, avec le Gal GRENET comme adjoint.
Les travaux cessent complètement en Janvier et Février 1940 du fait des conditions météo exécrables et du froid. La première tranche devant être achevée en Avril 1940, le haut-commandement décide en Février 1940 de concentrer les efforts sur la ligne principale sur l'ensemble des 160 km de front et de laisser la ligne d'arrêt en suspens. Par cette décision, la ligne CEZF se voit amputée temporairement de la moitié de sa puissance.
Fin Janvier 1940, le général PHILIPPE précise la répartition par armée du budget de 250 millions nécessaire pour les travaux de la 1ère tranche de 1940. L'essentiel de cette somme sera affecté aux 2° et 9° Armées et à la 4° Armée (Sarre). A cette même époque, le renforcement des capacités antichar de la ligne CEZF est réexaminé en mettant à profit la montée en régime de la production des canons de 47mm Mle 1937 bi-flèches. L'opportunité d'en installer dans les blocs de ligne d'arrêt (moyennant modification) est validée sur le principe.
Les travaux reprennent activement fin Février avec du personnel mobilisé supplémentaire, dont des
compagnies de travailleurs espagnols , des troupes coloniales, des brigades internationales. Ce sont au total 65 entreprises qui travaillent sur le front. Les tonnages importants de matériaux à amener vers les chantiers et le personnel âgé, peu motivé et peu qualifié sont cependant autant de goulots d'étranglement. Le flux logistique créé par ces travaux vient par ailleurs en compétition avec le flux de ravitaillement nécessité par les armées positionnées à la frontière. Ceci nécessite la création d'infrastructures ad-hoc qui viennent grever les couts initiaux.
Début Mars 1940, la situation de retard important appelle à la re-priorisation. La 2° Armée (Gal HUNTZIGER) presse la CEZF d'adopter une attitude plus pragmatique en autorisant l'abandon des grands blockhaus STG Mle 1939 au profit de petits blockhaus légers STG type 1bis ou 2 dans les zones non propices aux attaques de char. Cette proposition est acceptée par la CEZF car pour un bloc STG Mle 1939 économisé on peut construire 10 blockhaus type 1bis... Elle va même plus loin en convaincant la 2° Armée de se contenter d'un simple obstacle antichar sur la section Sommauthe-Beauclair qui est précédée d'une grande forêt marécageuse impropre aux chars.
Le 18 Mars 1940, le Gal PHILIPPE préconise - sur suggestion de l'Etat-Major - l'utilisation additionnelle de carcasses de chars FT enterrées et coulées dans le béton dans les intervalles entre les blockhaus STG. Le but en est d'assurer une protection rapprochée et frontale des blockhaus STG ainsi que de couvrir les futures cuves pour canon de 65mm ou 75mm de Marine à construire pour donner une couverture d'artillerie à la ligne. C'est 25 de ces pièces de 75mm M qui sont promises à la 2° Armée.
Le besoin en carcasses et tourelles FT est par ailleurs estimé à 300 unités. Ces constructions seront bétonnées à minima dans la mesure où tout le monde reconnait que le point faible de celles-ci réside dans le blindage symbolique de la tourelle FT. Cette évolution est acceptée le 20 Mars, avec la révision du programme de travaux.
Un recensement effectué courant Mars relève un taux d'avancement décevant de 20 à 40% selon les secteurs. Les études préalables des tronçons décidés en Décembre sont finalisées, et pour certaines déjà validées.
C'est finalement un chantier encore en cours que les troupes allemandes surprennent le 15 Mai 1940 après avoir percé à Sedan et sur la Meuse. Les travaux continuent sur les autres tronçons en chantier tant qu'ils ne sont pas atteints par la poussée allemande, et jusqu'en début Juin en arrière de la Sarre. Les chefferies de travaux CEZF et les unités de travailleurs sous leur responsabilité se replient en même temps que l'ensemble des troupes et se retrouvent de façon similaire entrainées et dispersées dans l'effondrement des fronts. Les unités du Nord de la France (chantiers de la 7e Armée, du DAA / 9° Armée et côté Ouest de la 2° Armée) sont capturées pour l'essentiel dans la percée allemande et dans le repli vers Dunkerque/Calais, alors que celles effectuant les chantiers dans le Nord-Est (arrière des 2°, 4°, 8° Armées) parviennent pour certaines à échapper à l'encerclement. Certaines unités CEZF sont employées par des commandements locaux pour créer avec les moyens du bord d'éphémères positions défensives de circonstance sur l'Aisne, à Verdun, en Champagne, sur l'Aube ou en forêt de Compiègne, puis pour préparer les destructions sur la Loire. L'état-major de la CEZF se replie de son côté le 9 Juin sur Gien puis dans le Loiret, puis sur Vichy et le camp de la Courtine (16-17 Juin). Il finira son parcours à La Roque-Gageac, près de Sarlat où est repliée la 4° Direction (Génie) de l'Etat-Major Général.
La CEZF est dissoute le 6 Juillet 1940.
Mise à jour : Jean-Michel Jolas - 02/10/2017, 24/09/2018 et 14/03/2019 - © wikimaginot.eu
- fonds Hohnadel, coll. Musée de la Moselle en 1939-45, Hagondange.
- SHD : carton 27 N 144, 29 N 52, 29 N 90