L'élément clé dans la guerre des mines est la gestion du temps. Le plus rapide gagne... Pour être le plus rapide il convient donc d'être le plus discret pour creuser sans être détecté, ou - côté défense - avoir les moyens d'écoute et de détection les plus performants pour identifier les travaux et éviter la surprise.
Dans cette dernière logique, l'EMA demande dés Mars 1924 aux sections d'études du Matériel du Génie et des Transmissions de travailler au développement de moyens d'écoute modernes et performants. Ces sections travailleront en suivant sur deux appareils déjà expérimentés durant 1914-18 : les géophones et les sismo-microphones métalliques étanches. Ces deux développements seront intégrés dans les études ultérieures sur la défense des organes de fortification contre la mine.
La question de la protection des ouvrages contre l'attaque à la mine est envisagée très tôt. Elle est évoquée dés le rapport du général FILLONNEAU de la CDF sur les formes de la fortification future en 1926 (1). Ce rapport recommande d'équiper les ouvrages futur de galeries de contre-mine dés le temps de paix, recommandation reprise par le même dans le document fondateur de la CORF sur les formes de fortification de Mars 1928, en limitant cependant la construction de galeries de contre-mine dés le temps de paix uniquement aux ouvrages les plus importants.
Par delà ces positions de principe initiales, la question reste dormante jusqu'au milieu des années 30 hors cas très particulier des blocs de contrescarpe d'ouvrages.
Du fait de la position par définition exposée de ce type de blocs, la question de la protection contre les mines est explicitement traitée dans la "Notice relative à l'établissement des coffres de contrescarpe" du 25 Avril 1932 (DM 2582 2/4-S) guidant leur conception. Celle-ci prévoit que ces blocs spécifiques seront systématiquement équipés pour protéger leurs œuvres vives d'un système de contremine, soit en pied de bloc à partir de la galerie d'accès quand la profondeur des galeries est inférieure à 20-25 m, soit à partir d'un palier du puits d'accès au bloc quand cette profondeur de galerie dépasse 25 mètres. Ce type de dispositif sera réalisé à trois exemplaires au moins sur des coffres, deux au HOCHWALD et un (sur) au HACKENBERG .
L'étude plus concrète de la question de la protection contre les mines est formellement demandée à la CEPGRF (Commission d'Etudes Pratiques du Génie de Région Fortifiée) en Avril 1936 (2) et porte sur deux thèmes :
- Recherche et désignation d'engins mécaniques et d'appareils d'écoute à approvisionner en vue de la défense des ouvrages
- Modalité d'emploi des sapeurs-mineurs de forteresse pour assurer la défense dans un contexte de guerre de mines.
La STG, consultée sur les premières réflexions sur ces points, fait néanmoins - respectueusement ! - remarquer en Mai 1937 qu'avant de s'intéresser aux outils il conviendrait de se donner une tactique générale et une doctrine de traitement de cette importante question dans un cadre plus général de fonctionnement d'un ouvrage en temps de guerre, ce qui manquait clairement en 1932. Ces éléments sont ajoutés au mandat de la CEPGRF mais en retardent d'autant les conclusions.
Les essais de géophones grand-modèle plus sensibles et de sismo-microphones améliorés suivent leur cours en parallèle et semblent prometteurs : le programme d'essai est finalisé en Mai de cette année, et réalisé au cours de l'été 1937. En Septembre, la STG confirme le potentiel des nouveaux sismo-microphones pour détecter à 50m de distance des travaux de mine adverses et recommande cet équipement pour la fortification (3) tout en soulignant la variabilité de performance en fonction du type de terrain, et donc la nécessité de creuser cet aspect ouvrage par ouvrage dés le temps de paix au travers d'études géologiques.
Des essais sont néanmoins menés dans l'ouvrage de MOLVANGE en Janvier 1938 pour évaluer pluq particulièrement les moyens à mettre en œuvre pour percer des galeries de contre-mine, évacuer les déblais, écouter, etc... Les "défenseurs" s'installent dans une galerie inutilisée de l'ouvrage et les "assaillants" creusent un rameau d'attaque à partir d'un puits extérieur déjà réalisé à proximité de l'ouvrage (alimentation électrique par l'arrière ?). Des marteaux pneumatiques sont employés - les seuls en usage dans le Génie à cette époque - avec groupe compresseur diésel. Le Service Electro-mécanique du Génie (SEMG) local recommande sur cette base l'utilisation de groupes diésel au motif que des moyens de dépollution de gaz existent et ont été employés lors des essais de locotracteurs de secours diésel.
Sur cette base, un premier projet d' "Instruction provisoire sur l'organisation de la défense des ouvrages de fortification permanente contre une attaque à la mine" est émis par la CEPGRF en Septembre 1938 par son directeur, le général SERON.
Ce document est néanmoins rejeté au niveau supérieur, en particulier suite à des commentaires négatifs de la STG et du SEMG (4) sur les aspects de doctrine et de force motrice à employer pour les travaux de creusement. Un diesel à poste fixe pendant plusieurs jours - même avec les meilleurs dispositifs de dépollution existants - générera localement une contamination inacceptable, et placer ce compresseur diesel dans l'usine pour profiter de l'évacuation des gaz nécessiterait l'installation d'un réseau d'air comprimé dans tout l'ouvrage ce qui n'est pas économiquement acceptable. De même, les centrales d'ouvrage ne sont en général pas dimensionnées pour alimenter - en plus du reste - un compresseur central électrique. Le SEMG recommande de s'orienter vers l'utilisation de marteaux-piqueurs électriques, alimentés localement, et dont le développement est en cours.
Tous ces commentaires amènent à la réécriture du projet d'Instruction, dont la version améliorée - et définitive pour le coup - sera émise en Aout 1939, et approuvée formellement par DM 192 3/4-S le 12 Septembre 1939.
Le document réaffirme - c'est une évidence mais il vaut mieux le rappeler ! - que le risque d'attaque d'ouvrage par mine est propre à une situation de guerre de position avec front stabilisé et aux contact direct des ouvrages sur un temps long. La mise en œuvre d'un schéma de mine s'entend sur plusieurs semaines. Il n'y a donc pas de précaution particulière à prendre en cas d'attaque brusquée.
En situation d'attaque par mine potentielle, la CEPGRF identifie deux cibles prioritaires dans un ouvrage :
- Les puits de blocs les plus en avant de l'ouvrage, pour les isoler du reste de celui-ci et en faciliter l'attaque. Ce cas de figure est problématique car l'attaque peut être réalisée de près, par simple tubage à faible profondeur (une dizaine de mètres sous le bloc), avec un camouflet de faible puissance suffisant à détruire le puits. Il est donc à craindre un processus rapide et relativement silencieux.
- La galerie principale de l'ouvrage, pour le neutraliser en totalité d'un coup et pour une durée importante. La probabilité d'un tel cas de figure se verra augmenter quand les positions fixes de l'ennemi ont déjà créé une poche sur les flancs de l'ouvrage. L'attaque de la galerie principale a néanmoins l'inconvénient de devoir aller beaucoup plus profond (25-30 m), donc de partir de plus loin et selon un mode opératoire largement plus lourd et détectable. Dans ce cas, l'effet de surprise est peu à craindre.
La commission rappelle d'ailleurs au passage que la destruction par mine d'un élément d'ouvrage a des effets bien plus définitifs et structurels pour la défense que la même technique employée sur des positions de campagne. Là où les défenseurs peuvent rapidement tenter de combler une brèche dans un système de tranchées et de positions légères, la complexité d'un ouvrage et la fragilité de ses structures souterraines rendent les travaux de remise en état pratiquement impossibles avant une attaque… Les attaquants ont donc à priori un net avantage sur la défense.
Autre élément important, la construction de mines nécessite une infrastructure lourde et beaucoup de personnel. C'est souvent la découverte d'une activité de ce type chez l'adversaire qui déclenche en contre-mesure la réalisation de systèmes de contre-mines et de mines extensifs et une escalade dans ce domaine. L'Instruction recommande donc formellement aux équipages d'ouvrage de ne pas prendre l'initiative de réalisations de mines contre un éventuel assaillant. Ces activités doivent rester purement défensives.
Enfin, un dernier élément structurant est énoncé par le document : en principe, la défense contre une attaque par mine se fera par l'extérieur de l'ouvrage - selon les techniques classiques issues de la grande guerre - et non à partir de l'intérieur de l'ouvrage. Ce principe est essentiellement justifié par la difficulté à accomplir des travaux de contre-mine, avec toutes les sujétions que cela implique (personnel, transport de matériel, évacuation des déblais, de l'eau, etc) - dans un ouvrage en pleine situation de combat.
La construction d'un réseau de contre-mine dans et à partir de l'ouvrage n'est donc à considérer qu'en cas de surprise ou de détection tardive des travaux de mine de l'attaquant. Il se développera le temps qu'il faut pour qu'une défense par l'extérieur puisse être mise en place pour revenir dans le cas normal, rendant à l'ouvrage son rôle tactique habituel. L'ouvrage pourra ensuite assister la confection du dispositif de contre-mine externe en l'approvisionnant en énergie ou en permettant une écoute des travaux ennemis.
Dans le cas exceptionnel où le système de contre-mine devrait être réalisé à partir de l'ouvrage, tout va dépendre de la qualité de détection des travaux ennemis, de la rapidité de réaction, et de la concentration des moyens. Les modalités suivantes sont prescrites :
- La détection des travaux d'attaque se basent sur l'observation extérieure et sur l'écoute. L'observation extérieure (observatoires, ballons, cloches, patrouilles…) permet d'identifier la sortie de déblais, l'apparition d'issues de galeries, la mise en place de matériel, etc. L'écoute géo-sismique permet l'identification et surtout la localisation des travaux souterrains.
- Pour avoir une chance d'interdire la réalisation d'un fourneau de 10 tonnes de mélinite visant une galerie, il faut pouvoir identifier la localisation des travaux à un minimum de 50 mètres pour que la contre-mine ait le temps d'être établie à plus de 20 mètres de la galerie. Pour ce faire, on utilise préférentiellement le sismo-microphone, amplifié électriquement, qui permet de détecter les bruits à grande distance, ainsi que leur direction, à partir d'un poste de contrôle au calme et à distance. Son utilisation nécessite un opérateur très qualifié et il est recommandé d'identifier les hommes ayant un profil de mineur dans l'équipage de l'ouvrage. Le géophone, de bien moindre portée mais de plus grande précision directionnelle, sera utilisé en complément quand les travaux de contre-mine auront rapproché les défenseurs des attaquants.
- l'exploitation des renseignements et la prise de décision d'une tentative de contre-mine sont respectivement de la responsabilité du commandant de SF et du commandant du Génie de SF.
- le matériel spécifique minimum doit être stocké dans l'ouvrage dés le temps de paix. Chaque ouvrage recevra une installation d'écoute permanente faite d'un ou deux sismo-microphone par bloc exposé ou bloc de flanquement, un aux bifurcations importantes de galerie, et un dans l'égout visitable quand celui-ci est côté ennemi. Un local central d'écoute est aménagé et isolé acoustiquement. Enfin, un dossier technique spécifique est ajouté au dossier du commandant d'ouvrage. L'écoute dans l'ouvrage est sous la responsabilité des sapeurs-mineurs et du commandement du Génie de l'ouvrage.
- Si une écoute est positive, elle doit être confirmée par l'officier de garde puis si confirmée elle remonte la hiérarchie décisionnelle. Si la décision d'organisation au plus vite d'un contre-mine à partir de l'ouvrage est prise (on le rappelle, ceci n'interviendrait que dans les cas exceptionnels…) alors :
On attaque dans la direction dangereuse trois rameaux parallèles (A, B et C) de contre-mine de petite taille - 1,2 m x 0,8 m - pour limiter les déblais à manutentionner et le matériel de coffrage. Le rameau central (B) est le rameau d'attaque, les deux autres - distants de 30m de part et d'autre - sont des rameaux de surveillance.
Après un départ perpendiculaire à la galerie de l'ouvrage, les trois rameaux s'orientent vers le bruit ennemi avec un pente permettant d'aboutir quelques mètres sous la sape assaillante. Le pied de rameau est équipée d'un petit local abritant les mineurs, pour ne pas gêner le travail ni la circulation dans la galerie. Un puisard et un raccord à l'égout de l'ouvrage est aménagé dans ce local pour évacuer les infiltrations d'eau.
Si la mine ennemie dévie au point que le rameau d'attaque B des défenseurs se rapproche à moins de 15m du rameau d'écoute le plus proche (C), alors ce rameau d'écoute devient le rameau d'attaque, le rameau d'attaque précédent (B) devient rameau d'écoute, le rameau (A) devenu inutile on crée un nouveau rameau (D) dans la direction de déplacement, et ainsi de suite.
Arrivé à 12 mètres de la galerie de l'ouvrage, la fouille des rameaux est arrêtée. On procède ensuite au simple percement d'un tube de 8 à 10 m de long et 6 mètres sous la mine adverse. Ce forage est ensuite chargé de 300 kg de mélinite, puis bourré sur 10 mètres, incluant la tête de rameau.
Les déblais de creusement sont stockés en sac dans les locaux de pied de rameaux, et évacués la nuit en une fois par train, en accord avec le service des transports de l'ouvrage. Ce même local est muni d'une porte côté galerie pour empêcher que la poussière de l'explosion du camouflet de contre-mine ne vienne polluer celle-ci. Un ventilateur mobile est prévu dans le local de pied de rameau pour ventiler la zone de travail. L'évacuation du ventilateur doit être connectée par un réseau volant jusqu'au circuit de ventilation de latrine le plus proche (on prévoit 500 m de tuyau souple en dotation…).
L'ensemble de ce dispositif - qui vaut essentiellement pour l'attaque contre un galerie principale - peut être réalisé en 6 jours, permettant de prendre une avance certaine sur l'assaillant qui est encore loin de pouvoir préparer sa propre chambre d'explosion. En cas d'attaque contre un puits de bloc, soit on part des magasins ou du pied du bloc selon le même processus - si on en a le temps - soit en cas de surprise, on travaille par forage simple à partir du puits, mais avec le risque de l'endommager lors de l'explosion du camouflet de contre-mine. Dans ce cas, le bloc sera évacué temporairement et son sas fermé pour éviter la contamination de l'ouvrage par la poussière.
Le mode de réalisation des rameaux de contre-mine est laissé dans le flou. Il sera à réaliser soit par percement mécanique, soit par pétardage. Concernant le gros-œuvre mécanique, on laisse le choix entre les marteaux-piqueurs pneumatiques avec compresseur électrique - si la centrale de l'ouvrage le permet, ce qui ne sera éventuellement le cas que dans les ouvrages de classe 1 ou 2 - soit avec un compresseur thermique avec traitement des fumées. Ce point ayant fait l'objet de vives critiques précédemment, il est précisé que ceci n'est que temporaire le temps que le développement de marteaux-piqueurs électriques soit achevé.
Une bonne partie du matériel technique et des explosifs pour un fourneau, ainsi qu'un minimum de consommables (étais, etc) pour débuter les travaux sont à stocker dans les ouvrages de classe 1 et 2 dés le temps de paix. Le reste est stocké dans les dépôts avancés du Génie, ainsi que l'ensemble de la dotation pour les ouvrages des autres classes…
La réalisation des rameaux est commencée par l'équipe du Génie de l'ouvrage pour les gros ouvrages. Celle-ci est cependant relevée au plus vite si possible par un détachement du bataillon de Génie du secteur fortifié et des ouvriers manœuvres pour les travaux non spécialisés, le tout sous la responsabilité d'un "Directeur des travaux de contre-mines" et un officier chef de travaux. Chaque rameau est sous la responsabilité d'un sous-officier "chef d'attaque".
Le directeur des travaux donne l'ordre de mise à feu.
En pratique, seul les ouvrages du HOCHWALD et du HACKENBERG, équipés de coffres de contrescarpe, seront équipés d'un dispositif de contremines préparé dés le temps de paix, bien avant que les études de détail de la question et l'instruction d'emploi ne soient réalisées.
Ils se situent, pour le HOCHWALD, au niveau des deux blocs de contrescarpe doubles (B3 et B16) des demi-ouvrages car ces blocs sont les plus exposés. Chacun de ces deux dispositifs se compose d'une galerie d'accès courbe reliée au pied de puits de bloc, l'enserrant côté ennemi. Tous les 6-8 mètres, le piédroit côté extérieur de cette galerie de desserte est percé d'une amorce d'un rameau de contremine. Le sol de la galerie de desserte est muni de fosses avec un plancher, fosses permettant de stocker un minimum de terre ou matériaux de bourrage des fourneaux de mine.
Concernant le HACKENBERG, le bloc B25 (seul coffre construit à une épaule du fossé du demi-ouvrage Ouest) dispose d'un système de contremine similaire établi à partir d'un palier de l'escalier du puits de bloc car le dénivelé est supérieur à 25 mètres.
Ainsi la logique de rôle de prototype de ces deux ouvrages s'est traduite y compris au travers du test séparé des deux options possibles pour ces dispositifs de coffres de contrescarpe.
Compte tenu de la date de finalisation du document global de gestion de la question (Septembre 1939) et de sa diffusion générale (Mars 1940), le degré de préparation de la fortification à une attaque par mine était bien sur totalement balbutiant et purement théorique. Si l'Instruction propose une approche et des règles précises et bien pensées, rien des éléments pratiques nécessités par la mise en place du document ne sera réalisé concrètement hors le cas unique des coffres du HOCHWALD et du HACKENBERG.
Outre l'absence de traces physiques de préparation préalable d'éventuelles de contre-mines (forages des écoutes sismo-microphoniques, mise en place de matériel, etc) dans les autres ouvrages, les rapports d'officiers de Génie - on peut citer par exemple les 150 pages du rapport KASPER, commandant du Génie de l'ANZELING , décrivant de l'intérieur toute la période de la mobilisation à l'évacuation de l'ouvrage - ne mentionnent absolument pas cette question de préparation à la guerre des mines.
Les événements ultérieurs montreront hélas que cette impréparation n'a eu finalement aucun effet sur le déroulement des choses. Se préparer de la sorte à une guerre de position défensive - tendance tellement significative de l'état d'esprit de l'époque - était à l'évidence hors sujet...
Contremines
15 messages, le dernier est de Frédéric Lisch le 14/11/2019